Pas besoin d’être spécialiste de l’affaire Karachi   pour aller voir le spectacle de Nicolas Lambert, au théâtre du Grand Parquet. Le 8 mai 2002, onze employés de la Direction des constructions navales meurent dans un attentat, quelques jours après le second tour de l’élection présidentielle en France (où Chirac gagne face à Le Pen). Mesure de rétorsion face à des commissions qui n’auraient pas été payées par la France lors de la vente de frégates à l’Arabie Saoudite et de sous-marins au Pakistan ? C’est la question que pose la pièce. Le système de commissions-rétro commissions aurait permis le financement de la campagne de Balladur en 1995. L’auteur évite pourtant tous les écueils du théâtre à thèse.

Documentaire théâtral, le texte de Nicolas Lambert est entièrement constitué d’écriture non-fictionnelle : enregistrement de conversations téléphoniques, transcription de déclarations devant la justice ou devant l’Assemblée, etc. Pourtant, on est emporté comme dans un (bon) roman. Ce qui se joue devant nous, c’est le théâtre de la politique. Une famille qui se déchire quand la mère décide de révéler les petits secrets de son conjoint qui transporte des mallettes en Suisse, la fille qui prend le parti de son père et accuse sa mère. On pense à l’affaire Bettencourt et à la pièce qu’en a tirée Michel Vinaver   .

La réussite de Nicolas Lambert tient à son talent d’acteur, pour celui qui est aussi le reporter-auteur de la pièce : campant Nicolas Sarkozy et sa mâchoire agitée de tics, Balladur et sa prestance, et la voix de Michel Rocard, c’est à une véritable métamorphose à laquelle on assiste, deux heures durant, bouche bée. Seule la troisième partie avec la figure du parti socialiste est un peu faible – long monologue papier en main. Peut-être que la mise en scène n’a pas eu le temps d’aller jusqu’au bout   .

Le Maniement des larmes est le dernier volet d’une trilogie Bleu-Blanc-Rouge (sous-titre : l’a-démocratie), où Nicolas Lambert a exploré successivement les enjeux liés au pétrole dans « Elf, la pompe Afrique » ; le nucléaire avec « Avenir radieux, une fission française » et la question de la vente d’armes donc avec « Le maniement des larmes » (on le voit, l’auteur est féru de bon mots). L’auteur parle d’une « urgence à utiliser la scène comme média », et en effet on est convaincu des vertus didactiques de la scène au sortir de ce spectacle : le théâtre permet d’aborder des sujets d’actualité de manière passionnante et accessible (le sujet pourtant pouvait rebuter). Amener le débat public sur la scène, amener le théâtre dans les lieux publics, telle pourrait être la devise de celui qui a, avec Sylvie Gravagna, présenté « Arlequin poli par l’amour » dans une centaine de non-lieux scéniques de banlieue parisienne en 1992. On souhaite une grande longévité à ce bel objet !