Les historiens seraient-ils devenus des intellectuels dans leur tour d’ivoire ? Voilà une question essentielle posée par Jo Guldi et David Armitage dans leur History Manifesto en 2014. Dans ce traité aux intentions ouvertement polémiques, ils dressaient le bilan de l’état actuel d’une histoire en crise et tentaient d’en déterminer les causes et les conséquences pour y trouver des solutions. Les questions étaient posées ; mais les réponses apportées sont encore loin de faire l'unanimité. De fait, le manifeste n’est pas celui de tous les historiens, comme l’expriment les critiques formulées dans le le 70e numéro des Annales (2015/2) par Lynn Hunt, Claudia Moatti, Francesca Trivellato, Claire Lemercier, ou Cristian Lamouroux.

 

Le constat de Jo Guildi et David Armitage

Dans ce numéro, Jo Guildi et David Armitage reprennent la plume pour préciser leur propos. Selon ces deux historiens américains, l’histoire souffrirait de s’être hyper-spécialisée et éparpillée au point d’être devenue à la fois inaudible et aussi inintéressante pour le grand-public que pour les décideurs des politiques publiques. Afin de remédier à cela, les auteurs proposent de travailler sur la longue durée, de revenir à cette échelle de temps qui aurait un potentiel critique plus grand. En utilisant davantage les technologies (notamment pour le traitement des big data), les historiens deviendraient donc « plus utiles ».

 

La réponse des Annales

Dans l’ensemble, les contributeurs du numéro des Annales s’entendent pour reprocher aux auteurs de ne pas définir leur conception de la longue durée et d’opposer des temporalités qui se complètent plus qu’elles ne s’opposent. Mais pour tous, l’essentiel, et ce qui est en jeu, est la question des liens qui unissent l’histoire aux autres sciences sociales.

Plusieurs auteurs déplorent d’abord le détournement de certains ouvrages cités, voire l’absence d’exemples concrets et développés, ou même le défaut de méthode des deux auteurs américains, remettant en cause jusqu’aux bases de leur constat.

Certains des contradicteurs de Jo Guldi et David Armitage reprennent cependant leur questionnement, montrant que si leur réflexion est mal orientée, elle demeure bienvenue. Il s’agit alors d’offrir de nouvelles pistes de réflexion. En questionnant par exemple la pertinence des outils numériques : sont-ils vraiment une ressource nouvelle ? Comment faut-il et peut-on les utiliser ?

Finalement – et là est l’importance du propos de Jo Guldi et David Armitage comme de l’ensemble des réponses qui leur sont adressée –, c’est bien toute l’épistémologie de l’Histoire, sa méthode, la question  des temporalités, du sort à réserver à la durée braudelienne et du rôle qu’elle doit jouer, qui se retrouve au cœur de la discussion.

A sa lecture, on ne peut qu’être stimulé par la profusion des arguments échangés et la rigueur de la réflexion, dans les différentes prises de position par rapport à l’article de Jo Guldi et David Armitage comme dans la réponse proposée par ces auteurs aux critiques qui leurs ont été formulées – qui n’éclaircit hélas leur position que sur certaines d’entre elles !

Le moment semble dans tous les cas venu pour les historiens de chercher des solutions pour mettre fin à la crise que traverse la réception de leur discipline. A l’heure où les géographes ont mis fin à la leur en choisissant un nouveau paradigme, le débat est ouvert : il est sans doute loin d’être clos…