On connaissait déjà le langage peu châtié de certains hommes politiques français. La moindre échéance municipale à Nice, et l'on entend le maire traiter ses concitoyens vertement. Françoise de Panafieu, elle-même lancée dans une course au fautueil de maire (à Paris, cette fois), n'a pu se contenir devant une nuée de journalistes se ruant autour de son rival Bertrand Delanoë ; visiblement abattue, elle laisse échapper un "Quel tocard!" désespéré. Passons sur les transports vulgaires et insultants de Georges Frêche, les délires révisionnistes de l'extrême-droite et les errements langagiers du président de la République. Preuve en est faite, notre personnel politique national ne se prive pas d'user de noms d'oiseaux quand il s'agit de parler du camps adverse. Avec la multiplication des bloggeurs et autres journalistes ultra-mobiles, avec la percée de l'investigation politique dans la sphère privée du candidat   , on a découvert bien plus de grossièreté chez nos représentants qu'il n'en faudrait pour remplir cet article. C'est un fait.


Trois différences

L'insulte qui défraie en ce moment la chronique aux Etats-Unis est, elle, bien différente. Certes, il s'agit de propos rapportés sans l'accord de la personne citée, de considérations "Off Record"   . Cependant, elle n'a rien de comparable avec ce que nous avons connu en France.

Tout d'abord, par son intensité : Hillary Clinton, la candidate à l'investiture du Parti Démocrate, a été traitée de "monstre", comme on a pu le lire dans un journal écossais, The Scotsman. Selon le quotidien, l'ex-First Lady serait "capable de n'importe quoi" pour arriver à ses fins. La critique est sévère, mais quoique insultante, elle ne franchit pas les limites d'indécences allègrement dépassées par les remarques de Patrick Devedjian sur Anne-Marie Comparini, par exemple. On serait également tenté de penser que oui, Hillary Clinton à l'air bien décidée à emporter la nomination et l'élection, mais quand on vise une telle fonction, c'est là bien le moins. De plus, et c'est important quand on parle de celle qui se présente comme la possible première femme présidente du pays le plus puissant du monde, ces propos ne sont pas sexistes. Quoi qu'il en soit, les déclarations de Samantha Power demeurent inacceptables.

Car ce n'est pas de la bouche du sénateur de l'Illinois que ces vacheries sont sorties – et voilà une deuxième différence–, mais bien de celle de Samantha Power, spécialiste de l'Afrique et des Droits de l'Homme, journaliste, universitaire de renom à la Kenney School of Government d'Harvard, auteur d'un récent livre sur Sergio Vieira de Mello et la paix dans le monde, gagnante du Prix Pulitzer dans la catégorie non-fiction en 2003. Conseillère très douée et pourtant bénévole, très proche du candidat lui-même, elle a franchi la ligne rouge au cours d'une interview. Il faut dire que le climat est bien particulier. Cette campagne interne au Parti Démocrate, conséquence logique d'une primaire dont on a vu la première importation en France en 2007, permet de choisir le candidat préféré des américains   , mais porte également en elle un effet secondaire très net : elle aggrave les tensions au sein du Parti Démocrate, le divise de manière marquée mais, espérons-le, superficielle, et ainsi, bénéficie pour l'instant au candidat désigné par le parti Républicain. Beaucoup pensent qu'une fois le candidat officiel désigné, les Démocrates n'auront aucun problème à se rallier au cheval du parti, les divergences étant vraiment mineures entre les deux programmes, cependant elle ne le sont pas entre les personnalités, et dans cette course si effrénée, si importante pour les libéraux qui n'ont pas bénéficié d'une présidence très bienveillante depuis huit ans, veulent à tout prix gagner l'échéance de fin 2008. Pour certains, l'enjeux est tellement fort qu'il est impossible de rester dans les frontières de la courtoisie, et mêmes les conseillers, qui mettent forcément dans la campagne moins d'eux-mêmes que les candidats, en viennent à des dérapages que tout le monde déplore.

Et ceci nous amène à une troisième différence : la sanction n'est pas tout à fait la même. Il faut le dire, mise à part l'exclusion de Georges Frêche du Parti Socialiste, les emportements des hommes politiques en France mènent rarement à des sanctions politiques (le buzz médiatique autour du vif échange du salon de l'agriculture est tout autre chose). Mais dans l'affaire Power/Clinton, les conséquences ont été immédiates : il n'a pas fallu attendre plus de quelques heures pour que Barack Obama ne condamne ces propos et encore un peu plus tard, la conseillère de prestige remettait son tablier de "Senior Advisor". Admettons que c'est tout de même plus efficace, voire même plus naturel.


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Toujours est-il que la controverse sur ces propos peu courtois n'est pas d'une utilité flagrante. Ces propos compteront-ils dans l'échéance électorales de primaires encore à venir? Rien n'est moins sûr. Resterons-t-ils dans l'histoire de la campagne des primaires 2008? On sait bien que non. Et pour s'en convaincre, il n'y a qu'à regarder les archives de 2000, quand John McCain et George Bush s'invectivaient tous deux, le futur président étant même comparé par le sénateur de l'Arizona à … Bill Clinton. Insulte suprême pour un conservateur! Il y a quelques jours, par une belle journée d'hiver, ils partageaient un hot dog à la Maison-Blanche, le 43ème président des Etats-Unis apportant toute sa confiance au nouveau candidat Républicain…



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Crédit photo : Flickr/Barack Obama