Un ouvrage qui met en lumière l’inventivité des nouvelles formes de parentalité.

Cet ouvrage collectif dirigé par Jérôme Courduriès et Agnès Fine rassemble les résultats de plusieurs recherches menées par des sociologues et des anthropologues en France, en Belgique, en Suisse, en Espagne, ainsi qu’au Brésil et aux États-Unis.

Toutes les enquêtes évoquent le rapport de sujets qui se disent homosexuels avec leurs enfants, parents et/ou entourage. Mais il se dégage une importante hétérogénéité concernant les divers thèmes abordés. 

Avec un tel caléidoscope de réflexions, au lieu de tenter en vain de restituer une vue d’ensemble, il est préférable de transmettre quelques points surprenants — dans le bon sens du terme. Ce livre paraît dans un contexte qui a causé tant de débats et polémiques non seulement depuis l’approbation de la loi du mariage pour tous en mai 2013 en France, mais dans la lignée des controverses déjà très virulentes en 1999, lors de la création du PACS. 

Inondés par toutes sortes d’opinions concernant le mariage pour tous et ses conséquences immédiates et à venir, soit la facilitation pour les couples homosexuels de devenir parents, nous voilà enfin face aux paroles concrètes des sujets concernés. Ainsi ce livre nous offre des données factuelles : qui sont ces couples qui veulent (ou pas) enfanter, que pensent-ils, comment vivent-ils leur homosexualité, est-elle source de souffrance ou pas ? Comment leur entourage familial et/ou amical réagit-il à leur homosexualité et/ou à leur projet ou concrétisation de devenir parents ? 

Heureusement, nous ne découvrons pas de réponses universelles et systématiques à ces questions. Les réponses sont très singulières et la lecture de cet ouvrage ne permet d’énoncer aucune généralité. Tout au mieux pouvons-nous ébaucher quelques tendances.

Homosexualité et parenté
comporte deux parties. La première aborde le rapport des homosexuels avec leur famille d’origine : les parents, mais aussi la fratrie, la famille élargie. Nous avons de nombreux exemples illustrant les différents modes de réaction face au coming out, et comment ces réactions se modifient ou non au cours du temps. Plusieurs cas de figure : depuis le parent qui rompt tout lien avec son fils ou fille, cette annonce comportant un point d’insupportable, un impossible à vivre, jusqu’au parent surpris, souvent déçu, mais qui intègre la nouvelle sans trop de difficulté. Une recherche rapporte que plus le sujet provient d’un milieu socio-économique favorisé, plus l’homosexualité est facile à accepter par la famille, cela s’expliquant par une plus grande ouverture concernant les choix de vie possibles pour leurs enfants. Dans des milieux plus populaires, l’homosexualité peut apparaître comme un impensable, quelque chose qui reste inimaginable pour la famille. Cela dit, une autre enquête relativise de telles conclusions : dans certains pays comme l’Espagne ou le Brésil, la famille est si valorisée qu’elle pèse plus que les sentiments homophobes, indépendamment du milieu socio-culturel.

Dans tous les cas, la façon de réagir dans l’entourage parental a des conséquences sur le vécu subjectif du sujet concernant son homosexualité. Plus la famille rejette le sujet homosexuel, plus elle ou il a tendance à stigmatiser sa propre homosexualité. 

Une étude analysant les conséquences du PACS sur l’entourage du couple conclut que le support légal du lien n’implique pas forcément un rapprochement de parents qui se seraient éloignés de leur progéniture après l’annonce de l’homosexualité. Si le rejet est important, le PACS peut même le solidifier, l’annonce du PACS cristallisant ce qui est déjà présent : conflit ou acceptation.

