C’est le dixième ouvrage, en poésie, de Philippe Delaveau chez Gallimard. Ce poète s’inscrit dans la lignée de Claudel qui se voulait « inspecteur de la création ». Le titre donne à entendre cette filiation. Delaveau, capable de haïkus – forme poétique très brève, d’origine japonaise – qui d’ailleurs ouvrent et ferment le recueil, reprend bien le souffle, le vers ample et charpenté – sans aller toutefois jusqu’au verset, comme son « prédécesseur » Claudel.

Une note finale lui permet de concrétiser sa poésie : « Elle est, écrit-il, jubilation devant le sens inépuisable que toute chose ici-bas expose à qui sait voir, […] non seulement le territoire sans limites qui s’étend hors de nous, […] mais encore le monde apparemment indéchiffrable que nous sommes à nous-mêmes – que sont à nos côtés les autres – en somme un mystère d’une profondeur infinie. […] La poésie s’intéresse encore en premier lieu à ce qui est, dans l’ordre le plus réel, des objets les plus humbles aux plus profonds labyrinthes de la psychologie, avant de déboucher sur l’ordre spirituel où elle s’efforce d’asseoir le ciel de sa contemplation. »

 

Ce recueil s’ouvre sur quatre exergues, dont le premier reprend l’alexandrin célèbre de Dadelsen : « La terre apprise avec effort est nécessaire ». Ensuite, il faut naviguer à vue, poème après poème. Il n’y a pas de partie, de marche pour s’élever. Les sujets des poèmes sont tangibles, concrets : les moyens de transport, tels l’avion, le train, la voiture, alternent avec les lieux les plus divers, de Londres en automne à l’Inde, sans omettre les Ardennes et un Rond-point des Champs-Élysées. Apparaissent aussi divers gens de métiers : les égoutiers, le veilleur de nuit, le couvreur. Enfin, divers animaux, arbres et fruits côtoient Dieu. C’est un recueil très varié qu’Invention de la terre, en même temps qu’empreint d’une profonde unité.

 

Philippe Delaveau écrit :

« Tout simple et digne ici respire et salue l’air

De mai très bleu et gai dans la stabilité nouvelle de ses formes,

Le tremblement des feuilles, les couleurs neuves recréées. »

Globalement, le monde qui nous entoure et, selon le poète, nous dépasse, est beau. Susceptible d’engendrer pour certains « devenus des prédateurs » une déréliction, le monde offre un sens. C’est à nous de le dévisager humblement. L’amour humain, « seul viatique sur terre pour les amants », tient peu de place dans ce recueil, hormis dans le poème “Transsibérien” qui s’achève ainsi : « Restons ici main dans la main, les pieds bien posés sur la terre / l’éternité fait son nid dans nos cœurs, le reste est éphémère ». Le salut est dans l’altitude, parce que « de cette vie il ne reste que des actes trop rares », et, déplorant la lourdeur, les mots sont pesants. « Jamais ton vers / ne ralliera le ciel en remuant les ailes. »

 

« J’écris non pas sous le soleil trop dur, le remuement des hommes

Mais à cette heure d’ombre, de solitude, sur les trottoirs d’hiver,

J’habite à la frontière entre l’intraduisible et la clarté.

[…] un chant qui vient de moi et ne vient pas de moi,

m’assaille, obsède et déconcerte. »

Tout le recueil va, monte vers cette voie de lumière. Cette montée est belle où le poète distribue des merveilles sur son passage. Ainsi les fins pétales de la fleur d’amandier sont-ils « plus doux que le prépuce ou les paupières ». Quel poète a su dire « ce chemin qui comme un linge s’entortille » ? Philippe Delaveau est convaincant à énumérer les étranges preuves que tout n’est pas néant, que « le désir d’éternité nous hante », que « l’autre vie creuse et nous parle sans fin », que « la joie / malmène en nous la mort et la matière ». Avec Flamme, Les Cigognes et quelques autres titres, Joie est l’un des très beaux poèmes du recueil. La perfection tient à cet art d’entretisser le spirituel et le réel, pour produire à chaque page « un éclair venu de ce versant caché du monde ». Un bonheur à lire

 

Philippe Delaveau 

Invention de la terre

Gallimard, 2015