Pourfendeur du « populisme pénal », Denis Salas livre ici une analyse riche et documentée d’une notion rarement abordée par les juristes.  

Le silence du droit

Le Faux coupable, la Ligne verte, Garde à vue. Le cinéma regorge de références à l’erreur judiciaire. La fortune cinématographique de l’erreur judiciaire contraste avec son traitement juridique. Excepté le Protocole numéro 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, aucun texte juridique n’emploie cette expression. Réticence de l’Etat à l’idée de reconnaître les errements de la justice ? Survivance du mythe de l’infaillibilité des juges ? Malgré le silence des textes, l’erreur judiciaire est définie traditionnellement comme une condamnation pénale infligée à un innocent. De par son caractère involontaire elle se distingue des condamnations à l’œuvre dans les régimes liberticides.

Les deux visages de l’erreur judiciaire

Dès l’introduction, l’auteur affiche sa volonté de ne pas s’en tenir à une approche strictement juridique de l’erreur judiciaire. Ce parti pris a le mérite de rendre l’ouvrage accessible aux non- juristes.

Dans son Vocabulaire juridique, Gérard Cornu définit l’erreur judiciaire de la manière suivante : «  erreur de fait qui, commise par une juridiction de jugement dans son appréciation de la culpabilité d’une personne poursuivie, peut, si elle a entrainé une condamnation définitive, être réparée sous certaines conditions au moyen d’un pourvoi en révision  »   . Cette définition traditionnelle de l’erreur judiciaire est-elle pertinente pour appréhender toutes les failles du système judiciaire ? Comment qualifier les dysfonctionnements de l’institution judiciaire qui n’aboutissent pas à une condamnation injuste ? En guise de réponse, Denis Salas propose une distinction entre l’«  erreur liberticide  » et l’«  erreur d’impunité  »   . Cette distinction apporte un éclairage au lecteur concernant la présence du pluriel dans le titre de l’ouvrage. L’«  erreur liberticide  » n’est autre que l’erreur judiciaire dans son acception ordinaire c’est-à-dire une condamnation pénale infligée à un innocent. Quant à «  l’erreur d’impunité  », elle désigne les carences de l’institution judiciaire qui aboutissent à l’absence de condamnation des coupables. Afin de clarifier le sens de ce second type d’erreur, l’auteur analyse la notion de «  déni de justice  »   . Il recense deux acceptions de cette expression. La première renvoie à une tendance de certains juges sous l’Ancien régime consistant à sanctionner des comportements que la loi n’incriminait pas. Grâce au principe de l’interprétation stricte de la loi pénale cette pratique est désormais interdite. La seconde acception du « déni de justice » désigne une défaillance de l’appareil judiciaire qui prend la forme d’une absence de réponse judiciaire face au crime. C’est dans ce sens que l’«  erreur d’impunité  » doit être entendue. Si l’«  erreur liberticide  » constitue une atteinte aux droits fondamentaux des justiciables, l’«  erreur d’impunité  » expose la population à un risque car elle a pour conséquence de laisser un criminel en liberté. Toutefois, dans une société fortement préoccupée par la sécurité, la survenance d’une «  erreur d’impunité  » est encore moins tolérée qu’un verdict de culpabilité prononcé à tort. Quand la condamnation d'un innocent n'affecte que le condamné, l'«  impunité des coupables  »   expose la population dans son ensemble au risque de récidive.

Il arrive que ces deux types d’erreurs se manifestent au cours d’une même affaire. C’est le cas du double infanticide de Montigny-lès-Metz commis en 1986. Le volet «  erreur liberticide  » de cette «  affaire  » apparait à travers la condamnation à tort de Patrick Dils. Cette condamnation témoigne du rôle prépondérant accordé aux aveux par la procédure pénale de l’époque. En garde à vue, le jeune homme avoue être l’auteur du double meurtre. Devant le juge d’instruction, le suspect réitère ses aveux. Mais Patrick Dils finit par se rétracter. Malgré la rétractation, l’aveu initial demeure aux yeux des juges la preuve indélébile de la culpabilité de Dils. L’ «  erreur d’impunité  » tient  dans le fait que 29 ans plus tard, on ignore encore l’identité du ou des auteurs. La mère de l’un des enfants a d’ailleurs assigné l’Etat pour faute lourde  et déni de justice. En septembre 2007, cette requête a été jugée irrecevable.

