Vu du Pont est une tragédie comme on en voit rarement : elle allie la beauté du mythe à la tristesse d'un fait divers.
C'est l'histoire d'un homme, Eddie Carbone, immigré italien à New York, travaillant comme docker à la journée, dont la vie tient sur une promesse : celle d'assurer le bonheur de sa nièce Catherine, recueillie lorsqu'elle était encore petite fille. Mais Catherine n'est plus une enfant. C'est une femme, et Eddie est le seul à ne pas s'en rendre compte. Il refuse de la voir partir gagner sa vie, aimer un autre homme et porter des talons. Le drame s'ouvre le soir de l'arrivée de Marco et Rodolpho, deux cousins de sa femme Béatrice, venus eux aussi tenter leur chance en Amérique. Au premier regard de Catherine sur Rodolpho, on devine que tout cela finira dans le sang.
Eddie est un homme ordinaire. Il n'a pas la trempe d'un héros, et encore moins celle d'un lâche, et c'est ce qui fait que nous avons tant de mal à le comprendre. Il traite Catherine comme une enfant et l'aime comme une femme, considère Béatrice comme une mère et la tient à distance, soupçonne Rodolpho d'aimer les hommes et l'embrasse sur la bouche. Oncle incestueux, mari indigne ou homosexuel refoulé, Eddie Carbone est un mystère.
La mise en scène d'Ivo van Hove tient du génie : il parvient à maintenir entre les personnages une tension d'une rare intensité. Tous sont excellents, à commencer par Charles Berling, bouleversant dans le rôle d'Eddie Carbone. La scénographie est à la hauteur du propos : la scène n'est pas devant nous mais au centre, tel un ring, coincée entre quatre plaques de verre froides et étanches. Rien ne pourra empêcher le sang de couler. Après un final éblouissant, au terme de deux heures de représentation durant lesquelles le public a retenu son souffle, c'est un tonnerre d'applaudissements qui a fait trembler les gradins des Ateliers Berthier en ce soir de première. Lauréate du Critic's Cirle Awards 2015 après avoir triomphé à Londres, cette pièce est plus qu'une simple recommandation. Elle est indispensable.
Vu du Pont, d'Arthur Miller
Mise en scène : Ivo van Hove
Traduction française: Daniel Loayza
Avec : Nicolas Avinée, Charles Berling, Pierre Berriau, Pauline Cheviller, Alain Fromager, Laurent Papot et Caroline Proust
Costumes : An d'Huys
Décor et lumière : Jan Versweyveld
Son : Tom Gibbons
Photo : © Thierry Depagne
Ateliers Berthier, 1 rue André Suarez, 75017 Paris
Réservations : 01 44 85 40 00
Site du théâtre : http://www.theatre-odeon.eu/
Du 10 octobre au 21 novembre 2015
Du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 15h
Durée : 2 heures
37 € | 23 € | 19 € (Hors abonnement)