A travers une suite d'improvisations aussi drôles que bouleversantes, Julie Deliquet dresse le portrait incroyablement juste d'une génération qui, arrivée à l'âge adulte, doit maintenant enterrer la précédente.


L'ordre des choses veut que nous soyons un jour confrontés à la mort de nos parents. Catherine et Christian, que l'on aperçoit sur un écran lors d'un enregistrement de quelques minutes, incarnent cette génération de soixante-huitards qui disparaîtra avant la nôtre. Julie Deliquet les interroge sur leur approche de la vie, de la mort et de l'héritage matériel et symbolique qu'ils entendent laisser derrière eux. Ils répondent à ces questions avec la légèreté caractéristique de l'insouciance d'une époque. Catherine voudrait que l'on organise "une grande bouffe" au retour de ses funérailles, tandis que Christian « s'en tape ». Elle voudrait qu'après sa mort, on pense à elle « avec douceur ». Il aimerait que son souvenir « ne les rende pas malheureux ». À la question « Que diriez-vous à vos enfants si vous ne deviez plus jamais les revoir ? », ils bredouillent un touchant : "À bientôt".

Catherine et Christian est un spectacle qui vous malmène autant qu'il vous émeut, car il décortique un moment de notre vie auquel on ne pense jamais : le retour du cimetière, lorsque l'absence du disparu remplit l'espace. Tout ce qui s'ensuit évolue au fil des représentations, et seuls quelques éléments restent stables : nous sommes dans un restaurant de province, l'un à la campagne, l'autre en bord de mer. Deux fratries, l'une de trois sœurs (clin d'œil à Tchekhov?), l'autre de quatre frères (un autre à Dostoïevski?), reviennent de l'enterrement d'un de leurs parents. L'originalité du Collectif In vitro repose sur la volonté de faire de l'improvisation et de la proposition individuelle un formidable moteur de création. Les deux histoires ne se croisent jamais, chacun endossant plusieurs rôles au cours de la représentation, avec un naturel et un talent qui ne laisse jamais planer de doute sur leur identité. Plutôt que de nous emmener en terrain connu, Julie Deliquet se fait un plaisir de nous rappeler que le plus difficile est parfois là où on ne l'attend pas, dans ces moments de retrouvailles forcées, de malaise familial et de règlement de comptes. Nous sommes ici face à un huis-clos en plan-séquence, véritable mise à nu au cours de laquelle chacun des personnages va commencer tant bien que mal son travail de deuil.

L'interchangeabilité des lieux et des personnages donne à ce spectacle un petit goût de déjà-vu, ou plutôt de déjà-vécu: il y a le couple soudé et celui qui bat de l'aile, les pièces rapportées et celles qui traînent encore là, l'aide à domicile et le chef de cérémonie… On évoque les enfants, ceux des autres et ceux que l'on a été. Impossible de ne pas s'identifier, et pourtant on ne tombe à aucun moment dans le piège de la facilité, tant chacun parvient à garder dans son jeu la part d'inattendu propre à l'écriture de plateau. Derrière cette fausse courtoisie, ces éclats de rire et ces sanglots, il y a une bombe à retardement, un mal-être sur le point de nous exploser à la figure. La distance qui nous sépare disparaît peu à peu derrière l'étrange sensation de ne faire qu'un avec les personnages, dans une sorte de connivence réparatrice, et l'on ressort de ce spectacle vidé de toutes nos rancœurs, empli d'émotion et de gratitude.

 

Création collective
Mise en scène : Julie Deliquet
Avec : Julie André, Gwendal Anglade, Éric Charon, Olivier Faliez, Pascale Fournier,  Magaly Godenaire, Julie Jacovella, Jean-Christophe Laurier, Agnès Ramy, Richard Sandra, David Seigneur

Photo : © Sabine Bouffelle
Du 25 septembre au 16 octobre 2015, du mardi au samedi à 20h30 dimanche à 16 heures
Du 3 au 7 novembre 2015 au Théâtre Romain Rolland de Villejuif, du mardi au vendredi à 20h30, le samedi à 19h
Les 21 et 22 novembre 2015 à La Ferme du Buisson, Scène nationale de Marne-la-Vallée, horaires à déterminer
Le 27 novembre au Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi, à 20 heures
Durée : 1 h 45

20 € - 18 € - 12 €