Le cri de la victime

Contrairement à la logique qui prévaut en droit civil, le droit pénal n’a pas vocation à assurer la défense des intérêts particuliers. Ainsi, l’infraction pénale est conçue avant tout comme une atteinte à l’ordre social. Cette manière d’appréhender l’infraction est battue en brèche par l’irruption des victimes sur la scène pénale. En ajoutant «  les intérêts de la victime  » à la liste des critères de détermination du quantum des peines, la loi du 12 décembre 2005 a conforté cette tendance. Dans la Volonté de punir, Denis Salas a souligné les effets néfastes d’une justice centrée sur la victime  : lois pénales dictées par l’émotion, pression médiatique exercée sur les juges. Dans Erreurs judiciaires, il fait de l’«  espace public médiatisé  »   le principal vecteur de diffusion de la souffrance des victimes. On peut regretter l’absence de développements sur le rôle joué par les citoyens dans cette médiatisation. Ce d’autant plus que les réseaux sociaux ont profondément modifié le rapport du public à l’information. Avec l’émergence de ces médias dits participatifs qui offrent aux internautes la possibilité de commenter l’actualité, le public peut devenir acteur de la médiatisation de certains faits divers.

Le juge sous pression

D’aucuns affirment que les juges font preuve de complaisance vis-à-vis de la délinquance. Nos juges seraient laxistes. Apparu au début des années 2000, le thème du laxisme des juges est  une critique adressée à l’institution judiciaire à propos de sa prétendue mansuétude à l’égard des délinquants. Les caractéristiques de ce discours sont parfaitement identifiées par Denis Salas : «  les juges seraient, dit-on, indifférents à la souffrance des victimes, méprisants pour les policiers qui risquent leur vie, ignorants des réalités, bref irresponsables  »   . La thématique du laxisme des juges a fait irruption dans le débat public au cours de l’«  affaire Bonnal  »   . Soupçonné d’avoir braqué un bureau de change en 1998, Jean-Claude Bonnal est mis en détention provisoire. En novembre 2000, la chambre d’accusation le remet en liberté. Fin 2001, le braqueur récidiviste est mis en cause dans l’assassinat de 6 personnes dont deux gardiens de la paix. Suite à ces crimes les juges à l’origine de la mise en liberté vont faire l’objet de réactions hostiles. On se souvient des propos du président de l’Assemblée nationale Raymond Forni  : «  six personnes tuées par l’irresponsabilité de trois magistrats  »   . Pourtant, un évènement passé inaperçu va légitimer a posteriori la décision de remise en liberté de Bonnal  : l’acquittement dont il bénéficie en 2004 pour le braquage du bureau de change. Pour Denis Salas, critiquer les juges à raison des conséquences de leurs décisions est une preuve d’ignorance de la nature de l’activité judiciaire. Car, exiger des juges qu’ils tranchent en fonction des conséquences supposées de leurs décisions c’est leur permettre de s’affranchir de la loi. Cette exigence entre en contradiction avec l’un des fondements de notre justice : la protection des justiciables contre l’arbitraire du juge.

Erreur judiciaire et révision

Le dernier chapitre est centré sur la question de la réparation de l’erreur judiciaire. Ce chapitre comprend des développements instructifs sur l’émergence du recours en révision.

Denis Salas rappelle que, contrairement à une condamnation, un acquittement ne peut pas faire l’objet d’une procédure de révision. Si elle n’est pas à l’ordre du jour, l’extension de la procédure de révision aux acquittements soulève des difficultés juridiques. D’une part, il parait difficile de concilier la révision des acquittements avec le principe non bis in idem qui interdit de juger deux fois un individu pour les mêmes faits. D’autre part, se pose la question de l’articulation d’une telle procédure de révision avec les règles de la prescription. La découverte d’un fait nouveau peut-elle remettre en cause le jeu de la prescription ? Ce qui interpelle fortement en matière de révision c’est le chiffre étonnamment faible de condamnations révisées. Depuis 1945, seules neuf condamnations ont fait l’objet d’une révision. Le caractère particulièrement lourd du recours en révision peut en partie expliquer ce faible chiffre. En effet, ce n’est qu’au terme de trois instances que les dommages intérêts sont versés au requérant.

On ne saurait réduire cet opuscule à une réflexion sur un thème rarement traité par les juristes. Dans cet ouvrage, Denis Salas propose également des pistes pour restaurer la confiance de la population envers la justice. C’est ainsi qu’il préconise la mise en place d’une «  culture de la fiabilité  »   . Elle vise à accroitre la légitimité démocratique des acteurs du monde judiciaire par la prise en compte du point de vue des usagers. Mais pour l’enseignant-chercheur, ce processus passe inévitablement par la promotion de l’autocritique au sein du monde judiciaire