Une analyse détaillée des œuvres de l’écrivain sulfureux Philip Roth, au regard de la vie de l’auteur.

* En hommage au grand écrivain Philip Roth (1933-2018), Nonfiction republie la critique de la biographie de Claudia Roth Pierpont.

 

En 2010, après la parution de Némésis, l’écrivain américain Philip Roth décide qu’il n’écrira plus de livre. Déçu par le dernier roman de son ami dont il est un fervent admirateur, Saul Bellow, il en tire la conclusion qu’un auteur ne doit pas écrire après l’âge de 80 ans. Cette retraite littéraire est l’occasion pour sa biographe, Claudia Roth Pierpont (aucun lien de parenté ne les unit malgré son nom), de parcourir l’œuvre et la vie de Philip Roth pour livrer une analyse approfondie de ses romans et de sa posture d’écrivain.

L’auteur se livre à un examen approfondi de l’évolution de Philip Roth en tant qu’écrivain, à travers l’évocation notamment de ses thèmes de prédilection : les juifs, le sexe et l’amour, le sexe sans amour, le sens de la vie, le sens de sa propre vie, ses parents, les idéaux américains, les bouleversements des années 1960, le corps humain dans sa beauté, dans la maladie, les ravages de l’âge, ou encore la mort.

Spécialiste de l’œuvre de l’écrivain, Claudia Roth Pierpont a, comme il est précisé sur la quatrième de couverture, longtemps fait partie du cercle des premiers lecteurs auquel l’écrivain envoyait ses manuscrits pour avis. Ce livre est le résultat de nombreuses conversations avec l’écrivain mais aussi avec certains de ses proches. L’auteur le précise, Philip Roth a accepté de ne pas lire une seule ligne avant la parution. Le livre étant plutôt élogieux, on doute que l’écrivain aurait souhaité dans le cas contraire empêché sa parution.



Un écrivain juif et antisémite ?

Bien qu’il refuse l’étiquette d’« écrivain juif » et se veut « écrivain américain », Philip Roth ne peut se détacher de cette image. En mettant en scène dans la plupart de ses romans des personnages juifs, il se voit rangé dès lors dans une case. Cela ne l’empêche pas, bien au contraire, de subir de nombreuses accusations d’antisémitisme, et ce dès sa première nouvelle, Défenseur de foi. Dans ce texte, il livre une satire de ses personnages qui sont pour la plupart juifs. Il refuse cependant de faire porter à ses personnages le poids de la tragédie ou de l’oppression. Alors qu’il participe à une conférence intitulée « La crise de conscience chez les écrivains des minorités », il est choqué, car il ne s’attend pas à autant de critiques et d’accusations d’antisémitisme. Il déclare alors à sa femme et à son éditeur : « Je n’écrirai plus jamais sur les juifs. » Ce ne sera pourtant pas le cas.

Augie March de Saul Bellow sera pour lui une révélation. Il découvre alors le type de littérature qu’un juif peut écrire sur des juifs. Il prend conscience que l’expérience juive peut être transformée en sujet de littérature américaine, au même titre que Paris, Long Island… Dans Goodbye Columbus et les nouvelles qui l’accompagnent, Roth s’intéresse à l’adaptation – souvent l’inadaptation – culturelle des juifs à la vie américaine moderne. Il refuse pourtant que son œuvre soit assimilée à une étude de l’assimilation du peuple juif.

Après avoir abandonné le sujet dans son roman Laisser courir, Roth reprend une thématique juive dans son chef-d’œuvre Portnoy et son complexe. Il s’adonne alors à l’humour juif, dresse le portrait d’un personnage archétype de la mère juive, autoritaire, puissante, stressée et stressante. Selon lui, la prudence excessive de la mère juive, dont on fait souvent une caricature, est un héritage inconscient de l’holocauste. À l’occasion de ce livre, Philip Roth s’interroge et voit naître une problématique qui ne le quittera plus : peut-on être Américain en étant juif ou faut-il nécessairement n’être que juif ? Son personnage, Alexander Portnoy, soupçonne que le fait d’être juif l’empêche d’être un vrai Américain.

Ce roman provoque à son tour un tollé dans une partie de la communauté juive. On lui reproche de donner des armes aux antisémites, en mettant en scène des héros juifs ravagés par des désirs sexuels immoraux. Gershom Scholem, universitaire, écrivait dans un journal israélien que Roth avait écrit « le livre que tous les antisémites ont appelé de leurs vœux ».

