L'histoire des mines de Brandes, une immersion originale au cœur du Dauphiné médiéval et de son économie minière.

Dans l’historiographie contemporaine, les premiers grands travaux universitaires dédiés au site de Brandes sont ceux du célèbre géographe André Allix en 1930. Dans un compte-rendu élogieux, Marc Bloch put s’enthousiasmer devant « l’histoire si curieuse des mines de Brandes ». Depuis, les chercheurs ont poursuivi le travail de leurs prédécesseurs. A l’heure actuelle, nous disposons de près de 259 textes, s’échelonnant de 1036 à 1919, pour retracer l’histoire des mines de Brandes et de son contexte. C’est sur cette masse documentaire que se base la présente étude.

La mine de Brandes resta en fonctionnement jusqu’au milieu du XIVe siècle. Son activité favorisa le développement d’une agglomération minière à une altitude singulière de près de 1800 mètres. Du XIIe au XIVe, le denier d’argent reste une monnaie de référence dans l’Occident médiéval. La production argentifère de Brandes va, de ce fait, considérablement modifier le paysage économique du Dauphiné médiéval qui repose alors principalement sur les activités minière, agropastorale et commerçante. L’endroit apparait dans nos sources en 1058, lorsque le seigneur Adam donne à l’abbaye d’Oulx des terres se situant autour de Brandes. Mais, pour l’heure, les mines ne semblaient pas encore en activité. Selon des prospections archéologiques, ce n’est qu’au XIIe que les premières extractions vont avoir lieu. Il faut attendre 1236 pour que les mines apparaissent clairement dans la documentation. Les revenus liés à son exploitation sont alors destinés à financer la construction de l’église Saint-André de Grenoble. L’édifice religieux est destiné à devenir la nécropole du Dauphin.

Au XIIIe, le Dauphin semble en effet être le principal seigneur des mines de Brandes. Mais en 1282, le dernier descendant de la maison de Bourgogne meurt sans laisser d’héritier. C’est Humbert Ier, issu de la maison de la Tour, qui va héritier du Dauphiné. Cependant, l’entourage du comte défunt n’entend pas se défaire trop vite de ses droits sur Brandes. A travers cet épisode, on peut se rendre compte des enjeux politico-économiques qui interviennent dans le contrôle des mines, source à la fois de richesse mais aussi d’un certain prestige. Finalement, un compromis est passé entre les deux parties et le Dauphin issu de la nouvelle maison comtale ne conserve plus qu’1/5 des revenus de Brandes.

Auparavant, une enquête diligentée pour le Dauphin Guigues VII entre 1250 et 1267, concernant la situation générale du Dauphiné, nous en dit un peu plus sur Brandes. Les hommes du village sont alors ceux du Dauphin qui, depuis son château perché sur le rocher Saint-Nicolas, surveille la vallée grâce à ses hommes d’armes. Les mineurs semblent alors exemptés de toute corvée en échange du travail qu’ils fournissent. Le castrum de Brandes adopte un mode de construction peu commun pour la région que l’on qualifie de shell keep. Ce type architectural apparait en Normandie et en Angleterre et se trouve particulièrement adapté au guet. C’est ainsi que le shell keep de Brandes se retrouve inséré dans un réseau de fortifications plus vaste qui quadrille la région de l’Oisans. A propos des mines, durant le moyen âge, deux techniques d’extractions sont alors utilisées. La première, dite à percussion, consiste à frapper directement la roche à l’aide d’une masse et de coins. La seconde – principalement utilisée à Brandes – consiste à allumer un brasier au pied de la roche qui, sous l’effet de la chaleur, éclate en plusieurs morceaux. L’activité de Brandes semble donc bien en place au milieu du XIIIe comme en témoignent les traces de charbons retrouvées ainsi que la présence du shell keep qui a pour but de parer aux éventuels dangers extérieurs. 

Mais la situation change en 1339. Dix ans avant que le Dauphiné ne soit « transporté » dans le royaume de France, une nouvelle enquête permet de suivre l’évolution du site de Brandes. Les mines semblent alors avoir été progressivement délaissées au profit d’autres filons plus généreux. On peut donc se rendre compte qu’au milieu du XIVe siècle, l’âge d’or des mines de Brandes n’est plus qu’un souvenir. Le déclin est aussi perceptible dans les documents comptables qui, à partir du XIVe, sont tenus régulièrement. En 1321 on peut se rendre comte que la part du Dauphin sur les mines ne s’élève plus qu’à 1/9, peut-être pour ne pas trop peser sur une activité qui a du mal à se maintenir et est même stoppée en 1339.

Le contexte politique et social du XIVe siècle n’est pas non plus favorable aux mines de Brandes. En 1323, on apprend que, depuis une vingtaine d’années, les droits delphinaux en Oisans sont usurpés par plusieurs seigneurs. « L’affaire de la reya » est bien documentée pour Brandes. Celle-ci concerne le percement d’une nouvelle galerie - dite de la reya - à Brandes en 1337, afin de redynamiser l’activité minière alors en déclin. C’est un certain Guigues Raoul qui est chargé des travaux. Mais Guigues Czupi, seigneur de l’Oisans, commet de nombreuses exactions à tel point que le chantier ne peut aboutir. Cette affaire précipite la chute de Brandes qui connaissait déjà une production ralentie et irrégulière depuis longtemps.

