Dans cet essai incisif, Anastasia Colosimo, doctorante en théorie politique et enseignante en théologie politique à Sciences Po Paris, nous propose une étude resserrée du blasphème et de ses dimensions religieuse, politique mais aussi juridique. Un décryptage salutaire.

 

Nonfiction.fr : Votre livre commence par un décryptage des grandes manifestations de soutien à Charlie Hebdo. Un événement « de bout en bout idéologique » dont les émanations ont constitué « un instant de religiosité civile ». N’y-a-t-il pas là un paradoxe ?

 

AC : L’un n’exclut pas l’autre ! Tout d’abord, dans les grandes manifestations qui ont suivi les attentats de Charlie Hebdo, il faut distinguer celles, spontanées, qui ont eu lieu un peu partout en France dès le 7 janvier au soir de celle organisée par le gouvernement le 11 janvier.

 

Ce qui est frappant dans les manifestations spontanées c’est la volonté marquée de « faire peuple ». Le mouvement n’est pas que verbal avec les millions de tweets, hashtags, photographies partagées sur les réseaux sociaux, il est également incarné et revivifie une sorte de mémoire idéale inscrite dans la topologie urbaine. Des milliers de citoyens se rassemblent dans des lieux emblématiques dont les appellations constituent en elles-mêmes tout un programme : place de la République à Paris, Lille, Limoges, Orléans, place de la liberté à Belfort, Dijon, Lons-le-Saunier, Toulon, Valence, place du Ralliement à Angers, place des martyrs de la Résistance à Antibes, Colmar, place des Droits de l’Homme à Bordeaux, Montbéliard, Saint-Brieuc, Saint-Denis, mais aussi  place Jean Jaurès à Castres, place Aristide Briand à Lorient, place Charles de Gaulle à Fort-de-France, quand il ne s’agit pas des monuments aux morts des deux guerres mondiales sur les parvis des mairies. Des autels de fortune sont dressés à l’emporte-pièce où dessins et photographies des disparus ceints de fleurs prennent valeur d’icônes à la lumière des bougies qui composent des feux ardents improvisés. L’« instant de religiosité civile » est là.

 

Cette volonté de « faire peuple » d’ailleurs n’est pas complètement absente le 11 janvier, mais la donne est un peu différente, puisque c’est une manifestation organisée par le gouvernement. Dès ce moment-là, l’ «union sacrée» se craquèle et tous les affrontements idéologiques qui traversent le paysage politique et social français refont surface en opérant une fracture entre ceux qui sont dans la rue et ceux qui n’y sont pas. Choisir de manifester ou non le 11 janvier devient un parti pris idéologique. Cela se ressent aisément dans l’obsession qui a suivi de savoir quels groupes socio-culturels étaient présents ou absents.

 

Nonfiction.fr : Loin de réduire les attentats de janvier dernier à un problème franco-français, vous les mettez en relief en proposant une analyse de sa réception dans le monde entier. Cette tragédie s’inscrirait dans une « crise planétaire ». Quels sont les ressorts de cette crise ?

 

AC : Le retour de la question blasphème sur la scène internationale est bien antérieur aux attentats perpétrés dans les locaux de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015. La grande affaire qui marque le retour de cette question remonte à la fatwa lancée en 1989 par l’ayatollah Khomeini contre Salman Rushdie, auteur des Versets sataniques. D’autres affaires d’ampleur internationale suivront avec l’affaire des caricatures de Mahomet en 2006, puis celle du film « L’innocence des musulmans » en 2012, pour ne citer que les plus importantes.

 

Pour bien comprendre les ressorts de ces crises répétées, il suffit de se pencher sur l’affaire Salman Rushdie. Lorsque l’ayatollah Khomeini condamne Salman Rushdie à mort, il enjoint également tous les musulmans à accomplir cet assassinat salvateur pour la communauté et réparer ainsi l’insulte faite au Prophète. Ce qui est remarquable, c’est l’occasion de communion qu’il donne aux musulmans du monde entier, loin des guerres intestines qui les agitent. L’impression qui en ressort est celle d’une réconciliation de l’Oumma dans sa globalité. C’est une véritable déclaration de guerre à l’Occident sur un mode de choc des civilisations. Le génie tient au fait que cette fatwa fait de tout Occidental un impie potentiel et de tout musulman un bourreau potentiel.

