Un appel à rejeter les mesures «d’atténuation» gadget, dont certains politiciens paresseux, fans d’une pseudo-Mme Michu, sont friands.

Guillaume Sainteny enseigne à AgroParisTech et a assumé diverses fonctions au Ministère de l’Ecologie et du développement durable ces 20 dernières années. Or selon lui, la « mère de toutes les batailles environnementales »   n’est pas la question climatique. Du moins, pas telle qu’elle est actuellement posée le plus souvent – et singulièrement, telle que la COP21 la « campe». De fait, le texte d’accord international semble d'ailleurs lui donner incidemment raison, quand bien même ce pavé (dont le nombre de pages était à « réduire drastiquement ») apparaissait à Bonn, la semaine dernière, comme l’affaire du siècle!  En lui même, un gage de succès parisien, valant viatique pour le bien-être des générations futures?

La Martingale de Bonn

La teneur du point presse à Bonn, le 20 octobre dernier   , atteste en quelque sorte de l’esprit réducteur présidant à nos destinées, qui hérisse tant l’auteur de ce plaidoyer iconoclaste. Du reste, présenté à Bonn ce 20 octobre, à l’occasion de travaux onusiens préparatoires à la 21ème Convention Climat de Paris   , un rapport-bilan de l’OCDE sur l’efficacité des politiques publiques conduites en la matière   dresse un tableau qui fait irrésistiblement penser à une fameuse campagne napoléonienne, la Berezina.

Aller au « plus facile » (électoralement) plutôt qu’au « plus éco-efficace »…

Politique publique qu’en France, Guillaume Sainteny débattant récemment à l’ENSCI   , dans le cadre de BibliOrée   , tacle de politique « stop and go ». En première ligne (de mire) : « les politiques conduites en matière fiscale et budgétaire (…) contradictoires avec la politique climatique, au point de l’entraver »   . D’où le projet de ce livre : « ré-examiner la prééminence, considérée comme allant de soi, du thème climatique au sein des politiques d’environnement. (…) Quasiment absente jusqu’aux années 1990, la question climatique a pris depuis une importance telle qu’elle en vient non seulement à les dominer mais aussi à les escamoter, voire à leur nuire ». Et d’insister sur la gravité, en termes de mort prématurée comme de coût économique, d’autres considérations écologiques comme la pollution de l’air   et de l’eau potable, ou encore la qualité des sols et des stocks halieutiques dont dépendent étroitement des cohortes humaines parmi les plus fragiles de la planète.

pour une planète viable

Autrement dit, la bonne santé de la biodiversité et la « gérance » parcimonieuse de la nature   devraient être au plus haut de l’agenda et servir de crible aux éminentes décisions prises au nom du climat. Car, si certaines mesures bonnes pour le climat le sont aussi à cette aune, il n’en va pas de même pour d’autres, promues au mépris de tout le reste. Ainsi, juste pour quelques tonnes de CO2 de moins émises end-of-pipe, le boulevard ouvert aux biocarburants dits de 1ère génération, en lieu et place de couverts forestiers (pourtant puits de carbone et de biodiversité). Ou encore, l’isolation subventionnée du logement nonobstant l’étalement urbain à la clé. Au global, ni le climat ni les habitats n’y gagnent. Autre velléité borgne dénoncée par l’auteur : quelques coups de canifs portés à la loi de protection du littoral et son patrimonial « tiers sauvage » balafré, pour quelques éoliennes de plus? Le climat a bon dos. Un subterfuge, le plus souvent, pour habiller de vert le soutien public à certains secteurs d’activités, statue Guillaume Sainteny. Malgré le leitmotiv du climat à sauver, la politique budgétaire et fiscale est toujours favorable aux énergies fossiles, démontre-t-il.

Hypocrisie climatique

Même « son de cloche » entendu au cours de l’Université d’été de la fondation e5t à La Rochelle (26 août 2015)   consacrée à cette question : la COP21 tiendra-t-elle ses promesses? Dans ce cadre, Thomas Porcher, Docteur en Economie (Paris Sorbonne), co-auteur d’un livre intitulé 20 idées reçues sur l’énergie (éd. Boeck, 2015) a fustigé l’hypocrisie climatique   . Même les pays comme l’Allemagne persistent à favoriser les énergies fossiles, a-t-il mentionné. Certes elle a fait clairement le choix des énergies renouvelables et tout aussi massivement, pour contrebalancer leur intermittence notamment, celui des centrales… à charbon. Une source responsable, dans le monde, de 50% des émissions (électriques) de GES   anthropiques. Comment croire que les pays sont réellement attelés à la tâche quand à tour de bras sont signés des traités de libre-échange sans l’ombre d’une clause prenant en compte les émissions de CO2, souligna-t-il.

Pour sa part, le rapport de l’OCDE pré-cité   n’en disconvient pas : au sein non seulement de la France mais de l’UE, des autres pays de l’OCDE et de 10 pays partenaires étudiés en l’occurrence, si le niveau de soutien aux combustibles fossiles a fléchi ces 2 dernières années, il n’en demeure pas moins élevé. « Many countries still have policies in place that directly or indirectly support the production and/or consumption of fossil fuels   » Alors que la grande affaire semble être de mobiliser d’innovants financements pour la transition énergétique, quid de l’argent dépensé par ailleurs pour garder sous perfusion un « business model », hérité des 30 Glorieuses   éminemment contributeur au renforcement excessif de l’effet de serre, dont on prétend paradoxalement devoir s’affranchir?

Pour un ordre de grandeur (plus « modique »  que celui, ratissant plus large, avancé par Guillaume Sainteny)   , l'Agence internationale de l'énergie évaluait à « 312 Md$ rien qu'en 2009 les subventions aux énergies fossiles, inefficaces et contre-productives à l'aune des objectifs âprement discutés dans le cadre de la Convention Climat » rappelé dans un Avis du CESE au printemps dernier   .