En 1979, Philip Roth publie L’Écrivain fantôme. Depuis longtemps, l’auteur souhaitait prendre pour sujet Anne Frank. Il savait le sujet difficile, d’autant plus qu’il désirait changer son histoire, la faire survivre et la faire venir en Amérique. Dans cette entreprise, il décide de reprendre son personnage de Nathan Zuckerman, créé pour la première fois pour son roman Ma vie d’homme. Le jeune écrivain se rend chez E.I. Lonoff, un grand admirateur séduit par ses écrits. Zuckerman est inquiet de la réception de sa dernière nouvelle par son père. Dans cette nouvelle, l’auteur évoque une dispute familiale au sujet de l’argent. Le père de Zuckerman est très affecté et veut l’empêcher de la publier, car il craint que les Gentils n’y voient que ce qu’ils souhaitent y voir, à savoir le rapport des juifs à l’argent. Le père ne parvient pas à empêcher la parution et fait appel au juge Wapter qui à son tour écrit à Zuckerman en lui posant cette question : « Si tu avais vécu en Allemagne nazie durant les années trente, aurais-tu écrit ce récit ? » Et en l’enjoignant d’aller voir Le Journal d’Anne Frank qui se joue à Broadway.

Chez le grand écrivain E.I. Lonoff, Nathan Zuckerman rencontre Anne Frank, qui se fait appeler Amy Belette depuis qu’elle se cache en Amérique. Roth, qui a une vision très tendre d’Anne Frank et de son journal, s’interroge, à l’instar du personnage d’Amy Belette, sur la réussite du livre. Il compare son emprise à celle d’un Holden Caulfield ou d’un Huckleberry Finn. C’est la sincérité de sa voix adolescente qui joue un grand rôle dans l’attrait porté à son journal. Qu’en serait-il néanmoins si elle avait survécu ? Un autre élément semble important selon Roth pour expliquer cet attrait. Selon lui, la jeune fille « est beaucoup plus juive à nos yeux qu’elle ne l’était aux siens ». Ce qui lui inspire cette interrogation : « Que pensez-vous qu’il se passerait si je disais tout haut (c’est-à-dire, à l’écrit) que la moins juive des enfants juifs est notre sainte juive ? » Roth invite à observer que, malgré l’exemplarité d’Anne Frank, l’antisémitisme perdure. Cela étaye sa thèse selon laquelle il est impossible de contrôler l’antisémitisme par le seul fait de se montrer exemplaire, car l’antisémitisme et le problème des antisémites.

On retrouve le personnage de Nathan Zuckerman en 1981 dans Zuckerman délivré. Ce roman traite des conséquences que peuvent avoir la publication d’un livre, sujet que connaît bien Philip Roth. Suite à la parution du roman à succès Carnovsky, Nathan se voit accusé d’antisémitisme. Il reçoit du courrier adressé à l’« ennemi des juifs ».

En 1986, Philip Roth publie son roman La Contrevie dans lequel il met en scène Nathan Zuckerman, son double littéraire, en visite en Israël chez un ami journaliste. Le roman a pour principal sujet les lieux, et plus spécifiquement l’Angleterre et Israël. Roth veut montrer l’influence des lieux sur les gens. L’écrivain avait visité Israël pour la première fois en 1963 alors qu’il était invité à un colloque sur les écrivains juifs. Il y retourne ensuite plusieurs fois pour découvrir les différentes facettes du pays. Il est marqué par l’écart entre sa première visite avant les guerres et celles qui suivent pendant lesquelles il constate que les gens ne parlent que de politique. Il visite également des colonies, ce que lui reproche notamment son ami Amos Elon. Il continuera de le faire mais de façon plus discrète. Les juifs d’Israël sont un sujet d’inspiration dans La Contrevie. Qui d’autre pour représenter le thème de la contrevie mieux que des juifs qui ont tout reconstruit sur un nouveau territoire ? On trouve dans ce roman les questions sur l’identité juive chères à Roth. Ainsi, Nathan s’interroge sur ce qu’il y a de plus typiquement juif chez son frère. Plus que son installation en Israël et son apprentissage de l’hébreu, le fait qu’il ait eu besoin de faire toutes ces choses moralement irréprochables afin de justifier la décision de quitter sa femme est certainement la plus grande marque de son identité juive.

Bien des années plus tard, la question juive continue de le hanter. À son retour aux États-Unis, à la fin des années 1980, il donne des cours sur l’Holocauste. Il fait étudier des livres comme Aux douches, Mesdames et Messieurs de Tadeusz Borowski et fait dessiner à ses étudiants le plan du camp de Treblinka suite à la lecture d’Au fond des ténèbres de Gitta Sereny, pour qu’ils sachent qu’il était réellement impossible d’en sortir. Il donne également des cours sur Primo Levi, qu’il avait rencontré à plusieurs reprises et dont il devient l’ami.

