Un superbe ouvrage illustrant et expliquant étoiles et galaxies observées en lumière naturelle, mais aussi en infrarouge, radio, ultraviolet ou rayons X.

Nombreuses sont les photos du ciel nocturne que chacun a, peu ou prou, eu l’occasion de rencontrer dans des journaux, des magazines ou des livres plus spécialisés. Cependant, les couleurs que l’on voit sur ces photos ne sont pas forcément de "vraies" couleurs. Trucage ? Pas du tout, et c’est le but de cet ouvrage que de montrer les "couleurs de l’invisible", et d’en expliquer les mécanismes. Le tout très richement illustré d’époustouflantes images, principalement issues des récentes observations effectuées au travers d’instruments embarqués sur des satellites   .

Les astrophycisiens André Brahic et Isabelle Grenier   font paraître un bel ouvrage, richement illustré, de vulgarisation scientifique. La nouvelle est doublement bonne : non seulement leur passion est communicative, mais leur talent pour expliquer simplement les images est exceptionnel.

André Brahic n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai. Ce chercheur, célèbre pour la découverte des anneaux de Neptune et pour ses modèles théoriques de ceux de Saturne, a notamment déjà fait paraître en 1999 Les enfants du Soleil (toujours chez Odile Jacob), qui avait connu un succès certain et, en 1986, Conversations dans l’Univers.

Dans ce nouvel ouvrage, la spécialisation du sujet — l’observation de l’Univers dans des "couleurs" différentes du spectre électromagnétique — n’est en rien rédhibitoire. Au contraire, A. Brahic et I. Grenier la mettent à profit pour enrichir la visite guidée qu’ils nous proposent dans le cosmos, de la naissance à la mort
des étoiles, de la Voie Lactée aux collisions de galaxies.


Un panorama de l’univers

Dans un chapitre introductif, les auteurs présentent la science astronomique, son histoire, son objet, ses doutes ("est-il raisonnable d’espérer comprendre notre Univers ?") et ses fantastiques avancées des dernières décennies.

Ils en profitent pour tordre le cou, avec humour mais fermeté, à ce qui, de tous temps, a nui à la connaissance du monde : les astrologues et autres charlatans, les va-t-en guerre, les dictateurs, les fondamentalistes religieux... Mêmes si les attaques sont un peu naïves (ou peut-être est-ce moi qui, naïvement, pense que les lecteurs de ce livres seront bien convaincus de l’absurdité de l’astrologie et des méfaits des dictatures politiques, sociales ou intellectuelles....), elles sont faites de tout coeur par des scientifiques sincères et, il faut le dire, bien trop rares à souligner le fait qu’une pratique scientifique efficace ne peut aller de pair qu’avec une quiétude économique et sociale (au sens large).


Les couleurs de l’univers

Nous entrons ensuite dans le vif du sujet : on peut, depuis le sol ou depuis des satellites, observer le ciel dans d’autres longueurs d’ondes que celles de la lumière visible. Notamment dans les ondes radio, les infrarouges, l’ultraviolet, les rayons X et les rayons gamma. Ce sont, avec la lumière habituelle, des objets de même nature (des ondes électromagnétiques), mais avec une longueur d’onde différente. À chacun de ces types d’ondes correspondent des phénomènes physiques différents (par exemple, des nuages de poussières chauffés par des étoiles naissantes rayonneront fort dans l’infrarouge lointain). On peut alors observer bien plus de choses, et obtenir beaucoup plus de données, sur des objets célestes, en combinant des observations de plusieurs types — de même que la photographie d’un corps humain en lumière normale nous renseignera sur la surface de sa peau, une autre en infrarouge sur sa température externe, et une troisième aux rayons X sur son squelette. Une galaxie vue en infra-rouge nous montrera la répartition des étoiles agées, tandis que les jeunes étoiles seront davantage visibles dans l’ultraviolet. Les auteurs mettent ainsi en parallèle des images du soleil, ou de plusieurs galaxies, dans ces différentes longueurs d’onde : l’effet est saisissant.


