En donnant à voir les grèves de la Belle Epoque, les cartes postales ouvrent la voie à une histoire sensible des luttes sociales.
Depuis le XIXe siècle, les mouvements sociaux sont sans conteste, avec les catastrophes, l’aspect le plus médiatique de la vie ouvrière. Dans Le Temps des révoltes, Anne Steiner choisit de traiter des révoltes ouvrières du début du XXe siècle au travers des cartes postales. Cette période est en effet une belle époque pour ce media en plein essor puisque ce ne sont pas moins de 300 millions de cartes postales représentant tous types d’événements qui sont éditées en 1907 .
Dans son introduction, Anne Steiner revient sur le contexte social et rappelle que jusqu’en 1913 le nombre de grèves s’élève à un chiffre oscillant entre 1000 et 1500 par an. Elle présente ensuite l’essor de la carte postale, possible notamment grâce à un nouveau procédé d’impression, la phototypie, dont l’emploi se généralise en 1902 et qui permet une production en grand nombre. Présenter cet essor est aussi l’occasion de brosser, quoique trop rapidement, le portrait des éditeurs parisiens et provinciaux, et de décrire le mode de diffusion des cartes postales.
Voir les grèves
Anne Steiner choisit de revenir sur neuf grèves qui se sont déroulées entre 1905 et 1911 en s’attachant aux critères suivants : chaque mouvement doit avoir été suffisamment « médiatique » pour avoir suscité un nombre significatif de photographies et donc de cartes postales ; et les grèves présentées doivent permettre une représentativité des différents secteurs d’activités (mineurs, dockers, vignerons, cheminots…) ainsi qu’une représentativité géographique. Les chapitres consacrés à ces neuf mouvements sont toujours composés d’un texte expliquant le contexte de la grève, son déroulement, ses protagonistes et ses éventuelles suites, et d’une série de cartes postales légendées. Chaque chapitre se termine par un zoom sur un acteur (la future résistante Gabrielle Petit, le mineur anarchiste Benoît Broutchoux…) ou un fait caractéristique des grèves (la solidarité, le sabotage).
On peut regretter que l’ouvrage s’attache plus à raconter les événements qu’à les mettre en relation avec les cartes postales, qui par ailleurs ne sont pas analysées. Celles-ci donnent à voir des faits saisissants, par leur caractère atypique (des voyageurs finissant à pied leur trajet lors de la grève des cheminots) ou leur charge émotionnelle (lors des charges de la troupe ou des cortèges funèbres). Le récit des événements traduit parfois plus qu’un simple fait : la démarche des mineurs venus applaudir les cossiers à la sortie de leur procès dénote ainsi une certaine conscience de classe.
Poser, mettre en scène
Le Temps des révoltes permet également de pointer des caractéristiques communes aux grèves, que ce soit dans leurs causes (révolte contre un contremaître abusif, pour une demande d’augmentation, pour la diminution du temps de travail), dans leur déroulement (présence de chansons et du drapeau rouge, destruction de biens appartenant aux patrons, demande de libération des leaders arrêtés, intervention de la troupe, traque des jaunes, confrontations avec les forces de l’ordre) ou encore dans la solidarité (enfants emmenés dans des familles, soupes populaires).
Par le texte et par l’image, l’ouvrage offre une lecture agréable et accessible. On peut tout de même regretter le manque de décryptage de certaines cartes postales, dont on aurait aimé connaître le contexte de réalisation. En effet bien que l’auteur nous présente dans l’introduction les principaux éditeurs, rien n’est dit sur leur parcours, dont certains éléments auraient pu éclairer leur relation avec les grévistes et les conditions de prises de vue pour lesquelles les grévistes acceptent de poser