Dans son roman Opération Shylock, il met en scène un faux Philip Roth, un homonyme, imposteur, qui défend le projet d’un diasporisme. Le diasporisme est le sionisme à l’envers. Selon ce personnage, les juifs israéliens de tradition européenne devraient retourner en masse dans leurs pays d’origine. Ce second exode serait inévitable pour éviter un second holocauste. Dans le roman, les gens confondent le vrai et le faux Roth, notamment du fait de la réputation des livres du vrai Roth, que l’on dit hostile aux juifs.

Au milieu des années 1980, alors qu’il est interrogé dans la Paris Review sur l’écriture juive, Philip Roth tente une réponse. Selon lui, ce qui fait un livre juif, ce n’est pas le sujet, mais le fait qu’il n’arrête pas d’en parler. Il y a quelque chose dans le style nerveux, bavard, excité, indigné, obsédé, qui définirait peut-être l’écriture juive. Pour autant, Roth insiste sur son refus de porter une telle étiquette: «L’étiquette “écrivain juif américain” ne signifie rien pour moi […]. Si je ne suis pas américain, je ne suis rien.»



Un homme à femmes et un écrivain misogyne ?

Philip Roth rencontre Maggie Williams à Chicago. À première vue, Maggie incarne le rêve américain de Roth. Protestante aux longs cheveux blonds et aux yeux bleus, elle est issue d’une petite ville du Midwest. Mais la réalité s’avère différente. La vie de Maggie, tout d’abord, n’a rien d’un rêve. Fille d’un père alcoolique qui séjourne plusieurs années en prison, elle doit quitter la fac à 18 ans, car elle tombe enceinte. C’est en tout cas ce qu’elle raconte à Roth. Mais Maggie est spécialiste dans l’art du mensonge. La relation entre Roth et Maggie est tumultueuse et connaît de nombreux rebondissements. Roth finira néanmoins par épouser Maggie mais uniquement en échange de son avortement… Elle lui révélera quelques années plus tard qu’elle avait menti, qu’elle n’était alors pas enceinte, qu’elle était allée jusqu’à acheter un échantillon d’urine à une femme sans-abri enceinte. Cette relation va influencer toute son œuvre. Cette histoire d’amour romanesque et toxique est un des épisodes charnières de sa vie.

Roth est un homme à femmes. On lui connaît de nombreuses relations, notamment avec Jackie Kennedy. Un des grands amours de sa vie, comme il la considère encore aujourd’hui, est Ann Mudge, une femme fort heureusement très différente de Maggie. Elle en sera en quelque sorte l’antidote même s’il ne peut éviter un passage par la psychothérapie. L’écriture l’aide aussi dans sa reconstruction. Il écrit sur Maggie, sur les histoires de son enfance, car il est encore incapable de parler de son mariage. Il est encore trop tôt pour lui pour évoquer la Maggie qu’il a connue, il s’en tient à la petite fille qu’elle était dans son roman Quand elle était gentille. Ce roman voit naître les premières attaques lancées par des féministes. On lui reproche d’écrire sur des personnages féminins antipathiques. Cette attaque irrite Roth qui décrit alors son personnage principal comme « un cas de rage féministe prématurée ».

Ce n’est que dans Ma vie d’homme que Philip Roth parvient enfin à évoquer son mariage avec Maggie en mettant en scène Peter Tarnopol, son alter ego dans le roman, qui lui-même se crée un double littéraire Nathan Zuckerman. Il ne cache rien dans ce roman de sa difficulté à écrire sur le sujet, de ses faux départs. Peut-être, doit-il se dire, qu’il sera capable une fois l’histoire racontée dans un livre de comprendre et surtout de surmonter cet échec retentissant.