 

La difficulté, ici, c’est que l’Occident n’arrive pas à donner une seule réponse unifiée et se trouve, lui-même, complètement partagé sur cette question. C’est bien le signe que, dans le processus de sécularisation, la question du blasphème n’a pas été réglée. La majorité des pays européens continuent à condamner le blasphème, soit sous une forme archaïque comme l’Italie ou la Grèce, soit, sous une forme sécularisée et sous couvert de respect des droits de l’homme, comme c’est le cas par exemple en Allemagne ou encore en France. Dans ce dernier cas le blasphème est interprété comme une offense aux croyants ou un trouble à l’ordre public, autant de traductions dans le langage séculier qui, loin de protéger les citoyens, sont le moteur de terribles confusions historiques et théologiques.

 

Ce qui en ressort, c’est que ces crises planétaires sont symptomatiques de la difficulté à appréhender le retour du religieux entre un Orient qui en fait une stratégie de conquête et un Occident qui n’arrive pas à arbitrer entre la protection de ses minorités et les droits de l’homme sur fond d’ignorance du fait religieux.

 

Nonfiction.fr : Vous soulignez ensuite que les caricaturistes de Charlie ont été érigés au Panthéon des valeurs républicaines et promus martyrs de la liberté. C’est au nom de la liberté pourtant que la France a restreint juridiquement la liberté d’expression. L’exemple de l’apologie du terrorisme est éclairant. Comment interpréter cet effet de balancier ?

 

AC : Cette expression de « martyrs de la liberté », pendant aux « martyrs du djihad », nous vient des déclarations de l’administration américaine qui sait jouer à la perfection, dans l’instant de l’émotion, du registre de la religion civile pour désigner les journalistes de Charlie Hebdo assassinés. En France, les journalistes vont effectivement être érigés au Panthéon des valeurs républicaines, ce qui constitue une ultime inversion, puisqu’eux-mêmes se considéraient comme fondamentalement « anti-système ».

           

Le plus surprenant reste qu’à un moment où l’État réaffirme une liberté d’expression comprise comme inconditionnelle, il va en réduire le champ d’application juridique. Dès le 12 janvier, c’est-à-dire au lendemain de la grande manifestation de l’unité, Christiane Taubira, la Garde des Sceaux, fait parvenir à l’ensemble des procureurs une circulaire leur demandant sévérité et fermeté dans les affaires d’apologie d’actes terroristes. C’est à la suite de cette circulaire que l’on va se retrouver avec près de soixante-dix procédures ouvertes pour apologie du terrorisme et là où les juges se contentaient avant d’infliger des amendes, ils vont désormais prononcer des peines de prison ferme. Sans compter la condamnation de Dieudonné le 4 février pour sa sortie « je me sens Charlie Coulibaly ».

 

L’impression de « deux poids deux mesures » – et je dis bien l’impression puisque la subtilité est que la loi, elle, n’est pas dans le deux poids deux mesures puisqu’elle vise des objets différents – est immédiate, la principe de liberté d’expression n’étant bon qu’à protéger les caricaturistes du point de vue de ceux qui ne sont pas Charlie. De fait, il semble que le gouvernement est plus attaché à protéger l’héritage de Charlie Hebdo que la liberté d’expression comprise comme liberté donnée également aux ennemis de la liberté.

 

Nonfiction.fr :  L’une des thèses de votre ouvrage est que le blasphème, contrairement à ce l’on pourrait croire a priori, n’est pas une question religieuse mais éminemment politique. Pourquoi ?

 

AC : La première réflexion que l’on se fait quand on se penche sur la question du blasphème, c’est que contrairement aux autres péchés, le blasphème n’intéresse pas tant les théologiens. Et pour cause ! L’interdiction du blasphème est surtout une arme formidable aux mains d’un pouvoir politique qui tire sa légitimité d’une autorité spirituelle, en cela c’est un concept substantiellement théologico-politique.

