Le retour de Jim Harrison est toujours précédé d’une attente immense. Le maître du nature writing, qui nous ferait presque aimer la pêche, les longues heures dans l’eau froide des forêts du Michigan, et qui peint les décors les plus somptueux, possède en France un lectorat fidèle et impatient. D’autant que ses derniers opus nous avaient entraîné vers des destinations encore inconnues. Sombre à tendance polar pour Grand Maître, poétiques, voire mystiques, avec Nageur de rivière.
Dans Péchés capitaux, Sunderson, après avoir démantelé la secte du Grand Maître, est à la retraite. Toujours alcoolique et mélancolique, les questions sur son existence et l’importance de son être sont plus vivaces que jamais et le vieil inspecteur aspire à un peu de silence et de tranquillité.
À la suite d’un séjour rocambolesque à Paris, il se retrouve en possession d’une jolie somme d’argent qu’il décide d’utiliser pour réaliser un de ses rêves : se trouver un petit chalet peinard dans le Grand Nord du Michigan où il pourra pêcher, marcher et, peut-être, écrire. Mais, évidemment, tout ne se passe pas aussi bien que prévu et Sunderson comprend vite que ses nouveaux voisins, la famille Ames, fera fuir les truites.
Lire Péchés capitaux, c’est presque lire un testament romancé de Jim Harrison et de ses œuvres. Car l’homme qu’il dépeint, et les embûches qu’il place sur son chemin, qu’elles soient d’ordre matérielles ou spirituelles, nous renvoie à lui, écrivain reclus dans le Montana, vivant le rêve de son héros.
Pourtant, il ne faut pas parler ici d’autobiographie mais plutôt de conte. Car le style de Jim Harrison a évolué depuis Dalva, s’éloignant d’une réalité que l’on pouvait agripper, changeant la position du narrateur, s’éloignant presque de la trame pour ne garder que les impressions de son héros et ses pensées.
Ce style peut être déroutant. Dans Grand Maître déjà, il forçait une distance avec les événements racontés, qui étonnait. Ici, la distance est tout aussi marquée mais le sentiment de détachement est moins gênant car il est clair que pour Harrison les turpitudes des âmes n’est pas le nœud central de son roman. Son objet d’étude est bien son héros, Sunderson, à qui il va faire subir un grand nombre de violences physiques et morales. À tel point que ce dernier n’aura de cesse d’essayer d’écrire sur la violence comme huitième péché capital.
Ces fameux péchés capitaux sont en effet le fil rouge auquel s’accrochent toutes les réflexions de Sunderson. Paresse, orgueil, gourmandise, luxure, colère, avarice, envie… Sunderson va devoir résister à toutes ces tentations, certaines plus facilement que d’autres, pour tenter de dresser le bilan de l’homme qu’il est devenu, face à celui qu’il aurait pu être.
Péchés capitaux n’est pas un polar noir et violent comme la quatrième de couverture nous amène à le penser, mais la lente appropriation, par un homme, de ses défauts et de sa nature, face aux injonctions d’une société qui lui dicte sa conduite et qui conditionne ses réactions devant la violence, la douleur, les meurtres et l’amour.
Jim Harrison, Péchés capitaux
Flammarion, 2015
300 pages, 21 euros