Vivre, quelle galère ! C’est ce que semble intimer le spectacle de Samuel Achache, qui se joue en ce moment au cloître des Célestins à Avignon (la pièce sera reprise aux Bouffes du Nord en janvier). Galère de situer l’action au pôle sud, là où les acteurs emmitouflés dans des pulls, manteaux, moufles doivent supporter la chaleur provençale. Galère de se mouvoir ainsi harnachés sur la banquise – la scène où Noël essaye de soulever son sac ! On rit beaucoup devant ce spectacle – si la condition humaine est difficile, elle n’est jamais désespérée. On y dénote également une grande délicatesse, par exemple dans la scène où un des personnages, avant de prendre son bain, se scotche les parties intimes pour préserver la pudeur du regard des spectateurs. Comique de haute volée – quand du haut d’un escabeau, il plonge dans la baignoire et semble se noyer dans l’eau du bain dans un crawl désordonné –, désopilant.

Métaphore encore, ce lac gelé que les personnages essayent de forer. Image de la vie qui coule vraiment, par rapport aux étendues glacées de la banquise ; parabole de l’amour idéal qu’on n'atteindrait qu’en le polluant des impuretés de l’existence. L’homme énergique, dit un des personnages, est celui qui arrive à transformer les fantasmes de son désir en réalité.

Fugue est un spectacle musical : les parties de théâtre alternent avec des morceaux de musique du moyen-âge et baroque « quand les mots manquent ou ne suffisent plus ». Comédien chez Sylvain Creuzevault et Vincent Macaigne, Samuel Achache avait déjà créé Le Crocodile trompeur, avec Jeanne Candel, une reprise jubilatoire du Didon et Enée de Purcell. Le rythme est parfait, on n’a pas une minute pour s’ennuyer, et on passe du rire à l’émotion du chant en un mouvement. Les comédiens-musiciens sont tous excellents : Vladislav Galard, Florent Hubert, Léo Antonin Lutinier, Thibault Perriard Anne-Lise Heimburger et Samuel Achache.

La fugue, c’est l’art du motif repris d’une voix à l’autre (l’auteur épilogue dessus dans le programme dans un verbiage un peu compliqué qui ne doit pas rebuter). C’est aussi la fuite de ceux qui sont partis oublier un chagrin d’amour à l’autre bout du monde. Emilia le dit, tous, ils sont des naufragés qui trimbalent leurs casseroles et restent attachés à leur souche – hilarant ce dernier monologue hystérique d’une femme qui rejette le néant et rêve de la Suisse.

Qu’y a-t-il entre la pulsion et la civilisation ? Le tempérament, répond Samuel Achache, ce fond de caractère qui ne change pas. Il livre ici une diatribe brillantissime sur le vide existentiel, l’amour et la mort