 

Pour faire plus simple, jusqu’à l’entrée dans la modernité la communauté politique et la communauté religieuse recouvrent une seule et même réalité. La monarchie de droit divin en est un très bon exemple. Celui qui blasphème, du coup, s’exclut de facto de la communauté, mais il doit aussi être exclu par les autres, puisqu’il menace la vérité sur laquelle repose la communauté. Les exemples ne sont pas à chercher que du côté des monothéismes, mais aussi dans le monde grec, puisque Socrate est condamné pour impiété. Le blasphémateur c’est donc celui qui remet en cause l’ordre établi. En s’attaquant à Dieu, il s’attaque aussi au Prince et c’est en cela que le blasphème est par nature bien plus politique que religieux, parce que son interdiction représente un enjeu crucial pour le politique.

 

Cet aspect est primordial pour comprendre l’histoire du blasphème, mais il nous renseigne aussi sur la manière dont l’accusation de blasphème est utilisée politiquement aujourd’hui. Il est important de rappeler que l’interdiction du blasphème par un État n’a de sens que si autorité temporelle et autorité spirituelle ne font qu’un.

 

Nonfiction.fr : Comment expliquer que les fatwas prononcées par les autorités musulmanes du Moyen-Orient concernent exclusivement des journalistes et des écrivains ?

 

AC : En se penchant sur la liste des « Recherchés morts ou vivants pour crime contre l’Islam », cette liste publiée par Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique au printemps 2013 dans le dixième numéro d’Inspire, son magazine digital de recrutement, on se rend vite compte qu’elle ne vise aucun chef d’État ou responsable d’une opération commando contre le monde musulman ou une organisation terroriste. Non, les onze individus viennent tous du monde de la culture, ce sont des écrivains, des réalisateurs, des activistes, mais aussi Stéphane Charbonnier, dit Charb, seule victime, avec les autres journalistes de Charlie Hebdo, de cet appel au meurtre à ce jour. 

 

C’est une véritable stratégie de guerre du côté du front djihadiste, qui affirme ainsi un véritable choc des civilisations. Les djihadistes présentent l’Occident comme la civilisation de la décadence, du vide spirituel et du rejet systématique de toute sacralité. Et c’est parce que ce vide spirituel est en partie réel qu’ils arrivent à recruter parmi les Occidentaux également.

 

Nonfiction.fr : On assiste depuis plusieurs décennies en France à une inflation juridique autour de la liberté d’expression. C’est selon vous la loi Pleven de 1972 relative à la lutte contre le racisme qui aurait ouvert la boite de Pandore. Que nous dit cette loi ?

 

AC : La loi Pleven, qui vient modifier la loi sur la liberté de la presse de 1881 encore appliquée aujourd’hui, est votée à l’unanimité par les députés en 1972 dans un contexte international de mise en cause du racisme et un contexte national de culpabilité face à la redécouverte du passé vichyste. La formulation de cette loi laisse pourtant songeur.

 

Tout d’abord, elle introduit l’interdiction de la provocation à la haine, à la violence, à la discrimination, de la diffamation et de l’injure envers une personne ou un groupe de personnes – un groupe ! – en raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion donnée. Mettre l’appartenance ethnique, nationale, raciale et religieuse sur le même plan montre une certaine ignorance du fait religieux assez commun pour l’époque, puisque le grand retour de la question religieuse ne s’opère qu’à la fin des années 1970.

 

Le plus étonnant, cependant, réside dans le fait que les plaintes peuvent être déposées non seulement par des particuliers, mais aussi par « toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de combattre le racisme ». Cette loi est une rupture fondamentale dans l’appréhension des limites de la liberté d’expression en ce qu’elle va permettre à des associations de porter plainte au nom de communautés.

 

Ce que j’essaye de démontrer dans mon essai, c’est que les procès intentés sur les fondements de cette loi vont en réalité être des procès en blasphème qui ne disent pas leur nom. Comme il n’est plus possible de parler d’interdiction du blasphème dans les sociétés sécularisées, les groupes confessionnels vont adopter le langage de la modernité. Comme l’explique parfaitement le professeur Guy Haarscher, c’est la stratégie du « loup dans la bergerie ». D’un débat impossible entre un argument religieux (l’interdiction du blasphème) et un argument séculier (la liberté d’expression), le débat devient un débat systémique entre deux droits de l’homme, à savoir la protection d’autrui ou protection des sentiments d’autrui et la liberté d’expression. La liberté d’expression va donc être limitée au nom-même de ce qui la définit. Ce détournement est extrêmement problématique, car non seulement il communautarise à marche forcée les citoyens, mais en plus il introduit une véritable concurrence entre les communautés.