Ma vie d’homme provoque une fois encore la colère des féministes. Claudia Roth Pierpont évoque un article en couverture de Village Voice dans lequel Vivian Gornick, critique et féministe, présente les photographies de Roth, Mailer, Bellow et Henry Miller sous le titre « Pourquoi ces hommes haïssent-ils les femmes ? ». L’auteur de l’article ne nie pas le talent de ses écrivains. Elle admire même les œuvres de Roth et distingue la critique des femmes dans Portnoy et son complexe ‒ c’est alors Portnoy qui a un problème avec les femmes ‒ et dans le texte de Ma vie d’homme qui dépasse le cadre de la fiction. Beaucoup d’autres critiques ont considéré ce livre davantage comme une thérapie que comme un roman. La même critique, Vivian Gornick, poussera plus loin encore sa réflexion sur la supposée misogynie de Philip Roth. Elle considère que l’auteur, tout comme son confrère Bellow, transpose sur les femmes une colère juive contre les Gentils. Selon elle, « dans tous les livres des trois décennies suivantes, les personnages féminins sont monstrueux parce que, pour Philip Roth, les femmes sont monstrueuses ». D’autres critiques partagent cette vision d’un Roth misogyne suite à la lecture de Ma vie d’homme.

Des années plus tard, dans son roman Tromperie, il mettra en scène une femme procureure qui accuse le personnage de Philip de misogynie et de sexisme. Encore une fois, une belle mise en abyme de la part de l’auteur. Le personnage se défend alors en demandant pourquoi le portrait d’une femme doit être interprété nécessairement comme le portrait de toutes les femmes. On retrouve là une réponse habituelle de l’écrivain Philip Roth.

En 1999, Roth est invité à un séminaire pour parler de ses œuvres et répondre aux questions concernant celles-ci. Il apprend au cours de ce séminaire que son livre J’ai épousé un communiste a engendré beaucoup de colère chez les femmes présentes pour assister au séminaire. Une jeune femme lui reproche notamment de décrire des personnages masculins avec de la profondeur tandis que ses personnages féminins sont superficiels. Sa réponse est claire. Il existe dans ses romans des femmes fortes mais il n’écrit pas sur des genres, simplement sur des individus. Les femmes du séminaire lui faisant part de leur difficulté à s’identifier aux personnages féminins de la littérature, il leur répond que lui a eu, de son côté, du mal à trouver des héros juifs auxquels s’identifier. Il les invite alors à s’identifier à n’importe qui, peu importe le genre.



Un écrivain du désir sexuel et provocateur ?

L’un des thèmes de prédilection de Philip Roth, comme le rappelle Claudia Roth Pierpont, est le sexe. C’est avec le roman Portnoy et son complexe qu’il se fait connaître en 1969. Un roman subversif dans une époque qui l’est tout autant. Portnoy est un adolescent juif de 13 ans. Un adolescent très sage qui lutte contre sa conscience surdéveloppée. Ce roman est une farce juive en ce qu’il met en scène un personnage qui échoue à devenir mauvais malgré ses tentatives. Portnoy témoigne de la permissivité de l’époque. L’auteur doit à ce roman sa réputation d’auteur sulfureux. Il y décrit dans un style très cru les obsessions sexuelles d’un adolescent : découverte de la sexualité, masturbation…

Conscient de la réputation qui est la sienne suite à la parution de Portnoy, Philip Roth s’en amuse en publiant le roman Le Sein en 1972. Roman dans lequel un homme, David Kepesch, professeur de littérature comparée et spécialiste notamment de Kafka, se réveille un matin métamorphosé en sein.

En 1977, il publie Professeur de désir. On retrouve dans ce roman le personnage de David Kepesch, qui raconte lui-même son histoire. Il y est beaucoup question de satisfaction physique et de bonheur, de séparation douloureuse entre le sexe et l’amour. L’héroïne de ce roman se nomme Claire, mais la chronologie de l’écriture du roman démontre qu’elle n’a rien à voir avec Claire Bloom. Elle semble inspirée davantage par Barbara Sproul. Comme Barbara le fut pour Roth, elle est la guérisseuse des blessures infligées par les ex-petites amies de Kepesch. Le thème de ce roman est dans la lignée de Portnoy. Une fois encore le désir sexuel est au cœur du récit, qui n’atteint pas le même succès que son prédécesseur. D’après Claudia Roth Pierpont, il s’agit pourtant d’un roman encourageant, en ce qu’il mêle les thèmes chers à Philip Roth à des scènes novatrices.

Le Théâtre de Sabbath, paru en 1995, comporte quelques-unes de ses scènes les plus sulfureuses et obscènes. Le thème du sexe renvoie ici non seulement à la liberté mais aussi et surtout à une protestation contre la mort elle-même. Claudia Roth Piermont montre comment, au fil des années, l’œuvre de Philip Roth traduit une angoisse du temps qui passe et de la mort.



Auteur et personnage ?