Le rapport entre le pouvoir delphinal et l’activité minière évolue en même temps. Dès 1339, le Dauphin concède l’exploitation de certaines mines à des entrepreneurs contre un cens annuel. Ce type de contrat, dit d’albergement, permet aux entrepreneurs possédant un bon capital de base de mener des prospections comme bon leur semble, contre quoi ils doivent s’acquitter du cens et d’ 1/10 de leur production. Ce système permet à certains de ces albergataires de s’enrichir considérablement et de découvrir de nouveaux gisements. Les regards vont alors se détourner de Brandes au profit d’autres mines nettement plus rentables.

Les documents fiscaux du XVe permettent de suivre les habitants de Brandes qui, après l’arrêt des mines, se reconvertissent dans l’élevage et l’agriculture. Toutefois, la toponymie reste imprégnée du passé minier de la vallée (« la roue de treul », « le béal charbonnier »,…). D’autres sources permettent d’envisager des études démographiques, économiques ou sociales du plateau au XVe siècle. Ainsi, en 1428 une révision des feux mentionne 52 foyers à Brandes. Les enquêteurs notent une diminution de la population depuis leur précédent passage. Ceci peut s’expliquer par les épisodes de peste associés à l’appauvrissement général de la région. Les visites pastorales initiées au XVe siècle viennent compléter nos connaissances. On peut surtout suivre l’évolution de l’église Saint-Nicolas de Brandes. La fondation de l’église remonte au XIe, il ne s’agit encore que d’une simple chapelle. Au XIIIe siècle, elle connait des agrandissements avec l’ajout d’une nef et la constitution d’un chœur. Se situant sur un éperon rocheux, l’église était le premier édifice visible de Brandes. Son rang de paroisse lui conférait un statut élevé. Son saint patron, Nicolas, était particulièrement prisé par les mineurs du XIIIe et du XIVe siècle. Mais comme l’indiquent les visites, le bâtiment est progressivement délaissé, à tel point qu’un 1672 il y est impossible d’y célébrer les messes. L’histoire de l’église Saint-Nicolas est donc étroitement liée à celle des mines et suit son apogée puis son déclin.

Depuis le XVIIe, Brandes passionne des savants venus de tous les horizons. Alors même que le site n’a pas été redécouvert, de nombreuses légendes circulent autour de ce village perdu dans les montagnes. En 1710, Guillaume Delisle réalise une carte où il tente de replacer les mines. Mais ce n’est qu’à la fin du siècle que le site est véritablement mis à jour. La presse relaie la découverte et colporte les mythes. Curés et savants des Lumières se rendent sur place et fouillent les lieux. Au XIXe siècle, des ingénieurs des mines s’emparent à leur tour du sujet. Louis-Etienne Héricart de Thury pense même avoir retrouvé un ancien bagne, tandis que d’autres y voient une fondation sarrasine ou romaine. Mais le premier à s’intéresser de manière sérieuse au site est l’érudit Ulysse Chevalier (1841-1923) qui rassemble un important corpus documentaire, encore utilisé par les chercheurs. Après lui Hippolyte Müller (1865-1933) se rend sur place et mène une véritable fouille qu’il agrémente de photographies et de schémas.

Brandes se fait une bonne place dans les études historiques. Tout au long du XXe siècle, les ruines de Brandes sont pillées ou réutilisées dans des travaux dédiés aux sports d’hiver et au tourisme. Reste toutefois le site, témoin unique de plusieurs siècles d’histoire, qui peut encore livrer de précieuses informations de nos jours.

C’est d’ailleurs là le cœur de l’ouvrage. Menant un travail remarquable – servi par une édition de grande qualité – les auteurs de cette « histoire si curieuse des mines de Brandes » livrent une analyse fine et détaillée sur l’activité des mines de Brandes durant l’époque médiévale. Pour ce faire et faisant feu de tout bois, de nombreuses sources sont convoquées. Des enquêtes delphinales aux visites pastorales, en passant par des compoix   ou divers documents fiscaux, le travail mené ici est un exemple d’érudition mise à la portée de tous. Croisant l’histoire à l’archéologie, l’ouvrage tente de restituer l’évolution des mines du XIIe au XIVe siècle en tenant compte de l’apport des sciences auxiliaires de l’histoire. Autre élément appréciable, chaque partie offre en complément une série de documents originaux - retranscrits et traduits - qui permettent une véritable immersion au cœur des sources utilisées par l’historien. Chaque mot technique trouve une définition - à la fois simple et précise - dans le glossaire fournit en annexe. Les nombreux clichés et cartes ajoutent une plus value à l’ouvrage qui, de fait, parait complet. Les plus pointilleux pourront cependant regretter une brève introduction à l’histoire du Dauphiné médiéval. Au final, les auteurs signent ici un ouvrage qui est en passe de devenir un classique de l’historiographie des mines en Dauphiné