Auteur d’une vingtaine de récits (romans ou récits géographiques), Olivier Rolin livre en ce début d’année 2016 une courte fiction, Veracruz.

 

Vingt-cinq ans après sa venue au Mexique où il avait été invité pour donner des conférences sur Proust, le narrateur de Veracruz raconte sa rencontre d’alors avec Dariana, jeune cubaine dont il s’éprit, aussi belle que mystérieuse, « amour-faucon », disparue presque aussitôt qu’elle lui fut apparue, le laissant avec le vain espoir d’un jour la retrouver. Ou de comprendre…

Car cette simple trame d’une passion amoureuse remémorée s’ouvre bientôt sur une énigmatique mise en abyme : peu de temps après la disparition de Dariana, alors qu’il végète à Veracruz dans l’alcool et le souvenir, le narrateur reçoit par la poste un pli contenant quatre récits : quatre voix narratives prises dans un nœud de passions mortelles. Comment ne pas imaginer que Dariana se trouve derrière ces récits ?

Dans le décadent palais Medina-Schmidt, à Veracruz même, trois hommes vivent autour de la belle Susana. Hanté par son désir pour elle, Ignace, le jésuite défroqué, lui lit des sonnets de Quevedo, sous les yeux du compagnon de Susana, un truand nommé Miller. Menacé par ce dernier d’être châtré, le probable père de Susana, El Griego, vit dans l’ombre et le souvenir de l’effroyable inceste qu’il lui a fait subir et qu’il brûle de revivre. Dans un style qui lui est propre, chacun de ces quatre personnages, frémissant à la fois de désir et de haine ou de honte, paraît différer, l’espace d’un bref et intense écrit, la probable implosion de ce violent huis-clos.

Longtemps après qu’un cyclone, appelé lui-même Susana, ne dévaste vraiment Veracruz (le palais Medina-Schmidt avec), et même bien après qu’il aura quitté le Mexique, le narrateur de Veracruz continuera à relire, puis traduira, ces quatre récits, y cherchant le signe que lui aurait tendu Dariana ; mais souvenir et présent, réalité et littérature ne sont-ils pas appelés à se confondre ? C’est à une réflexion sur la beauté et sur le temps que nous convie Olivier Rolin. L’art et l’amour y sont célébrés ensemble.

Après un précédent roman (Le Météorologue, 2014) au cœur de l’écrasante machine soviétique, l’auteur renoue, à travers une écriture dense et lyrique, avec les thèmes qui hantaient déjà son œuvre dans Port-Soudan (1994) ou Méroé (1998): l’amour, la mort et la littérature se côtoient dans une prose aux accents romantiques. Le Mexique de Veracruz est peuplé d’échos littéraires : la menace d’une déchéance, à laquelle la nature fait écho, rappelle Au-dessous du volcan de Lowry ; les quatre récits insérés, à la manière de monologues tragiques, semblent nous transporter dans un espace-temps mythique hanté de passions féroces. Ce roman à la structure ouverte peut être lu comme une variation littéraire sur le thème de l’ivresse : « Chacun des moments beaux qui nous est donné est une fin en soi, une perfection dont il faut se laisser envahir »   . Ivresse du désir, du souvenir, d’une lecture ou d’une musique, ivresse de la beauté toujours

 

Veracruz
Olivier Rolin
Verdier
126 pages, 13 €