 

Nonfiction.fr : Vous rappelez ensuite que lois mémorielles amorcées par la loi Gayssot en 1990 ont achevé la communautarisation de l’espace public en créant non plus des individus victimes mais des groupes victimes. Comment sortir de cette logique infernale ?  

 

AC : La loi Pleven a non seulement participé de la communautarisation de notre société, mais elle a aussi contribué à l’inflation des lois venant limiter la liberté d’expression, puisqu’elle a introduit une concurrence communautaire. On le perçoit très bien avec la loi de 2001 sur la reconnaissance du génocide arménien qui s’inscrit dans le sillon de la loi Gayssot de 1990, qui interdit la négation de la Shoah, mais aussi la loi Taubira de 2001 sur la reconnaissance de la Traite négrière et l’esclavage ou encore celle de 2005 « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » et le fameux débat qui s’en est suivi sur « le rôle positif de la présence française outre-mer ».

 

Or pour comprendre pourquoi une telle sanctuarisation de l’histoire est problématique, il faut se souvenir des premières phrases de la pétition « Liberté pour l’histoire » lancée en décembre 2005 par Pierre Nora, appuyé par un grand nombre d’intellectuels, dans le journal Libération : « L’histoire n’est pas une religion. L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant. » La logique semble en effet infernale puisqu’en 2012 une loi visant à interdire les propos offensants à l’égard d’une personne ou un groupe de personnes à raison de l’identité sexuelle est votée. L’impression qui en ressort c’est que chaque minorité veut désormais sa loi et peut l’obtenir.

 

Nonfiction.fr : Notre arsenal juridique ferait le jeu du communautarisme…

 

AC : Oui ! L’exemple le plus édifiant est celui du procès intenté à Charlie Hebdo en 2007 sur le fondement de la loi Pleven par l’Union des Organisations Islamiques de France et la Mosquée de Paris en raison de la publication par l’hebdomadaire des caricatures de Mahomet. La formulation de la loi a donné l’impression que tous les musulmans de France portaient plainte contre Charlie Hebdo, alors même que très certainement l’écrasante majorité des musulmans ne connaissaient même pas l’existence de ce journal. Cela a aussi contribué à introduire dans le débat public cette notion de « communauté musulmane » sans que l’on sache trop à quoi renvoie cette notion, puisque la réalité musulmane en France est complexe, tout comme les réalités chrétiennes et juives. On voit ici comment derrière une loi qui pense bien faire se cache une réalité beaucoup plus complexe quand elle est mise en application.

 

Nonfiction.fr : Vous proposez donc de revenir à la loi de 1881...

 

AC : La loi de 1881 fait partie des grandes lois de la IIIe République. Elle suit celle sur la liberté de réunion de 1880 et précède celle sur la liberté syndicale de 1884, celle sur la liberté d’association de 1901 et enfin celle sur la séparation de l’Église et de l’État de 1905. Ces lois constituent l’armature à laquelle s’adosse encore aujourd’hui le régime français des libertés. L’équilibre de la loi sur la liberté de la presse de 1881 est impressionnant, rappelons aussi que cette loi a pour vocation d’abolir définitivement le délit d’opinion en France. Dans cette loi, la grande limite posée à la liberté d’expression est la diffamation personnelle, qui renvoie à l’atteinte à l’honneur en droit romain. Lorsqu’un citoyen fait l’objet d’une diffamation ou d’une insulte, il a le droit d’ester en justice pour se restaurer comme citoyen dans la cité.

