@ Pauline Le Goff
Une invitation vivante au spectacle
La pièce Démons de Lars Norén rend compte de l’état de crises répétées traversé par Frank et Katarina, un couple passionnel, inséparable, et pourtant perpétuellement au bord de la rupture. Frank vient de perdre sa mère dont il préserve scrupuleusement les cendres dans une urne. Pour rompre le désenchantement progressif de leur vie, ils invitent Jenna et Thomas, leurs voisins qui forment un couple plus tempéré, pour une soirée improvisée.
Voilà l’histoire banale d’un homme et d’une femme qui se déchirent, pourrait-on dire. Certes. Mais l’adaptation proposée par Lorraine de Sagazan nous invite au cœur du dédale amoureux par un jeu subtil des apparences. Plus qu’à une pièce de théâtre traditionnelle, nous assistons à un processus créatif qui nous invite à une réception active de l’œuvre de Norén. Les surprises sont nombreuses et l’on se surprend à chercher à départager le vrai du faux, le souhaitable de l’impensable… Et à rire aussi, entre mirage et réalité.
Sur scène, chaque personnage est désigné par le prénom du comédien qui l’incarne. Façonné par la part vivante que l’acteur lui prêtera le temps de la représentation, Frank répond ici au prénom d’Antonin. Il prend vie sous les traits et le charme puissant de l’excellent Antonin Meyer Esquerré ; Katarina est Lucrèce, elle diffusera le charisme de la belle et poignante Lucrèce Carmignac.
Dès lors nous, spectateurs, voyons double. À la fois deux acteurs et deux personnages.
Peu à peu, le jeu jaillit de toute part dans cette mise en scène : le quatrième mur est rompu et c’est nous, spectateurs, qui sommes invités chez Antonin et Lucrèce. Tandis qu’Antonin nous met à l’aise, nous divertit, s’enquiert de nos envies et de nos besoins, le couple s’ennuie, se dispute et s’écharpe sous nos yeux sans pudeur. La sphère privée devient publique.
Comment réagir ? Qu’en penser ? Nous étions, il est vrai, venus assister au spectacle… Par un subtil jeu de dédoublement, les spectateurs rejoignent la scène et prennent part à l’action. Et à mesure que le dispositif scénique nous rend acteurs, notre capacité à garder une distance, à faire appel à notre jugement, à composer notre réception, bref à utiliser notre libre arbitre, s’affute. Le plaisir de l’observation s’accroit.
Comment en finir avec ce qui nous exaspère, quand ceci naît du reflet de nous-même ? Un moment théâtral à ne pas manquer.
Démons, librement inspiré de la pièce de Lars Norén, conception et mise en scène Lorraine de Sagazan
Avec Lucrèce Carmignac, Antonin Meyer Esquerré, Jeanne Favre, Benjamin Tholozan
Au Théâtre de Belleville, Paris 11ème, du 15 septembre au 22 novembre 2015
Durée approximative : 1h15
www.theatredebelleville.com