Et pan, pour le pays hôte de la COP21

Ce, à l’heure où enfle une campagne appelant les investisseurs à se désengager du charbon, du pétrole et du gaz   , portée notamment par 350.Org   à la tribune, par exemple, d’Ethique &Investissement   lors de la semaine 2015 de l’Investissement Socialement Responsable (ISR) qui s’achève. Soit, cet élan de « désinvestissement » promis pèserait plus de 2,6 trillions de dollars   . Sans dire encore où cette manne irait se « recycler »… Gare : financer ce qui nous assurera une planète viable, ce n’est pas seulement innover en terme d’ingénierie financière, toujours plus sophistiquée, dédiée aux projets « bas carbone » pour tout critère! Et face à ces zinzins   verdissants, quid des budgets publics, schizophrènes dirait-on?

L’auteur, ancien conseiller de la ministre Corinne Lepage, note   que « le Président de la République s’est engagé, à plusieurs reprises en 2014, sur un objectif de 50 Md€ d’économie de dépenses publiques d’ici 2017. (…) Annoncer dans ce cadre qu’une partie serait constituée de diminutions de subventions aux énergies fossiles pourrait engendrer un sextuple dividende : environnemental, de santé publique, de dépenses publiques, de balance commerciale, d’efficience énergétique, de diminution de la dépendance énergétique » énumère-t-il.

Halte à la « simplification » : arbitrer la complexité honorerait nos Politiques

Encourager la diésélisation du parc automobile, à coup de crédit d’impôt (« bonus » assis sur des seuils d’émission de CO2 au km parcouru attractifs) au mépris de la santé des citadins exposés à des « pics » de pollution allergisante et accélératrice du décès des plus fragiles, en France, l’un des pays les moins émetteurs de la planète, a de quoi, rétrospectivement, faire froid dans le dos. D’autant que pendant ce temps, la vente de centrales à charbon, clé en mains en Chine, allait bon train (cf « Charbon propre : mythe ou réalité?, Groupe de travail de la Délégation Interministérielle du développement durable, Ministère de l’Ecologie et Charbonnages de France, 2006)   !  Depuis l’an dernier, ce continent est champion des rejets visés par la Convention Climat et les habitants de ses villes les plus « développées », victimes d’une pollution de l’air   spectaculaire, et criminelle. « En 2010, la pollution par particules fines a entraîné plus de décès prématurés que la Malaria » estime l’auteur   .

« Notre Maison brûle »   , l’Europe continuera-t-elle à surtout jouer les fiers-à-bras, se voulant « exemplaire » aux yeux des autres membres   ? Et encore, exemplaire à l’aune d’un indicateur en passe de figurer l’alpha et l’oméga de nos vies : la tonne de CO2 évitée sur cette zone -occultant les émissions rejetées ailleurs, pour produire les biens et services importés et consommés hic & nunc -  tend à s’ériger comme seul indicateur d’efficacité environnementale, relève Guillaume Sainteny   . On traite de la conséquence, le climat, plus que des causes : érosion de la biodiversité, déboisement, dégradation des sols, extension de leur « artificialisation », accentuation de certaines pollutions atmosphériques …   pourtant anthropiques, elles aussi. Certes, les phénomènes de rétroactions existent aussi, renversant la relation de cause à effet, convient l’auteur.

Exemplaire : en quoi?

Nos flamboyants « investissements d’avenir » sont-ils tous au service d’une planète viable? Relevons que : « le Gouvernement a annoncé le lancement d’un nouveau programme d’Investissements d’Avenir doté de 12 G€, qui remplacera le programme actuel à partir de 2016. La moitié de ces financements seront consacrés directement ou indirectement pour la transition écologique et soumis à des critères d’éco-conditionnalité, dont 2,3 G€ pour la transition énergétique, la rénovation thermique et la ville de demain ».(http://www.developpement-durable.gouv.fr/Principaux-programmes-sur-l,40555.html)). Dur, dur de s’extirper du « monde d’avant »!

Même si les arguments, fort nombreux, avancés dans ce livre sont de force inégale, et d’une profusion un tantinet déroutante par moment, le propos fait mouche. Le protocole de Kyoto (1997) « actait » un état du monde aujourd’hui révolu : certains pays alors catégorisés « en développement » par opposition aux vieux pays industriels dits « riches », sont devenus plus prospères que les anciens « nantis », et capables de mainmise sur des bourses emblématiques (la majeure partie de la capitalisation boursière de New-York est réputée acquise par la Chine) ou des ressources naturelles étrangères (cf un ancien rapport du CAS, aujourd’hui France Stratégie, sur l’état de l’accaparement des terres dans le monde : édifiant!). La répartition du fardeau des contraintes au nom du climat se justifie de moins en moins dans les termes évoqués à Rio, en 1992 et entonnés depuis lors telle une rengaine bien illusoire.

La notion de responsabilité historique, « commune mais différenciée », un boulet traîné de COP en COP depuis Kyoto, culpabilisant les anciens pays industriels, par le passé principaux émetteurs de GES   avec chèque en blanc laissé au développement, à n’importe quel prix, des grands émergents s’avère inapte à relever le défi, et totalement désuète maintenant.

Pour la COP21, le succès serait du point de vue de l’auteur, d’arriver à s’accorder sur davantage d’adaptation   , notamment dans les pays les plus vulnérables qui se trouvent être aussi les plus impécunieux, financés avec l’aide des plus riches -d’aujourd’hui, et non pas il y a 21 ans! Il est plus que temps d’actualiser les tableaux de bord…