En partenariat avec l’association Citoyennes pour l’Europe, l’Odéon invitait ce samedi Lukas Hemleb à parler d’opéra.

La rencontre s’est ouverte par une minute de silence en hommage à Luc Bondy, le directeur du théâtre de l’Odéon, décédé le 28 novembre. Lukas Hemleb l’avait rencontré alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’années, et avait été invité dans cette même petite salle, (autrefois nommé le « petit odéon »), où a eu lieu la rencontre. Moment émouvant donc.

Né en 1960 en Allemagne, Lukas Hemleb découvre le théâtre à Francfort dans les années 80. Il continue son apprentissage en partant à l’étranger. Il vit d’abord en Italie et en Belgique et, au début des années 1990, après avoir réalisé quelques projets au Cameroun et du Nigeria, il s’installe en France, où il se fait vite connaître par ses projets hors des chemins battus.

On lui propose de mettre en scène des opéras, ce qui était très nouveau à l’époque (alors qu’aujourd’hui c’est devenu une chose tout à fait commune). Hemleb parle d’un « passage organique » entre le théâtre et l’opéra. Il souligne qu’aujourd’hui il y a une complicité engagée entre le metteur en scène et le chef d’orchestre, alors qu’il y a trente ans, c’était « la guerre des tranchées ». Maintenant, les chanteurs reçoivent aussi une formation de comédiens, ce qui n’était pas le cas avant.

La comédienne Claire Sermonne, qui animait la rencontre, lui demande alors si l’idée de l’Europe n’est pas en danger, dans la période que nous traversons. Hemleb parle de la génération de maîtres qui est en train de disparaître (le dernier en date étant Patrice Chéreau), qui incarnaient une certaine idée de faire du théâtre. Nous vivons dans une période de repli, où la circulation des idées telle qu’elle a pu exister en Europe, ne marche plus – alors même qu’il est devenu si facile de communiquer. Hemleb prend l’exemple de Haendel et Mozart, qui  se connaissaient beaucoup mieux que la plupart des compositeurs contemporains ne se connaissent aujourd'hui.

Lukas Hemleb se dit intéressé par la tragédie « à titre personnel ». Selon lui, l’opéra est né de la volonté de la Renaissance de redécouvrir des racines qui sont antérieures au monde chrétien. L’opéra est créé pour faire chanter les mythologies grecques. La manière de penser l’homme de la Grèce nous met en question, dit-il en s’appuyant sur Jean-Pierre Vernant. « L’homme est en train de devenir, de ne pas être dans un déterminisme, dans une condition qui nous enferme ». Hemleb a notamment mis en scène Iphigénie en Tauride l’an passé, et l’Orestie cette année (qui est également présentée à l’Odéon en ce moment dans la version de Romeo Castelluci). Il affirme que c’est bouleversant de travailler sur de telles œuvres. C’est un langage poétique, où il y a dans le tout ce que l'on trouve dans les parties – ce que Hemleb appelle la ramification du texte. Selon lui, on peut trouver le sens général du texte dans quelques lignes.

Par exemple, la grande scène de Cassandre a pour lui un effet émotionnel énorme. Non seulement c’est une grande prêtresse qui sait qu’elle va mourir. Elle ne prophétise pas seulement sa mort, et celle d’Agamemnon, mais aussi celle de Clytemnestre quelques années après. « Quel génie sans nom d’avoir fabriqué une boîte magique comme celle-là ! » s’exclame Hemleb. Le metteur en scène s’émerveille plus loin que quarante ou cinquante mille personnes aient pu voir Moses und Aron à la Bastille cette année.On se demande en effet comment se fait-il que les opéras soient pleins à craquer ?

Pour en revenir à la question de l’Europe, l’opéra semble être l’art qui nous réunit au-delà des frontières. Mais, précise Hemleb, « ce n’est pas si facile que ça ». L’opéra n’est pas un langage unitaire, unifié. L’opéra est très différent dans les pays européens, et d’abord du fait de leurs infrastructures. En Allemagne, par exemple, il y a une tradition des grandes entreprises culturelles. Toutes les villes disposent d’un opéra, d’une troupe, d’un chœur, d’un orchestre, d’un ballet. En France il  y a peut-être vingt endroits où on joue du lyrique (le public renchérit : « moins ! »), en Allemagne il y en a soixante-dix. En France c’est toujours considéré  comme un art très élitiste, alors qu’en Allemagne c’est presque obligatoire pour un enfant de quinze ans d’avoir été une ou deux fois à l’opéra dans sa vie (pour écouter La Flûte Enchantée, d’abord).

S’il existe différentes approches de la mise en scène à l’échelle européenne, Hemleb conclut en disant que les unifier ne serait pas désirable, que ces décalages sont intéressants pour la création. C'est ainsi que se termine cet entretien sur le théâtre, l'opéra et l'Europe

 

Pour aller plus loin :

Écouter la conférence Regards sur l'opéra, avec Lukas Hemleb (Théâtre de l'Odéon, samedi 12 décembre 2015, 17h)