Au Théâtre 71 à Malakoff, le metteur en scène suisse Joan Mompart, présente « L’Opéra de quat’sous » de Brecht et Weill.
Après avoir mis en scène On ne paie pas, on ne paie pas ! de Dario Fo en 2013, Joan Mompart reste dans la lignée du théâtre engagé et de la conscience politique en montant L’Opéra de quat’sous.
La pièce de Bertolt Brecht et Kurt Weill (inspirée de L’Opéra des gueux de J.C. Pepusch et J. Gay) fut crée en 1928 au « Theater am Schiffbauerdamm » de Berlin. Ce spectacle trouva rapidement son public et devint l’un des plus grands succès théâtraux de la République de Weimar. Interdit en Allemagne pendant la période nazie (Les deux auteurs quittèrent le pays en 1933) L'Opéra de quat'sous fut joué partout dans le monde et connut un succès qui ne s'est jamais démenti.
L’action se déroule à Londres dans le quartier de Soho. Monsieur Peachum tient un commerce lucratif vendant licences et équipements pour mendiants : vêtements sales, moignons pitoyables, bref tout ce qui peut faire naître la pitié et surtout réveiller la générosité des passants. Sa fille Polly décide d´épouser en secret « Mackie le surineur », célèbre gangster à la tête d´un groupe de bandits. Polly change donc de camp et la concurrence entre les deux clans, celui de son père et celui de son amant, s’en retrouve intensifiée. Ce monde violent est également habité par des policiers déjà corrompus ou facilement corruptibles et par des putains certes amoureuses mais n’hésitant pas à trahir les bandits contre un peu d’argent …
Le scénographe Cristian Taraborrelli souhaitait que le plateau évoque la silhouette d’une grande ville : fait de constructions métalliques, de portes, éscaliers et barreaux, ce dernier se décline sur deux étages. Les musiciens, installés sur les structures métalliques, surplombent et accompagnent les acteurs-chanteurs qui peuplent l’espace scénique. Le décor est placé sur tournette et figure, de rotation en rotation, le bureau des mendiants de Peachum, le lieu du mariage, la maison close ou la prison. Des grandes enseignes lumineuses affichent telles des panneaux publicitaires la devise de Peachum: « Donnez et il vous sera donné ». Selon les mouvement du plateau tournant, les lettres se retrouvent décalées et ne sont plus qu´à moitié éclairées, vidées de sens dans le tourbillon de ce monde.
Le début du spectacle démontre que le metteur en scène entend rester fidèle à la distanciation brechtienne : les comédiens se positionnent en avant-scène avec des pancartes et des t-shirts qui forment cette phrase sortant tout droit du texte de Brecht : « D’abord la bouffe, ensuite la morale ». Le personnage du chanteur de complaintes (Jean-Philippe Meyer) annonce ensuite le synopsis de chaque scène, les acteurs brandissent des pancartes avec les titres des chansons, les adresses au public sont fréquentes. Les changements de costumes s'effectuent souvent à vue et sont autant de petits clin d´oeil, on voit par exemple Brecht apparaître sur le plateau et se métamorphoser en Peachum, ou encore cet acteur incarnant une des prostituées qui se transforme en policier.
Le jeu d'acteur est bon. Citons, parmi ceux qui tirent particulièrement leur épingle du jeu, Thierry Romanens en M. Peachum, qui campe un homme avide et cynique mais également capable d'une drôlerie indéniable. Francois Nadin en Mackie est violent et séducteur à souhait. La scène du mariage est d´un comique grotesque, lorsque Mackie, habillé d'une veste à fleurs, tente de faire régner l'ordre parmis ses bandits chaotiques. N´oublions pas de signaler la belle prestation de Carine Barbey en Jenny la putain, au visage blanc et aux lèvres rouges, promenant sur le plateau sa longue silhouette tout de blanc vêtue. Ce personnage oscille sans cesse entre vulgarité et fragilité, cynisme et amour. Jenny retrouve par ailleurs toute son humanité quand elle enlève sa perruque pour entonner la «Chanson de Salomon ».
Les musiciens sous la direction de Christophe Sturzenegger s´en donnent à coeur joie et rythment avec justesse l´action de la pièce. Par contre on ne peut pas s'empêcher de remarquer certaines inégalités en ce qui concerne le chant, les interprètes n'étant pas tous chanteurs de formation. Néanmoins cela ne dérange pas trop car L'Opéra de quat'sous n´a pas été écrit pour « plaire » , mais pour souligner les brutalités sociales, à l'image du bandit Mackie qui proclame : « Qu’est un braquage de banque contre la fondation d’une banque ? ». Cette rhétorque anti-capitaliste provoque quelques applaudissements dans la salle.
Spectacle réussi en somme ! Une pièce de théâtre qui plus de 80 ans après sa première création reste d´une actualité étonnante et en dit long sur les rapports de force qui régissent nos sociétés...
L'Opéra de Quat'sous
musique : Kurt Weill
texte : Bertolt Brecht
traduction française : Jean-Claude Hémery
mise en scène : Joan Mompart
direction musicale : Christophe Sturzenegger
Crédit photo : @Carole Parodi
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