Depuis 4 ans, le Reuters Institute for the Study of Journalism livre son rapport annuel qui permet d’évaluer, à l’échelle mondiale, l’appréhension, l'accès et l’usage des populations en matière d’information. Après une segmentation optimale de l’échantillon sondé – représentatif des usages globaux de chaque pays étudié –, c’est finalement plus de 20 000 personnes qui jouent le jeu du question/réponse dans 12 pays aux usages informationnels diversifiés   .

Smartphones
et tablettes, vers une globalisation ?

Sans surprise, l’Institut constate cette année une nette augmentation de l’influence des smartphones et des plateformes 2.0. en ce qui concerne l’accès à l’information. Facebook (41%), Youtube (18%) et Twitter (11%) sont d’ailleurs les médias sociaux les plus utilisés lorsque les sondés cherchent à s’informer. Cette finalité reste toutefois secondaire sur Facebook contrairement à Twitter et ses 140 caractères.

L’utilisation des smartphones progresse dans les 12 pays étudiés et 46% des sondés déclarent consulter les informations au moins une fois par semaine via leur téléphone. Ce dispositif s’érige même, pour un quart d’entre eux, comme le principal relais vers l’information. Dans une moindre mesure, l’usage de la tablette se démocratise : 23,6% utilisent ce « device » comme moyen d’accès à l’information en 2015, gagnant peu à peu du terrain sur l’hégémonie de l’ordinateur. Ce dernier reste néanmoins le dispositif numérique le plus populaire. Les sondés l’utilisent majoritairement (57%) pour s’informer en temps réel et 67% d’entre eux s’en servent au moins une fois par semaine dans la même optique. Malgré ces chiffres, le recours croissant aux smartphones et tablettes tendra à supplanter l’ordinateur dans les années à venir. La mobilité et le confort, de plus en plus optimaux, qu’offrent ces nouveaux supports pourraient effectivement séduire un nombre toujours plus important d’adeptes.

Les graphiques qui alimentent le dossier témoignent aussi de l’influence des nouvelles générations dans la mutation et l’expansion des médias informationnels. En ce sens, 60% des jeunes (18-24 ans) s’informent via leur téléphone, tablette ou ordinateur. Le graphique montre surtout que plus les sondés sont âgés, plus leurs consultations en ligne sont faibles. Cependant, les chiffres de la télévision compensent parfaitement cet écart générationnel. En effet, quand seulement 27% des jeunes s’informent via la télévision, 54% des 55 ans et plus restent fidèles à leur poste.

L’analyse quantitative permet une appréhension globale des usages à travers les continents mais l’Institut s’intéresse également à la relation de confiance que les populations cultivent à l’égard de news auxquelles elles ont accès d’une manière générale – et non seulement via les médias traditionnels. Ainsi, les Finlandais (68%), Brésiliens (62%) et Allemands (60%) considèrent les informations qu’ils consultent comme fiables et crédibles. Les Italiens (35%), Espagnols (34%) et Américains (32%) ferment ce classement avec des chiffres qui laissent transparaître une certaine méfiance quant aux informations mises à leur disposition.

Comment les Français appréhendent-ils l’information ?

Les français sont d’importants consommateurs télévisuels et l’hexagone domine les autres pays dans cette catégorie. En effet, 58% des sondés déclarent s’y informer – contre 40% aux Etats-Unis ou 30% en Finlande par exemple – et nous pouvons légitimement en déduire que les attentats du mois de janvier (les réponses ont été récoltées entre janvier et février derniers) ont fortement influencé ces statistiques. Une pratique qui creuse un peu plus l’écart et confirme le déclin de la presse écrite (on déplorera cette fois l’absence remarquée de la radio dans les propositions de réponse) car seuls 3% des sondés de notre pays déclarent consulter des titres de presse. Internet, offrant un accès majoritairement gratuit à l’information, supplante depuis quelques années l’historique presse écrite. Une dynamique qui semble inexorable lorsqu'elle est corrélée au faible pourcentage de personnes prêtes à payer pour avoir accès aux informations en ligne   .

Cependant, la progression de la veille informationnelle par les smartphones reflète un intérêt croissant des jeunes pour l’actualité, les statistiques passant de 20% en 2012 à 37% en 2015. Des chiffres qui montrent une évolution marquante et une sensibilité aux nouvelles technologies malgré un retard significatif sur nos voisins scandinaves. Les danois survolent en effet ce classement avec 57% de ses sondés s’informant via leur téléphone.