 

Ce qui paraît complètement contre-nature avec la loi Pleven et les suivantes, c’est la protection non pas de la personne, mais du groupe. D’une part parce que le groupe est un concept vide, sujet à toutes les interprétations et tous les fantasmes possibles et d’autre part parce que donner le pouvoir à des associations, qui souvent ne représentent qu’elles-mêmes, de représenter des « groupes » participe de l’atomisation de la société. Surtout, cette idée est tout à fait contraire dans son esprit à l’idéal républicain français, que l’on peut opposer à l’idéal communautariste anglo-saxon, dans la mesure où la République se définit par le fait qu’elle ne s’adresse toujours qu’à des individus et jamais à des communautés, refusant ainsi qu’il y ait des corps intermédiaires entre l’Etat et les citoyens.

 

Je ne suis pas pour autant qu’il faudrait revenir strictement à la loi de 1881 et je suis même pour garder, en partie, certains articles de la loi Pleven, mais avec pour corollaire qu’ils ne s’appliquent qu’à des propos racistes ou antisémites ayant visé en particulier un individu. Je trouve, par exemple, parfaitement justifiée la plainte de l’ancienne ministre Christiane Taubira contre le journal Minute ou encore celle du journaliste Frédéric Haziza contre Alain Soral.

 

Nonfiction.fr : Que répondre à ceux qui dénoncent le deux poids deux mesures du droit dans les affaires de liberté d’expression?

 

AC : Toute la difficulté tient justement du fait que, dans la loi, il n’y a pas de deux poids deux mesures. Penser qu’il y a du deux poids deux mesures dans le fait de ne pas condamner les caricatures de Mahomet, tandis que l’on condamne le négationnisme, c’est ignorer que vérité religieuse et vérité historique n’ont pas la même place dans une société laïque et sécularisée. Sur ce point, et tant que ces lois existeront, il faut mener un véritable travail de pédagogie. Ensuite, le problème tient au fait que toutes ces lois donnent une impression de deux poids deux mesures et c’est justement parce qu’elles donnent cette impression qu’elles sont, à mon sens, contre-productives. Loin d’apaiser, elles contribuent au contraire à exacerber les tensions communautaires et les haines.

 

Nonfiction.fr : Les attentats du 13 novembre, par leur dimension aveugle, n’ont pas la même portée symbolique que ceux de janvier. La question du blasphème n’a d’ailleurs pas été soulevée cette fois-ci. Pensez-vous que le terrorisme entretienne un lien structurel avec le blasphème ?

 

AC : Le terrorisme djihadiste, parce que c’est un projet théologico-politique, a trouvé dans l’interdiction du blasphème un outil formidable, mais c’est un outil parmi d’autres. Les attentats de janvier 2015 s’inscrivaient dans un objectif de terreur, mais aussi de division de la communauté nationale. En s’attaquant à des journalistes blasphémateurs et à des juifs, les terroristes voulaient semer la discorde au sein du pays, ce qui a très bien fonctionné d’ailleurs. Cette tactique renvoie à celle théorisée déjà en son temps par Al-Qaïda. Les attentats du 13 novembre étaient, quant à eux, beaucoup moins « malins » politiquement puisqu’ils ont visé tout le monde sans distinction, c’est-à-dire tout Français. La réponse a donc été infiniment plus unifiée, en témoigne la ferveur soudaine pour le drapeau tricolore sur les balcons et les réseaux sociaux. 

 

Nonfiction.fr : Enfin vous achevez votre ouvrage en pointant la dichotomie qui existe sur la question du blasphème entre le Nord et le Sud. Deux approches fondamentalement différentes qui illustrent deux visions du monde antagonistes dont le rapport aux droits de l’homme semblent être l’une des clés de voûte essentielle. Comment réduire cet écart inquiétant ?

 

AC : Contribuer à réduire cet écart, c’est être prêt à combattre jusqu’à l’anéantissement le mal radical. La France a, de ce point de vue là, une vocation universelle, qu’elle a malheureusement tendance à oublier. Ce combat nécessite cependant de ne pas faire du respect des droits de l’homme une religion qui, en plus, déciderait de nos alliances à l’international. Je pense qu’il est fondamental de rappeler que la violence physique est de toute autre nature que la violence symbolique, non pas pour minimiser cette dernière, mais pour comprendre où sont nos priorités

 

Les bûchers de la liberté

Anastasia Colosimo

Éditions Stock

232 pages, 18,50 euros

 

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