En écrivant la pièce « Roberto Zucco » en 1988, Koltès s’est librement inspiré d’un personnage réel, le tueur en série Roberto Succo. Au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis, le metteur en scène Richard Brunel raconte l’histoire d’un homme qui a déraillé et le spectateur se retrouve engouffré dans un monde étrange fait de violence et de poésie.
Roberto Zucco, inculpé pour le meurtre de son père, s’échappe de prison sous le regard sidéré de deux gardiens. Le jeune fugitif retourne chez sa mère pour prendre quelques vêtements et la tue dans une étreinte se transformant en étouffement. Tel un fantôme disparaissant dans la nuit il poursuit son chemin fait de rencontres et de meurtres sans que l’on sache précisément ce qui déclenche cette pulsion meurtrière. Lui-même le sait-il seulement ? La route de Zucco croise celle de la gamine, jeune fille paumée venant d’une famille dysfonctionnelle, dont il sera le premier homme et qui fera tout pour retrouver la trace de Zucco par la suite …
Dans la scénographie d’Anouk Dell’Aiera, une multitude de panneaux délimite le plateau, les uns transparents, les autres tachés d’encre (ou de sang ?). Ils dessinent un décor labyrinthique et troublant.
Un mouvement incessant s’installe dès le début du spectacle, les panneaux roulent, sont soulevés, poussés, abaissés, enlevés, créant de nouveaux espaces de jeu en permanence : on passe ainsi de la prison à la maison de Zucco, puis à l’appartement de la gamine. Appartement se transformant en salle d’interrogatoire, en maison close et en jardin public. Tourbillon rythmé qui fait perdre les repères par moments, ces repères dont manquent aussi bien Zucco que la gamine. Chaos semblable à celui dans la tête de Zucco dont on sent la nervosité et l’imprévisibilité à tout moment.
La façon dont est utilisée la lumière contribue à créer une ambiance particulière : le plateau quasiment noir du début, éclairé uniquement par les rayons lumineux des lampes de poches des gardiens, fait place à des séquences plus ou moins lumineuses, jusqu’à ce que la lumière éblouissante de la dernière scène force les spectateurs à fermer les yeux : « Le soleil monte, devient aveuglant comme l’éclat d’une bombe atomique »
À la fin on aperçoit Zucco sur le toit de la prison dans une nouvelle tentative d’évasion. L’auteur Koltès imaginait Zucco seul sur scène à ce moment-là, entouré de voix de personnes invisibles comme si on ne devait pas vraiment savoir lesquelles de ces voix étaient réelles et lesquelles uniquement le fruit de son imagination. Richard Brunel va résolument à l’encontre de cette indication et ancre la dernière partie dans notre présent : le personnage principal est soudainement entouré d’une équipe de télévision qui l'interviewe et filme sa fuite en direct comme le font les chaînes d’information en continu. Cette critique du sensationnalisme de notre époque est un choix de mise en scène qui fonctionne bien.
Zucco est joué par Pio Marmaï (qui ressemble étonnement au vrai Succo) avec une sorte de vitalité animale, très physique et oscillant sans cesse entre violence et poésie. On suit ce personnage et on se retrouve comme lui étonné de ses actes, ces assassinats à répétition. Individu perdu qui semble chercher la mort. Noémie Develay-Ressiguier, actrice formée à l’école supérieure d’art dramatique de Strasbourg, interprète le rôle de la gamine. Vibrante, forte et fragile en même temps, elle rend le personnage de la jeune fille qui se débat avec ce monde brutal très attachant.
Ce « Roberto Zucco » est un spectacle qui passe de la violence à la poésie en un clin d’œil, sombre et beau, à l’image de cette pluie de sacs plastiques recouvrant le corps d’une des victimes de Zucco telle une couche de neige, créant ainsi une image dérangeante et fascinante
Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès
Mise en scène de Richard Brunel
Au Théâtre Gérard Philipe, du 29 janvier au 20 février
Durée approximative : 1h40