Du Bellay est un poète a redécouvrir. Loin d'être poussiéreux, il témoigne de la vigueur de la langue française et permet d'interroger son devenir.
De prime abord, le programme d’agrégation de lettres modernes concernant le XVIe siècle ne semble guère original : La Deffense et illustration de la langue Françoyse, agrémentée de L’Olive de Du Bellay. Aussi les étudiants s’attendent-ils à passer une année entre un manifeste poussiéreux et un recueil poétique mineur (face aux Regrets qui passent pour le chef d’œuvre de Du Bellay). Mais il est des surprises à préparer l’agrégation (hormis voir le nombre de postes réduit à une peau de chagrin) : grâce à l’ouvrage de Roger-Vasselin, Du Bellay, une révolution poétique, on constate l’actualité du poète de la Renaissance.
Du Bellay a vingt-sept ans lorsqu’il publie La Deffense et illustration de la langue Françoyse. Il est sourd – comme son ami Ronsard – ce qui ne l’empêche pas d’être clairvoyant. François Ier vient de mourir deux ans auparavant, ayant entamé une politique qui dessine à jamais la France : en 1539, il fait du français la langue officielle du pays. De langue administrative qu’elle est devenue, il convient, selon Du Bellay, d’en faire une langue d’art et d’érudition.
Au XXIe siècle, il est malaisé d’imaginer combien le français était alors menacé, d’abord par le latin, dont les tenants exclusifs refusent tout écrit en langue vernaculaire, puis par l’italien, qui brille grâce au génie de Pétrarque.
Qu’à cela ne tienne, Du Bellay entend faire du français une langue puissante et expressive qui soit en mesure d’assurer le prestige de la nation. Il défend âprement la langue vernaculaire, et ce choix linguistique n’est autre qu’un choix politique. Bruno Roger-Vasselin souligne les résonances actuelles du premier manifeste de notre littérature : "en ces temps d’exception culturelle européenne et de craintes du repli de la francophonie dans le monde, le "joual", ou parlure québécoise, étant toujours menacé par l’univers anglo-saxon (lui-même subissant aux États-Unis une inexorable montée de l’hispanisme), la vigueur conquérante des manifestes poétiques de Joachim Du Bellay et de ses émules, au milieu du XVIe siècle, est riche de leçons."
La technique de Du Bellay est simple : aller chercher chez les autres ce qu’ils ont de meilleur et l’intégrer à notre langue encore balbutiante. Les langues sont des plantes qu’il faut cultiver et dont "les surgeons greffés s’élanceront en de fertiles rameaux" (Cécile Alduy). "N’est-on pas là en plein multiculturalisme ?" conclut Roger-Vasselin.
Le français doit être également illustré par une poésie d’excellence : L’Olive apparaît comme la première pierre du nouvel empire littéraire à bâtir. Imitée de Pétrarque (selon le principe d’innutrition – la "digestion" d’œuvres feuilletées de "main nocturne et journelle" – qui aboutit à l’éclosion d’un style singulier), L’Olive est le versant pratique du traité théorique.
Ce recueil d’articles et d’exercices éclaire bien la pensée de Du Bellay, ses intentions, son ambition personnelle et nationale. Il fait le point sur l’état actuel des recherches concernant le poète angevin. Mais il permet surtout de comprendre ce que nous devons à cet auteur qu’on jugeait a priori, et injustement, poussiéreux. Il ne l’est pas. Mais n’est-ce pas nous qui le sommes devenus, poussiéreux ? À l’heure de l’américanisation et de l’extase collective face au mode d’expression des cités, à l’heure où le Times décrète la mort de la culture française, la France est-elle toujours "mère des arts" ? La littérature illustre-t-elle encore la langue ? L’enrichit-elle vraiment ? Qu’en est-il de son style ? La masse des œuvres publiées est-elle un véritable apport à la langue française ? Autant de questions qui demeurent en suspens et nous font rêver, comme Du Bellay, à une nouvelle révolution poétique.