Le 28 novembre dernier, Dany Laferrière était l’invité d’une conférence à la Sorbonne, intitulé « J’écris comme je vis ». Cette phrase, empruntée à l’entretien que Bernard Magnier réalisa avec Dany Laferrière en 2000, révèle la pensée du nouvel académicien, ainsi que sa vision de la littérature et du statut de l’écrivain. Plusieurs thèmes furent abordés par Dany Laferrière, seul sur scène, face à un public hétéroclite.

 

« J’écris en pyjama mais je lis dans ma baignoire »

 

Depuis 1985, Dany Laferrière forme toute son œuvre autour de la mise en scène de son propre personnage. La mise en scène de l’écrivain et de la littérature demeure le lien qui unit tous ses livres, des essais aux romans. Même s’il tient à la distinction entre sa vie et ce qu’il raconte dans ses romans, les deux se mêlent malgré tout. Le lecteur attentif remarquera que, depuis Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, Dany Laferrière s’applique à construire sa propre image de l’écrivain. On retrouve les mêmes éléments qui forment le socle de chacun de ses livres : écrire sur une Remington 22, toujours habiter près d’une librairie, ne jamais oublier d’insérer au détour d’une page des références littéraires…

Toute son œuvre est liée par des éléments communs. Les livres se répondent les uns aux autres grâce à des détails, des anecdotes que le lecteur retrouve de page en page, de livre en livre. Dans ces détails qui paraissent anodins, on remarquera qu’aucun de ses romans n’oublie de mentionner la mangue, qui semble être le fruit fétiche de l’écrivain, ni la baignoire qui est le lieu de la lecture. Quant au dieu Legba que l’on retrouve dans quelques-uns de ses romans, Dany Laferrière est allé jusqu’à en faire l’emblème de son épée d’académicien. Ce dieu qui sépare le monde visible du monde invisible devient pour lui le dieu des écrivains. Tous ces éléments construisent au fil des romans l’image de l’écrivain.

 

Le rapport au lecteur

 

« Chaque lecteur est devant l’ensemble de la bibliothèque du monde […] C’est incroyable qu’il vous choisisse, vous. Son acte est plus fort que ce que l’écrivain a fait. […] Le lecteur met sa vie entre parenthèses pour vous lire. » Pour Dany Laferrière, le lecteur est l’élément de la chaîne le plus important. Sans lui, il n’y a finalement pas de littérature. Le lecteur est le maillon sans lequel la littérature n’a pas de sens. Il va même jusqu’à dire que les prix des lecteurs ne devraient pas récompenser des écrivains, mais les lecteurs eux-mêmes. Il voudrait un prix récompensant les meilleurs lecteurs afin de rehausser la noblesse de la lecture.

 « Si vous voulez chercher la puissance d’un livre, cherchez son lectorat. » Comme beaucoup d’écrivains, il estime que la lecture est aussi importante que l’écriture. En revanche, qu’il y a une bataille inégale entre l’écriture qui prend des années, et la lecture de ce même texte qui ne prend que quelques heures. Avant d’enchaîner sur sa vision du statut de l’écrivain, il conclut ce moment de la conférence avec une anecdote. Alors qu’il vient présenter son livre dans une librairie, une femme vient le voir pour lui parler des difficultés qu’elle a éprouvées à la lecture de l’un de ses livres. Dany Laferrière, avec humour, lui a répondu : « Madame, je ne vous raconte pas mes problèmes d’écriture, alors ne me parlez pas de vos problèmes de lecture. »

 

« Je suis un écrivain japonais »

 

Pour conclure cette conférence, Dany Laferrière évoque ce qui est pour lui une aberration : catégoriser les écrivains. Pour lui, l’écrivain n’a pas de nationalité, il est de la langue et du pays de celui qui le lit. Et il rajoute : « Je ne suis pas un écrivain haïtien. Un écrivain vient de sa bibliothèque. […] Ça n’existe pas l’écrivain haïtien, car la bibliothèque est toujours multiple. Je fus d’ailleurs obligé d’écrire Je suis un écrivain japonais. » Au-delà du fait de traverser les continents, la littérature « doit avoir un matériel capable de traverser les siècles ». Son discours nous place devant la grandeur de la littérature, composée depuis des siècles de seulement 26 lettres qui « supportent ces milliards de livres »

 

À paraître :

 

Dany Laferrière, Mythologies américaines

Grasset, 557 pages, 22 €.