Un petit précis sur l'histoire de la Mésopotamie.

L’"utilité négative" de l’œuvre de Jean Bottéro, disparu en décembre dernier, telle que lui-même s’était plu à qualifier ses recherches il y a une vingtaine d’années, transparaît avec vitalité dans ses ouvrages de vulgarisation. Parmi eux, celui qu’il avait écrit pour la collection Découvertes Gallimard, Babylone. À l’aube de notre culture, réédité plusieurs fois. Cet ouvrage rassemble les qualités de la collection : une approche générale du sujet qui permet d’en comprendre les lignes principales et les problématiques ; des illustrations qui permettent de se faire une idée des "incontournables" liés au thème de l’ouvrage (orfèvrerie, iconographie…). La familiarité qu’entretenait J. Bottéro avec son sujet explique la réussite de l’entreprise, puisque ce livre permet une initiation rapide à l’histoire d’une région aujourd’hui malmenée.

Le plan choisi fixe d’abord les cadres chronologiques de ce que J. Bottéro appelle "la civilisation mésopotamienne", depuis le IVe millénaire av. J.-C. jusqu’à la période romaine. S’ensuivent des présentations thématiques sur l’écriture, le pouvoir royal, la vie quotidienne, l’élite intellectuelle et la religion. Les annexes présentent les grandes œuvres littéraires que nous ont laissées les Mésopotamiens, le mythe du Supersage et l’épopée de Gilgamesh.

Ce plan classique, s’il a l’avantage de clarifier une histoire longue et complexe, ne permet pas d’en appréhender précisément les évolutions ; ou plutôt, la présentation adoptée évoque les évolutions dans les divers domaines sans forcément les mettre en relation. De même, le concept de "civilisation mésopotamienne" s’appliquant sur quatre millénaires gomme les différences spatiales et temporelles. Néanmoins, malgré ce défaut et quelques formulations un peu (trop) faciles sur les Sémites (les Akkadiens), l’ouvrage permet de prendre rapidement conscience des principaux traits de cette histoire pluri-millénaire.


L’histoire antique de la Mésopotamie

L’origine double de la "civilisation mésopotamienne" est un des facteurs de sa richesse : au nord, les Akkadiens, peuple d’origine sémitique, descendent progressivement entre les deux fleuves, jusqu’à rencontrer les Sumériens installés au sud, à l’origine inconnue. Deux révolutions importantes interviennent au IVe millénaire : l’invention de l’écriture par les Sumériens et la constitution des cités.

Il faut nuancer ce dernier point par une information complémentaire : l’apparition de la cité est un phénomène qui ne se limite pas à la Mésopotamie, puisque vers 3900 av. J.-C. la cité de Tell Brak, dans le nord de la Syrie, était tout aussi florissante que Ur et Uruk, en Mésopotamie du sud. Mais il reste certain que la création des cités fut un phénomène déterminant pour l’évolution de la région : les territoires soumis au contrôle d’une autorité politique étaient organisés par le biais de cette autorité, ce qui eut des conséquences sur les systèmes d’irrigation permettant la culture entre les deux fleuves. Les exploitations qui se créèrent alors devaient tenir le compte des productions et de la consommation, et les premières tablettes en écriture idéographique, puis cunéiforme, témoignent de ces préoccupations. Le lien est donc étroit entre évolution politique, évolution agricole et apparition de l’écriture.

Au cours des siècles, quelques-unes de ces cités étendirent leur zone d’influence bien au-delà du territoire originel : Akkadè fut à la tête d’un empire allant de l’Iran occidental jusqu’à la Syrie sous le règne de Sargon le grand (2334-2279) ; le roi Hammurabi permit à sa cité, Babylone, de dominer une large région vers 1790-1750.