Cette enquête relève un point essentiel quant à la considération que portent les français à l’égard de l’information. Fait notable, seuls 38% d’entre eux font confiance aux informations qui leurs sont livrées, la France occupant la triste 9e place de ce classement. Pis, notre pays se démarque par le peu d’intérêt que manifestent nos concitoyens à l’égard de l’actualité, offrant ainsi une significative dernière place en matière d’intérêt vis-à-vis de l’info (59% en 2015 contre 64% l’année dernière) quand seulement 10% déclarent en consulter au moins 5 fois par jour   . Des chiffres inquiétants qui, une fois de plus, semblent être la conséquence directe de notre dramatique début d’année, alimenté par diverses théories du complot – qui semblent avoir trouvé leur public – et décrédibilisant quelque peu les récits des journalistes hexagonaux. Ces chiffres peuvent également être liés à l’apparition de nombreux sites faussement informationnels et, parfois, propagandistes et conspirationnistes que L'Express rebaptise sites « d'infaux » (Quenelplus, Agenceinfolibre ou Egalité et Réconciliation parmi tant d’autres   ). Les articles qui y sont publiés respectent en apparence les codes du journalisme traditionnel mais, bien souvent, le contenu et/ou l’angle ne correspondent pas à la rigueur déontologique attendue d’un journaliste professionnel. La multiplication des canaux de diffusion de l’information élargi l’audience jusqu’à toucher des individus qui y étaient auparavant insensibles. Mais Internet regorge de titres faussement journalistiques et cette expansion du traitement informationnel offre une place de choix aux contenus calomnieux émanant de sources hybrides – et bien souvent inconnues – aux intentions aussi populistes et intellectuellement nocives qu’aux résultats potentiellement pervers, orientant alors le lecteur assidu vers un belliqueux obscurantisme.

Sur Internet d’ailleurs, les français ont tendance à rechercher eux-mêmes l’information via les moteurs de recherche (40%) quand les sondés restants ont pour habitude de s’informer en consultant des sites spécialisés (27%), les réseaux sociaux (21%), les newsletters (21%) ou les alertes mobiles (14%). Peu friands des celebrity news (9%), les infos qui intéressent le plus les français sont celles qui concernent directement leur pays (65% pour les infos généralistes, 46% pour notre actualité politique et 40% pour l’actualité régionale), même s’ils ne délaissent pas l’actualité internationale (59%) et dans une moindre mesure, l’actualité économique (32%).

Le web 2.0. à l’assaut des médias

En outre, cette enquête permet de souligner le relatif désarroi des populations face aux articles sponsorisés et l’apparition de publicités inhérente à la consultation d’un contenu numérique. Nous l’avons vu, peu d’entre nous sont prêts à payer pour s’informer en ligne et cela mène tout droit à l’interrogation suivante : Quel modèle économique peuvent adopter les pure players gratuit ? Ces sites Internet dont la pérennité dépend des financements des annonceurs – chaque clic étant donc accompagné de sa publicité. Certains sites proposent de passer outre cette surcharge attentionnelle mais cela nécessite généralement un abonnement payant : Le Monde et sa « lecture zen » en ligne dont les abonnés peuvent profiter depuis le mois d’avril, Médiapart et sa charte graphique, sans publicité, qui nécessite également un abonnement ou encore le nouveau plugin de Mozilla qui permet de supprimer les publicités et de se contenter du texte d’une page web.

Cette interrogation prend tout son sens lorsque l’on s’attarde sur les politiques de l’information des géants du Web 2.0. En effet, Facebook a récemment mis en place sa nouvelle application Instant articles. Elle permet à ses utilisateurs de consulter des articles issus de médias partenaires   sans pour autant que l’utilisateur ne quitte sa page Facebook. Cette application lui permet d’éviter le temps de latence relatif à la redirection vers un site annexe tout en maintenant l’audience du titre et ses revenus publicitaires   . Dans la même veine, Apple proposera dès cet automne l’application News. Véritable intermédiaire entre le titre de presse et le lecteur, elle permettra à ses utilisateurs de consulter des articles préalablement édités par une équipe de journalistes, salariés de la firme dirigée par Tim Cook. Le réseau social Snapchat se positionne également sur ce marché en mettant en place Discover, plateforme qui remplit les mêmes fonctions que les applications évoquées précédemment.

Nous pouvons donc légitimement estimer que les médias sociaux occuperont une place de plus en plus importante en matière d’accès à l’information. Une notion accentuée par l’utilisation accrue du smartphone mais, surtout, par la démocratisation et l’expansion des comportements que l’on attribuait auparavant à la génération Y. Les médias informationnels repensent leur stratégie en s’installant progressivement sur de nouvelles plateformes, tentant ainsi de survivre face à la démocratisation de ces outils. Le constat expéditif qui domine la conscience collective est le suivant : le web prend progressivement le pas sur des canaux historiques qui se dirigent, au rythme du vieillissement des générations, vers une inexorable obsolescence. L’histoire démontre néanmoins une capacité d’adaptation et de mutation des supports qui, à l’instar de la radio, parviennent à coexister dans de nouvelles proportions, à travers des fonctionnalités adaptées aux évolutions techniques et, par extension, à l’expansion du champ des possibles en matière d'édition et de diffusion de l'information