Naissance et mort des étoiles

Les circonstances de la naissance des étoiles sont ensuite expliquées en détail. Là encore, à côté d’un texte limpide, un choix de photographies de toute beauté laisse rêveur. Mais, et c’est là que se déploie le talent des auteurs, toute cette beauté n’est jamais gratuite. Les commentaires de ces photos nous ramènent toujours à la question : "que peut-on apprendre de plus en rapprochant les images prises dans différentes longueurs d’onde" ? Les mécanismes complexes de pouponnières d’étoiles, faisant apparaître des structures en forme de bulles gigantesques, des piliers surmontés d’un chapeau, sont décortiqués au travers de ces rapprochements, et on apprend pourquoi les naissances sont "contagieuses".

La mort des étoiles offre elle aussi matière à d’intéressants développements ; non seulement elle provoque la naissance d’autres étoiles, mais elle est responsable de la création d’éléments nouveaux (jusqu’au fer lors des Novæ   , et au delà lors des Supernovæ   ), de poussières et de molécules organiques plus ou moins complexes. Ce qui sera crucial pour la fabrication de planètes et, bien sûr, pour l’apparition de la vie.

Enfin, des objets plus difficiles à observer — étoiles à neutrons, pulsars, trou noirs — sont à leur tour étudiés. Des images montrant les effets des trous noirs, parfois à l’échelle galactique, permettent d’appréhender la violence des phénomènes associés.


Collisions galactiques

À grande échelle, les étoiles se regroupent en galaxies ; celles-ci tourbillonnent dans l’Univers et les collisions sont très fréquentes. Elles ont lieu à un échelle de temps dépassant de loin la durée de vie humaine   : nous ne pouvons en voir qu’un instantané. Toujours en les observant à diverses longueurs d’ondes, on reste stupéfait devant la richesse qui en découle : elles s’étirent, se déforment, éjectent de larges bras, se déshabillent... Mais, surtout, leurs collisions engendrent des ondes de compression dans les nuages de gaz, qui vont donner naissance à des floppées de nouvelles étoiles. Une collision de galaxies peut en bouleverser la démographie stellaire.


Doutes et espoirs

Chercheur, humaniste, curieux, cultivé, André Brahic ne peut pas ne pas rappeler l’essentiel de la science, et cite le mathématicien, astronome et physicien Laplace   : "Ce que nous connaissons
est peu de chose, ce que nous ignorons est immense."

Ainsi, la matière observée dans l’Univers ne représente, tout au plus, que la vingtième partie de ce qui existe. Le reste ? De la matière noire, de l’énergie noire, aujourd’hui encore de nature inconnue. Ce qui laisse de l’espoir aux astrophysiciens (ils ne sont pas menacés par le chomage technique), et nous rappelle que toute
découverte scientifique est riche, non par les réponses qu’elle apporte, mais par les questions qu’elle suscite. Et c’est bien là qu’est l’essence de la science : contrairement aux pseudo-sciences, dogmatiques, figées, et ne s’appuyant au final que sur des arguments d’autorité, l’astronomie, comme la physique, est sans cesse en révolution. Ce qui est réputé vrai aujourd’hui ne le sera plus dans vingt ans, dans dix ans, ou dans un mois. La confrontation perpétuelle des modèles aux observations oblige l’astronome à se mettre continuellement en cause. Les techniques actuelles ont évolué tellement vite que les données arrivent bien plus rapidement que les théoriciens ne sont capables de les digérer. Face à ce constat, André Brahic et Isabelle Grenier rappellent qu’il faut avancer avec circonspection — et modestie.


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Les volutes de poussières froides mêlées au gaz luisent doucement en infrarouge lointain, tandis que les sites plus chauds qui abritent la formation d'étoiles ressortent en infrarouge un peu plus proche du visible.