Mais la Mésopotamie, fertile, riche et pénétrable par les vallées fluviales, fut envahie à plusieurs reprises ; durant les siècles troublés, l’Assyrie, au nord, s’éleva en royaume indépendant au IIe millénaire puis lança des offensives jusqu’en Égypte. Alors que Babylone commençait à retrouver son influence en Mésopotamie centro-méridionale, les Perses se rendirent maître de la Mésopotamie (Babylone fut prise en 539). À partir de là, la région perdit totalement son indépendance, soumise aux Achéménides jusqu’en 330, puis à Alexandre, pour devenir une partie du royaume séleucide à la fin du IVe siècle av. J.-C. Une culture mésopotamienne sclérosée subsista à travers l’usage du cunéiforme par un petit groupe de lettrés jusqu’en 74 apr. J.-C., année pour laquelle nous possédons le dernier document en cunéiforme.


L’écriture cunéiforme et le pouvoir politique

La complexité de l’écriture mise au point par les Sumériens, qui pouvait transcrire aussi bien le sumérien que l’akkadien, venait de son abstraction : les idéogrammes initiaux cédèrent la place à des signes qui à la fois représentaient une chose et transcrivaient des sons ; la combinaison de deux signes (donc deux signifiés) permettait, en usant de leur valeur phonétique, de désigner un troisième signifié. Le système était si complexe que seuls quelques savants pouvaient le maîtriser, après plusieurs années d’étude. Même les rois n’appartenaient pas à ce groupe d’élus, sauf exception. La connaissance était donc réservée aux scribes, qui consignaient non seulement les comptes des exploitations et des cités, mais également les lois, les présages et leur signification, les règles de médecine empirique, les calculs astronomiques et astrologiques, et la description des phénomènes naturels selon des classifications bien précises.

Le pouvoir monarchique était une invention des dieux donnée aux hommes ; mais on ignore ce qui légitimait le pouvoir d’un fondateur de dynastie, et le pouvoir des rois était tempéré par l’existence d’une ou deux assemblées. Les rois gouvernaient leur cité ou leur empire grâce à une administration hiérarchisée, et la gestion locale se faisait par le biais d’assemblées. On regrettera que J. Bottéro n’ait pas évoqué, à propos de toutes ces assemblées, le problème de la citoyenneté, mais les sources ne permettent pas d’en savoir beaucoup sur ce point.


Des mythes pour accepter une vie difficile

La religion mésopotamienne était un mélange des conceptions sumériennes et akkadiennes. Sumérienne, la multiplication des divinités liées aux éléments constitutifs du monde (le Ciel, la Terre, l’Enfer où vont tous les fantômes des morts, les Fleuves…). Akkadienne, la simplification de ce panthéon autour de divinités principales : Enlil, son père An (Anu) qui conservait l’autorité morale du fondateur de la dynastie, son frère Enki (Ea) qui tenait lieu de conseiller ;  en face, une déesse féminine, Innana (Ishtar).

La religion permettait d’expliquer les phénomènes naturels mais aussi la position de l’homme dans le monde. L’homme, fait d’argile et destiné à redevenir argile à sa mort, avait été créé pour éviter aux dieux de travailler. Ainsi s’expliquaient les labeurs incessants des paysans : une vie au service des dieux, qui déterminaient la destinée de chacun. Rendre un culte aux dieux était le premier devoir des hommes. Le bien et le mal n’étaient pas des notions morales : était bien ce qui correspondait à la volonté des dieux. L’idéal de l’homme mésopotamien restait donc simple : vivre, manger et boire selon ses besoins, aimer à son goût sans léser personne. Un idéal sans recherche eschatologique, mais qui maintenait la cohésion de la société.


On aurait aimé que des réflexions soient lancées à propos de l’influence mésopotamienne sur la religion juive lors de la déportation à Babylone (le thème du déluge, par exemple), mais là n’est pas le but de l’ouvrage. Ce rapide aperçu de la civilisation mésopotamienne, malgré ses lacunes, permet de comprendre l’essentiel : l’importance de la cité et de la cohésion sociale pour permettre aux communautés de survivre dans un environnement difficile ; le rôle des mythes et de la religion ; la place de l’écriture dans la vie quotidienne et administrative, mais aussi l’apparition de la littérature.


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Crédit photo : litmuse / Flickr.com