Dans ce livre, l’auteur s’attache à proposer un examen des œuvres de Philip Roth en suivant l’axe chronologique. Il aurait été facile de classer ses œuvres par thèmes, ou plus simple encore, en fonction des narrateurs. Mais ce choix d’une analyse chronologique ne doit rien au hasard. La vie et l’œuvre de Philip Roth sont intrinsèquement liées. L’auteur s’inspire de ses histoires sentimentales, de ses échecs, de ses blessures ou encore de ses voyages. S’il met en scène autant de personnages juifs, c’est parce que c’est l’univers qu’il connaît le mieux. Dans Portnoy, les parents ressemblent par de nombreux aspects à ses propres parents. Jack Portnoy est comme Herman Roth courtier en assurance. Il a dû arrêter l’école très jeune mais est travailleur. Sophie Portnoy est une fée du logis, comme peut l’être Bess Roth. Dans ses autres personnages de vieil homme juif, il n’est pas rare de retrouver des empreintes de son père. Roth déclara dans une interview en France : « Il m’est quasiment impossible de ne pas l’inclure dans un livre que j’écris […]. Je dois fermer toutes les portes à double tour et les bloquer avec des meubles pour l’empêcher d’entrer. »

Nathan Zuckerman est véritablement l’alter ego de Philip Roth dans ses romans. Tout comme lui, il est né à Newark, dans une famille juive et aimante. Il est allé à l’université, a fait l’armée et est finalement devenu auteur. En revanche, là où leurs routes se séparent ‒ et ce n’est pas anecdotique ‒, c’est lorsque la route suivie par Zuckerman ne croise aucune Maggie. Tous deux partagent une crainte à l’idée de décevoir leur père par leurs écrits. Dans La Leçon d’anatomie, le personnage de Zuckerman est très malade, ce qui est le cas de Roth lors de l’écriture du roman. Ce livre sur la douleur physique fait écho à la vie de l’écrivain, alors confronté à divers problèmes de santé. D’autres points communs unissent les deux hommes, comme leurs réactions aux critiques ou encore leur réputation d’auteurs antisémites.

Son roman Les Faits est en majeure partie autobiographique. Il écrit ce livre dans une période difficile de sa vie. De graves problèmes de dos et une opération ratée au genou lui provoquent des douleurs terribles qu’il traite avec un médicament violent provocant des hallucinations et une dépression. À peu près à la même période, il est rattrapé par des problèmes cardiaques et se fait opérer. Il considère l’écriture du roman Les Faits comme une nécessité thérapeutique.

Roth semble fasciné par les mystères de l’identité. On peut penser que sa volonté de brouiller les pistes entre fiction et réalité, de mettre en scène des alter ego (homonymes ou non), de s’inspirer de proches, essentiellement de femmes qu’il a fréquentées, est le résultat de cette fascination. Ses narrateurs et personnages principaux pourraient être considérés comme de nombreuses facettes de sa personnalité. Zuckerman, Kepesch et Philip Roth (le personnage) sont des hommes juifs ayant grandi dans les années 1930-1940, tout comme lui. Ses personnages s’emparent des romans et prennent le contrôle. Mickey Sabbath fait du Théâtre de Sabbath le roman le plus libre de Roth. Le Suédois, en revanche, apporte de la structure au roman Pastorale américaine.

De cette biographie plutôt élogieuse, on retient l’image d’un homme de contradictions. Provocateur, cherchant à dépasser ses propres limites et à marquer la littérature américaine de son empreinte, Philip Roth est un auteur sulfureux qui aime mettre en scène des personnages confrontés à un dilemme moral. Influencé par Henry Miller, Roth veut faire entrer dans ses romans le répugnant, celui-là même que nous faisons tout pour cacher et ne pas voir. Tirant son inspiration de sa propre vie et ses propres expériences, l’écrivain met en scène des personnages qui lui ressemblent et qui deviennent au fil des romans récurrents. Des critiques lui ont reproché ce solipsisme, cette manie de ne parler que de lui. Ce serait aller un peu vite dans l’analyse, comme le montre Claudia Roth Piermont dans cet examen exhaustif de l’œuvre de Philip Roth. Qu’importe si les personnages sont ses alter ego, les romans développent des sujets universels comme le sens de la vie, le sexe, l’amour, la douleur. Dans sa trilogie américaine (Pastorale américaine, J’ai épousé un communiste et La Tache), il prend pour thème l’histoire américaine, au cours de différents événements marquants.

À travers le regard admiratif, mais expert, de Claudia Roth Piermont, Roth délivré est un excellent moyen de découvrir cet auteur pour les néophytes et de prolonger le plaisir de la lecture de ses œuvres pour les connaisseurs.