Pierre Perrin nous propose une critique du dernier ouvrage de Claire Fourier publié aux éditions La Différence: Il n'est feu que de grand bois.  

Métro Ciel, chez Actes Sud en 1996, avait révélé un tempérament. Celui-ci reste ardent, puissant, il emporte tout sur son passage. « Montre-moi comment tu fais l’amour, je te dirai qui tu es. » C’est peu dire que ce présent roman, Il n’est feu que de grand bois, est un régal. Pourtant un roman épistolaire, c’est assez rare et peu couru, parce que, par nature, l’action y est infime. Le plaisir est d’emblée littéraire. Le sujet, l’amour qui vient du fond des siècles, mais que chacun réinvente à sa mesure, et le style qui l’enchâsse assurent la réussite. Pour coller à notre temps, et pour ne rien cacher, Claire Fourier fait, dans les premières pages – après elle s’en dispense – un clin d’œil au parler populaire (on s’en fout, j’ai pigé, rigolote). C’est un des rares reproches qu’un lecteur un peu trop rigide pourrait lui adresser, l’autre étant cette insistance à marquer la séparation entre l’intellectuelle et cet homme « de pleine terre et plein air ». Mais c’est dire encore, par ricochet, si ce beau roman est proche de la perfection. 

 

D’abord, l’humour de Claire Fourier est constant. « Plus besoin de timbrer mes lettres, c’est moi qui suis timbrée. » Son humour scintille, qui l’entraîne « du côté de la forêt vosgienne où Dieu (plus que Gulliver ou Guebviller) joue au ballon » et où l’aimant, dont elle attend qu’il perde son I pour elle, arpente la forêt, débite le bois, lui accorde trop peu de son temps. Cette prose étincelle, sans tape à l’œil aucun, attestant au contraire la plénitude qui la porte. L’Origine du monde, le tableau de Courbet un instant tenu sous sa plume, impressionne-t-il les mâles ? « Elle tourne, ma langue, autour de l’axis mundi. Ma langue de chair (ou écrite) tourne autour de l’arbre que j’ai vu en toi, – l’arbre de vie, te dis-je ». Elle écrit, d’un même élan, que « la sensualité apaise la férocité du monde ». C’est toujours avec le sourire qu’elle tord le cou à quelques poncifs. « La tête qui dépasse du lit de Procuste et qu’il faut couper, telle est l’incorrigible conception de l’égalité. Moi, je suis très heureuse que la tête me dépasse. » Et puis, dans les parages de Baudrillard : « la femme est ensemble femme et homme, tandis que l’homme est seulement l’homme. Raison pour laquelle un homosexuel m’inspire de la compassion, tandis qu’une lesbienne me paraît redoutable ».

 

Plus profondément, elle sait faire jaillir d’un sanglot intérieur un éclat de rire, en même temps qu’elle a des audaces bienvenues. « J’ai l’écriture « en chaleur » ? » Question oratoire à l’adresse de l’amant qui aura ses reculs, ses remords. Elle décoche contre la lâcheté des pages de grêle, d’une saine cruauté. Elle prête ainsi à l’autre, non point la légitime mais la légale : « Je t’attends pour rendre à l’hégémonie son insignifiance. Je t’attends pour dire non à l’exceptionnel et au rêve. Je t’attends comme actionnaire de notre petite société conjugalo-capitaliste. Je t’attends à la table de cuisine dans l’appétit pour les idées rassises. » Et peu après elle décline, avec des mots qui ne veulent plus voler comme des oiseaux, « les commandements de la vie conjugale ». C’est coruscant et ça étrille.

 

L’amour nous apprend-il quelque chose ? Il donne à « percevoir l’être sacré dans l’être de chair, » dit Claire Fourier. « Je te sens chuter en moi, et me sens remonter à la surface […] On est nous deux et on est les autres, tous les autres .» Elle donne à pénétrer la peau et l’âme à la fois, « ce je ne sais quoi de flûté et cuisant en bas de moi » et la goutte d’éternité après laquelle nous courons tous, en sachant que, dans la mort, le ciel reste un miroir aux alouettes. Ce roman nous réserve encore quelques vérités : Le militantisme est borné ; le monde crève de violence, jusque dans l’étreinte ; la tolérance consiste à ne jamais tourner le dos et surtout pas devant quelqu’un qui aurait raison contre soi. On s’enrichit de ce qu’on donne. Claire Fourier qui dit encore « écumer comme une bouilloire » donne là un roman à la fois intime et de haut vol. Elle fait qu’on a envie de répéter après elle : « Merci de me donner envie de dire merci. »