La réforme de la formation des enseignants de 2013, en créant les Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education (ESPE), place cette formation au cœur du cadre universitaire et ravive la question du lien entre enseignement des universités et enseignement du secondaire. De prime abord, l’un et l’autre semblent s’ignorer. Pourtant, les transformations inhérentes à la société impliquent un changement dans la formation des enseignants, qu’ils soient du secondaire ou universitaires : alors que le positionnement de l’élève s’est largement redéfini, que l’école est le réceptacle et l’objet du débat public, et que les sciences historiques et sociales se réforment en profondeur, l’enseignement doit s’adapter et se coordonner à tous les niveaux

Lucien Febvre s’était déjà fait le héraut des noces de l’enseignement supérieur et de l’enseignement secondaire : « Parce que c’est la force et la dignité de l’enseignement secondaire d’être à la fois la pépinière de l’enseignement supérieur et un foyer de recherches actives. Parce qu’on doit enseigner, non la science d’hier, mais celle d’aujourd’hui. Parce que la collaboration des corps enseignant et cherchant peut seule permettre de renouveler notre enseignement et de le  sauver »   . C’est ce lien entre enseignement universitaire et enseignement secondaire qu’interrogent à leur tour Etienne Anheim, Bénedicte Girault, Virginie Barbier, Alexandre Berthon-Dumurgier, Hayat El Kaaouachi, Laurence De Cock et Christian Delacroix dans ce second dossier du numéro 2015/1 des Annales HSS.

Chercheur ou enseignant : une coupure à contre-sens

La tradition de l’enseignement de l’histoire oppose compétences disciplinaires et compétences pédagogiques. Pourtant, la réforme du CAPES et la création des ESPE rompt avec la tradition française née de la IIIe République en plaçant les ESPE au cœur de l’université, faisant ainsi de cette dernière l’unique lieu de formation du professeur. Paradoxalement, cette même réforme, par la masterisation du concours, instaure une coupure franche entre la recherche et l’enseignement, puisque les apprentis historiens et/ou professeurs doivent désormais choisir entre « master recherche » et « master métiers de l’enseignement », sans pouvoir adopter de voie intermédiaire formellement instituée. Or cette rupture est doublement dommageable : car elle prive la recherche historique d’étudiants, et les futurs enseignants d’une initiation à la recherche.
Cette coupure a-t-elle un sens ? Il est vrai que les professeurs du secondaire, par leur expérience de terrain, se sentent éloignés de l’enseignement supérieur, qui semble avoir lui-même son propre questionnement pédagogique. Pourtant la négation (ou l’oubli) des liens qui unissent la recherche et l’enseignement vide le métier d’enseignant de son contenu et de son utilité, l’enseignement secondaire étant alors réduit à une transmission verticale de savoir et de connaissances…

En effet, alors que recherche et enseignement secondaire semblent s’opposer, la recherche est à l’origine de la pratique pédagogique dans la mesure où elle constitue les « savoir » des enseignants et donc des élèves. Au-delà de ce lien originel, malgré la menace que le savoir universitaire puisse sembler faire peser sur les bonnes pratiques du secondaire (car on ne saurait attendre des jeunes têtes le savoir exhaustif des chercheurs), il n’empêche que l’université familiarise les futurs enseignants avec le questionnement de l’historien face aux documents ; or c’est cette démarche que les professeurs devront théoriquement faire adopter à leurs élèves, aussi bien pour travailler leur esprit critique que pour les rendre actifs dans la construction de leur apprentissage. Ainsi, réinvestir dans un cours une réelle réflexion sur la méthode des historiens peut devenir une pratique pédagogique dans le cadre même de l’enseignant secondaire. Mais encore faudrait-il qu’un contact existe entre chercheurs et enseignants du secondaire…

L’élève, apprenti chercheur

Lors de la réforme des programmes du collège en 2008, les historiens universitaires n’ont eu aucun droit de regard. Néanmoins, les programmes tentent d’intégrer les recherches universitaires tant sur le contenu que sur les méthodes de l’historien. L’introduction de la compétence « raconter » unit bien « histoire savante » et « histoire scolaire ». Alexandre Berthon-Dumergier fait part de son expérience de professeur en collège dit « difficile » alors qu’il était, dans le même temps, enseignant d’épistémologie en université. Il s’est alors rendu compte que les méthodes de la recherche historique explicitées par l’épistémologique offraient des solutions pour résoudre le problème de la mise au travail de tous ses élèves : l’épistémologie l’encourageait à expliciter les démarches des historiens en classe, ce qui permettait ainsi plus facilement la mise en activité autonome des élèves, comme investis d’une démarche de recherche.

S’il existe bien un lien entre recherche et enseignement, ce lien est éminemment exigeant et nécessite une véritable formation des enseignants du secondaire à la recherche. Dans ce sens, elle ne devrait pas non plus se limiter à la formation initiale : la formation continue des enseignants gagnerait elle-même à être davantage orientée vers la recherche. Pourtant la présence d’universitaires dans le Plan Académique de Formation (PAF) est rare, ce qui empêche toute transmission de savoir entre les deux enseignements et tout questionnement sur la construction du savoir historique. Pourtant, il est demandé aux enseignants du secondaire, dans le cadre des programmes, de prendre en compte les résultats de la recherche. Il est vrai que l’offre de formation est souvent liée aux nouvelles questions des programmes, mais elle ne recouvre pas les renouvellements plus généraux de la discipline, se limitant à une actualisation des connaissances et non des pratiques.

S’il semble ainsi acquis que la communication entre enseignement secondaire et recherche historique est aussi indispensable que difficile à mettre en œuvre, le lancement de « la refondation de l’école » en 2012 consume la rupture en l’enracinant dans un dispositif institutionnel.

Les chercheurs s’intéressent-ils vraiment au secondaire ?

Mais pour entretenir le lien, encore faudrait-il que les chercheurs aient eux-mêmes le sens de son importance. Or à cet égard, le constat de Christian Delacroix n’est pas optimiste, les travaux en sciences de l’éducation étant généralement rejetés par les universitaires en raison de leur utilitarisme supposé. L’auteur s’interroge alors sur l’origine de cette coupure, de nature épistémologique selon lui. Pour illustrer sont propos, il montre que la didactique et l’épistémologie ont permis de renouveler l’enseignement universitaire de la géographie, alors qu’en histoire, l’épistémologie associée à la didactique n’ont pas convaincu le milieu universitaire.

Pourtant, comme le souligne l’auteur, « l’enseignant de l’histoire ne peut ni ne doit ignorer ce qui se fait dans la recherche mais à l’inverse, l’historien qui fait de l’histoire peut-il ignorer l’histoire qui s’enseigne, comme s’il était détenteur d’un savoir pur de tout contact avec le social ? Car le social de l’histoire est très largement constitué par son enseignement et celui-ci ne peut se réduire à ses finalités civiques ou identitaires ».

Sous cet angle, la question de l’enseignement de l’histoire, c’est aussi la question du public de l’histoire, et donc de la demande publique à laquelle les chercheurs doivent répondre. Comme une seconde facette de la question soulevée par Jo Guldi et David Armittage dans The History Manifesto, discutée dans le numéro suivant des Annales HSS (2015/2)