La deuxième partie aborde la question de la paternité ou maternité pour les couples de même sexe. Plusieurs résultats intéressants : bien évidemment les couples homosexuels désirant avoir des enfants n’ont pas attendu le mariage pour tous pour réaliser leur projet. Ils se sont débrouillés pour trouver la manière de devenir parents. La coparentalité où l’enfant pouvait se retrouver avec quatre parents intentionnels (la mère biologique, la partenaire de la mère biologique, le père biologique et le partenaire du père biologique) a été un choix assez courant, mais les recherches montrent une rivalité fréquente entre la mère non statutaire (terme adopté pour évoquer le parent intentionnel qui n’est ni biologique ni légal, c’est dire le/la partenaire du parent biologique et légal) et le père biologique : soit la mère non statutaire se sent marginalisée et a du mal à trouver sa place de mère lorsqu’il y a déjà une mère et un père, soit le père biologique se sent lui déplacé, lorsque les deux mères en question ont du mal à laisser leur enfant passer du temps avec lui. C’est pourquoi ces dernières années il semblerait que ce choix de coparentalité régresse face à l’option d’une parenté uniquement conjugale. Les couples de femmes auraient tendance à préférer l’IAD (insémination artificielle avec donneur) ; quant aux couples d’hommes, c’est la GPA (gestation pour autrui) qui serait privilégiée. Cela dit, ce procédé étant extrêmement coûteux, il ne concernerait que des couples avec un capital économique important.

Ce constat nous amène au vif du sujet : qu’en est-il des lois ? Ces sujets n’ont pas attendu l’aval de la loi pour réaliser leur projet, et la réalisation de leur projet de parenté rend compte de situations inventives et inédites qui ne peuvent se calquer sur un modèle, puisque leur mode de construction de la famille est pionnier. Si cet aspect est réjouissant, ce qui l’est moins, c’est l’impasse dans laquelle le parent peut être amené à se trouver, par manque de soutien légal. Le cas présenté d’une mère non statutaire en Suisse est exemplaire. Après s’être séparée de sa compagne - la mère biologique de ses deux enfants (conçus dans le cadre d’une coparentalité) - elle reste à la merci du caprice de celle-ci, puisqu’elle ne jouit d’aucune protection juridique, d’où la fragilité de sa position. Cet exemple montre l’écart existant entre les changements de mœurs dans le mode de construction familiale, et la loi qui, toujours, arrive avec un certain retard. 

Autre constat : le lien biologique est souvent privilégié par les parents lorsqu’il est question de choisir un mode de procréation, celui-ci favorisant le sentiment d’appartenance familiale. Ceci est accentué chez les grands-parents : l’absence d’héritage biogénétique n’aide pas au sentiment de grand-parentalité. Par contre si le lien biologique est présent, les grands-parents ont tendance à être ravis par l’arrivée d’un enfant, ceci réparant en quelque sorte la déception initiale, où face au dévoilement de l’homosexualité de leur enfant, l’idée de rupture de continuité dans la filiation était très présente, puisque la procréation était conceptuellement liée à la sexualité. Désormais sexualité et procréation sont dissociées, et cela vaut aussi pour les couples hétérosexuels : la science ne fait que nous en donner les preuves. Autre donnée importante : les grands-parents ont tendance à accepter plus facilement les projets de coparentalité. En effet, comme nous disent les auteurs, « la présence d’un parent de l’autre sexe est souvent perçue comme aidant à normaliser la situation. »  

Finalement cet ouvrage rend compte d’une grande diversité concernant les inventions possibles afin de « faire famille ». Mais elle montre aussi la fragilisation dans laquelle peuvent se trouver certains parents faute de protection légale, même si ces lois sont amenées à s’assouplir, à des vitesses différentes selon les pays.

Mais comme le rappellent les auteurs, cette inventivité n’est pas propre aux couples homosexuels. Les familles recomposées, tellement banales de nos jours, font preuve de la même inventivité et sont confrontées aux mêmes impasses devant la loi. Les auteurs soulignent que ce qui fait rupture anthropologique n’est pas tant le fait qu’un couple de même sexe veuille devenir parents, mais le fait que la famille classique « mère-père-enfant » ne soit plus le modèle dominant en Occident. Nous pourrions ajouter à cet égard qu’il existe autant de modèles que de familles, et que ce qui fait qu’un enfant se retrouve dans un espace psychique propice à son épanouissement et à sa constitution subjective passe plutôt, comme nous le rappelle le psychanalyste Jacques Lacan, par une « transmission (…) impliquant la relation à un désir [à l’égard de l’enfant] qui ne soit pas anonyme »  

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