Au Théâtre de Belleville, à voir ces jours-ci : « Iliade», d'après l'épopée homérique, mise en scène par Pauline Bayle.

 

Iliade. La Compagnie À tire-d'aile a fait tomber le « l' ». La disparition d'un déterminant ne peut être un petit jeu sans conséquence quand l'ambition est de porter à la scène l'épopée d'Homère. 24 chants, 15 337 vers, un format qui sur le papier peut rebuter. Mais les choix de mise en scène de Pauline Bayle sont ici clairs et déterminés : réduire l'écart apparent entre le texte, la scène et le public.

 

Iliade. En faire un nom propre pour le rendre plus familier. Les premiers vers s'élèvent hors plateau, les comédiens mêlés à la foule prennent le risque du froid, l'espace ordinaire se recompose et ce sont Achille, Agamemnon et Ménélas qui nous rallient à leur cause. Apostrophé, chacun de nous devient un de ces chefs grecs (Arkésilaos, Epistrophos, Aias, Sthénélos, etc) rejoignant dieux et héros avec sa flotte de vaisseaux. Sur le plateau, la tension dramatique est entrecoupée de scènes plus « légères » où les vices et travers humains des dieux sont joués dans un langage contemporain et décalé, pour nous rendre ces derniers plus proches – un choix qui, selon les goûts, peut faire rire ou paraître anecdotique. De l'épopée initiale dans laquelle Grecs et Troyens s'affrontent, des vers sont choisis pour nous raconter la colère d'Achille, contre Agamemnon qui lui a volé son esclave et contre Hector qui a tué son ami Patrocle. Puisque « la guerre est la chose des Hommes », le lien entre ce monde et le nôtre est cette insatiable violence.

 

Iliade. Une fois le déterminant tombé, il n'y a plus de genre ni de nombre qui tiennent. Les comédiens et comédiennes y jouent indifféremment des hommes ou des femmes. Et l'individu est pluriel : Charlotte Van Bervesselès est Achille et Aphrodite, Alex Fondja est Zeus, Diomède, Ajax et Andromaque.... Un choix qui donne toute sa dynamique à la pièce. Il y a là une vraie performance de jeu à pouvoir soutenir le texte d'un personnage à l'autre sans ne rien perdre du fil de la narration et de ses inflexions. Mais la multitude est aussi UN puisque, réunis au devant de la scène, les six interprètes portent en choeur le récit, la parole commune.

 

Iliade. Par sa nature, un nom propre n'a plus besoin de déterminant pour être identifié, il renvoie à une réalité du monde : ici celle construite sur le plateau. Ce qui y est convoqué, c'est la puissance de l'imaginaire, c'est-à-dire la capacité à faire des images, propre à la tradition orale de l'épopée. Les scènes s'enchaînent sous forme de tableaux : corps campés et paroles animées d'un élan vigoureux, géométrie de l'espace scénique orchestrée. Les voix des comédiens s'élevant aussi haut et loin que leurs regards veulent nous embarquer. Les situations ne sont pas mimées, ni les affrontements reconstitués. La première place est laissée à la force du récit, et donc aux images portées par lui que les comédiens plantent dans nos yeux. Celles des corps qui s'écroulent, que l'on transperce, que l'on dépouille... Dans un décor épuré, des éléments déclenchent notre imaginaire : le sable pour tracer de nouvelles limites, les paillettes dont on s'enduit pour faire armure, une éponge gorgée de sang que l'on presse comme les corps. A ce titre, le dernier temps de la pièce, celui de l'affrontement final, se distingue par sa force d'évocation et sa poésie

 
 

ILIADE, d’après Homère, au théâtre de Belleville du 25 novembre 2015 au 7 février 2016.

Adaptation et mise en scène Pauline Bayle

Avec Florent Dorin, Alex Fondja, Jade Herbulot en alternance avec Pauline Bayle, Yan Tassin et Charlotte Van Bervesselès

Durée : 1h20