Marc Augé, dans ce petit livre, déclare sa flamme aux bistrots de Paris. Mêlant ses souvenirs à une analyse personnelle, l’éloge se transforme en invitation.

Marc Augé propose ici, un Eloge du bistrot parisien. Ce petit livre d’une centaine de pages, complète la bibliographie de l’auteur qui prend plaisir à proposer des ouvrages sur les sujets qui l’inspirent au quotidien : le métro, la bicyclette et donc le bistrot parisien. Et comme pour les ouvrages précèdent, Marc Augé nous emmène faire une balade, jouant le rôle de guide.

Le choix du mot : enjeux et problématiques

Se pose d’emblée le problème de la définition du sujet : qu’est qu’un bistrot ? Plus précisément encore, que sont les bistrots parisiens ? Ce qui ferait le vrai bistrot, selon l’auteur, est « sa disponibilité dans le temps et son ouverture continue »   jusqu’à sa fermeture. Sur la base de ces critères, beaucoup d’établissements peuvent prétendre à cette qualification, et à Paris d’autant plus. À l’arrêt de métro Voltaire, situés à moins de cinquante mètres l’un de l’autre, deux établissements, deux mondes différents : le Cadran Voltaire et Le XIe art café. L’un se définit comme brasserie et l’autre comme un café ; tous deux sont pourtant disponibles dans le temps avec une ouverture et un service continu… La définition proposée par Marc Augé du bistrot est donc discutable, comme toutes les définitions d’ailleurs quand il s’agit de débits de boissons hormis cette dernière. Les distinctions basées sur ce type de critères techniques sont difficiles et vouées à l’échec. L’auteur prend cependant le soin de rajouter quelques distinctions : « le troquet est un petit caboulot dans lequel on boit »   et le café « une institution qui a ses lettres de noblesse et parfois ses spécialités »   .

La réflexion quant à la dénomination de ses lieux est un exercice subtil, et il m’apparait qu’ici l’écueil interprétatif est avéré. Le café des uns sera le bar des autres, le bistrot de certains, la brasserie des suivants. Tous ces lieux répondent aux mêmes droits et aux mêmes devoirs législatifs : ce sont des débits de boissons de type licence IV. Il faut reconnaitre que l’appellation est moins glamour et que l’imaginaire ne s’emballe pas de la même façon qu’à l’évocation de bistrots, troquets, cafés, bars ou autres, mais à défaut ce qui les différencie c’est le regard que l’on porte dessus. Tout essai de définition se basant sur le décorum ou sur des critères d’interprétations est voué à un manque d’objectivité. Monique Eleb, il y a quelques années nous offrait Paris, société de cafés, en traitant du même sujet. Le choix du mot ici est un choix du cœur. Ironie, de la part de l’éditeur ? Sur la couverture c’est bien un café que l’on découvre.

L’objet est en fait mal défini, dans cet ouvrage il ne s’agit pas tant d’un type de lieu que du lien entre l’auteur et ceux-ci. Marc Augé parle de lui et des bistrots qui lui sont chers mais sans avoir finalement réussi à expliciter ni définir ce qui fait leur spécificité, et c’est seulement en acceptant ce parti pris que l’on apprécie ce travail à sa juste valeur. Il ne s’agit pas d’une réflexion sur les bistrots mais d’une déclaration d’amour.

Si les thèmes abordés, l’espace, le temps et les personnages propres au bistrot sont pertinents, ils servent de prétextes, de support à une discussion sur le sujet à travers les souvenirs et l’intuition de l’auteur. Le voyage proposé est cependant très agréable et c’est celui-ci qui fait la richesse de l’ouvrage. D’ailleurs le livre ne comporte ni bibliographie, ni références ou notes de bas de page. Il pose les bonnes questions mais ne donne que ses réponses.

De l’auteur au lecteur : un plaisir partagé

Le livre est structuré en trois grandes parties : les souvenirs, l’espace-temps et les représentations, et plusieurs chapitres qui abordent chacun un aspect ou une question relative aux bistrots. Un chapitre sera l’occasion de rencontrer Julie la serveuse, qui n’est familière que dans le cadre du bistrot, et une fois dehors, la rencontrer occasionne de la gêne, les codes ne sont plus les mêmes et celle que l’on a l’impression de connaitre nous apparait d’un coup étrangère. Un autre chapitre se posera la question du rapport que l’on entretient avec son bistrot préféré en fonction des époques de sa vie, de la relation aux souvenirs. Le propos de l’auteur est pertinent et avec lui on aborde beaucoup de sujets avec plaisir. Il se dégage néanmoins une impression de frustration car le style est agréable à lire, la langue riche et tendre mais on en voudrait plus. On aimerait s’attarder un peu plus en profondeur sur certaines questions, revenir sur certaines idées pour mieux les développer mais ce n’est qu’une ballade…

Il s’agit d’un éloge, terme assez en vogue dans les étals des libraires. Éloge du blasphème de C. Fourest, Éloge politique du chocolat de S.Guerin ou encore, Petite éloge de la jouissance féminine d’Adeline Fleury sont, par exemple, tous les trois sortis en librairie durant ces cinq derniers mois. Cette profusion d’éloges, d’apologies, interroge : cherche-t-on à simplifier les argumentaires ? Ou à stimuler les lecteurs ? En fait j’imagine que la réponse est plus à chercher du côté des auteurs. Cette forme leur permet d’écrire librement sur des sujets qu’ils aiment, sans avoir à se préoccuper de la démonstration, de justifications, de scientificité ou autre. Cette forme littéraire explique un peu mieux la tonalité du livre et excuse les faiblesses de l’ouvrage.

Si l’on peut se délecter de la passion et de la tendresse ici présente, on reste observateur de l’objet de cette affection. L’auteur se heurte à un problème courant avec le sujet, l’indéfinissable, peut-être l’axiome des formes de sociabilités humaines, le problème épistémologique que pose la question du plaisir en sociologie, du gratuit, du dispensable. Le livre refermé, on en souhaiterait plus, dans la profondeur d’analyse ainsi que dans la quantité car il faut souligner que le prix de vente de quinze euros est élevé au regard de la centaine de pages proposées. Ce livre doit être pris tel quel, comme un ouvrage qui témoigne du plaisir que prend l’auteur à se rendre dans les bistrots parisiens et qu’il nous fait partager et à ce titre il s’agit d’une réussite