© Dominique Martigne

 

« Il est né, entre nous, ce que je pourrai appeler une solidarité entre maigres. »

 

Stéphanie Chévara monte un biopic de Beckett centré sur la création d'En attendant Godot en 1953. Samuel Beckett, dont la notoriété d'alors ne dépassait pas un cercle confidentiel, devient avec En attendant Godot un géant de la littérature du XXe siècle. Beckett propose au début des années 1950 sa pièce à Roger Blin qu'il voit sur scène au théâtre de la Gaîté, quasi-vide. Blin s'éprend immédiatement du texte et veut monter la pièce. Il y voit du grand théâtre, quelque chose de révolutionnaire. La suite sera plus poussive : personne ne veut de la pièce, pas même sa troupe. Elle finira par être créée en 1953 au Théâtre de Babylone, rue Raspail à Paris. Succès, polémiques, la pièce est lancée. Beckett reçoit le prix Nobel de littérature en 1969 et En attendant Godot entre au répertoire de la Comédie-Française en 1978.

La mise en scène de Stéphanie Chévara est fluide et rythmée, agréable. L'espace scénique se découpe en trois niveaux séparés par des rideaux transparents. Le public découvre, imbriqués, le théâtre marginal de Blin et l'intérieur modeste de Beckett. Cela fonctionne bien. Les comédiens sont convaincants, tout particulièrement Barthélémy Gouter et Laurent Collard qui interprètent respectivement Beckett et Blin. Mais la pièce laisse un arrière-goût de facilité. L'histoire est belle et ne peut que susciter l'adhésion du public : la naissance d'un chef-d'œuvre, d'un génie, d'un géant universel. La pièce joue sur l'émotion nostalgique des débuts faits de bouts de ficelle, de petit théâtre indépendant, des prolégomènes annonciateurs du raz-de-marée. Mais qu'en est-il des questions de fond ? Qu'en est-il du mystère de Godot ? D'un texte qui, par l'universel qu'il contient, vient bouleverser le théâtre ? De quel universel parle-t-on d'ailleurs ? L'anecdote charmante semble prendre toute la place. Mais peut-être n'y avait-il pas à en dire plus, peut-être que Stéphanie Chévara suit fidèlement, au fond, la maxime de Beckett : « Je n'ai rien à dire mais je suis le seul à savoir à quel point je n'ai rien à dire et ça je suis obligé de le dire. »

 

Naissance d'un chef-d'œuvre

Ecriture, adaptation et mise en scène de Stéphanie Chévara

D'après Roger Blin, souvenirs et propos recueillis par Lynda Bellity Peskine (Gallimard, 1986)

Scénographie de Victor Melchy

Avec Morgane Bader, Françoise Boisseau, Gérald Cesbron, Laurent Collard, Barthélémy Goutet et, en alternance, les enfants Arthur Minthe et Théophile Pouillot-Chévara

Du 28 octobre au 3 décembre 2015 au Théâtre de Belleville

Durée : 1h30

 

* À lire et voir également :

- La critique du En attendant Godot mis en scène par Laurent Fréchuret, par Nicolas Leron.

- L'entrée au répertoire à la Comédie-Française (archive Ina).