Les trois dernières années du poète, éminent représentant de la Génération de 98 espagnole, et symbole de l’exil républicain en France.

En se baladant dans les rue de Collioure, charmant village de la côte Vermeille, le promeneur curieux découvrira peut-être la tombe d’Antonio Machado. Car le grand poète espagnol des Champs de Castille est enterré en France, à 20 km seulement de cette Espagne qu’il avait dû quitter, à pied, comme tant d’autres intellectuels et anonymes, pour fuir en 1939 un pays passé sous le joug franquiste après trois ans de guerre civile.

C’est ce dernier voyage que Monique Alonso s’attache ici à nous conter, par le menu, depuis son départ de Madrid, en passant par Valence et Barcelone pour finir, donc, à Collioure. Trois tristes années (1936-1939) du point de vue politique et personnel pour celui qu’elle appelle avec tendresse et admiration Don Antonio. La fin est proche pour le poète, qui se sent faiblir de jour en jour, et pour la République espagnole, de plus en plus ébranlée par l’avancée des troupes nationalistes.

L’auteure nous décrit donc la dernière étape de la vie du poète afin que celle-ci reste gravée « dans du bronze »   . Elle a, pour cela, recueilli les témoignages de nombreuses personnes qui ont côtoyé Machado pendant ses dernières années (du poète Rafael Alberti à la patronne de l’hôtel dans lequel il vécut ses derniers jours). Elle entend ainsi nous livrer, avec force détails, la « vraie histoire » de l’exil de Machado. Ce qui suppose d’étayer, de préciser, voire de corriger, ce qui avait été écrit auparavant.

Quand la guerre éclate, Antonio Machado vit une vie tranquille d’enseignant de français à Madrid tout en se consacrant à son activité littéraire. Issu d’une famille républicaine pour qui la volonté du peuple est sacrée mais n’ayant jamais appartenu à aucun parti, son inquiétude pour le devenir de l’Espagne est grande. Il exècre cette Espagne assassine qui a déjà tué son compatriote, Federico García Lorca. Après la mort de celui-ci (le 19 août 1936), Machado écrira son indignation dans un poème fameux, intitulé « Le crime a eu lieu à Grenade », en référence à la ville andalouse où mourut, sous les balles fascistes, l’autre grand poète espagnol du XXe siècle. Mais Madrid ne reste pas longtemps épargnée par les bombardements et, le 23 novembre 1936, un groupe d’intellectuels est évacué de la capitale sous la protection du Quinto Regimiento. Pour Machado, ce ne sera que le début d’un exil saccadé, au gré de l’avancée des troupes franquistes, jusqu’à l’exil définitif, vers la France voisine. La Retirada, comme fut nommée cette longue marche triste d’exilés contraints de laisser sur les bords de la route valises et effets personnels pour entrer les mains vides dans ce pays où ils espéraient pouvoir continuer la lutte. Cette France qui avait fait le choix de ne pas intervenir dans la guerre d’Espagne, ce qui lui sera beaucoup reproché.

Pendant ces années d’exil, se sentant redevable envers le gouvernement de la République qui le protège, Machado tient à collaborer à sa manière. Conscient que la plume est à présent sa seule arme « puisque (son) épée s’est fêlée il y a longtemps et qu’elle ne servirait plus dans la lutte actuelle »   , il écrit pour certains journaux, rédige des préfaces, assiste à des congrès internationaux. Toutefois, comprenant que le temps lui est compté, il désire également – et surtout – se consacrer à l’achèvement de son œuvre. C’est dans ces années qu’il termine son dernier livre, intitulé sans surprise La Guerre.

Les derniers jours à Collioure sont mornes et lents. Fatigué et mélancolique, l’auteur n’écrit plus et sort à peine de l’hôtel où sa famille et lui ont trouvé refuge. Sans un sou vaillant, il faut compter sur le soutien moral et financier des nouveaux amis français. Et lorsqu’il meurt, à peine un mois après son départ d’Espagne, ce sont encore ces nouveaux amis qui se mobilisent pour prêter un caveau familial et enterrer dignement le poète dans le cimetière de Collioure. Il faudra attendre des années et un appel aux dons (pour lequel cotisèrent entre autres René Char, Albert Camus et André Malraux), afin que le poète ait sa propre tombe, qu’il partage avec sa mère depuis sa seconde inhumation en 1958. Collioure n’a jamais oublié qu’un immense poète était mort sur son sol. Ainsi, chaque 22 février, des hommages sont organisés et une rue proche de l’Hôtel Quintana porte aujourd’hui le nom d’Antonio Machado.

Monique Alonso nous propose avec cet ouvrage un travail minutieux, pointilleux et richement documenté. L’auteure est passionnée par son sujet et sait assurément être passionnante mais ce souci du détail peut paraître parfois insignifiant pour qui n’a pas la même obsession. On peut d’ailleurs regretter qu’aucune référence bibliographique ne figure dans le livre – fait plutôt rare pour un travail de spécialiste sur un poète tant étudié. L’auteure semble au contraire vouloir balayer d’un revers de la main les travaux de ses prédécesseurs qui, selon elle, ont souvent écrit des « frivolités »   . Dommage, enfin, que dans un texte ne cessant de porter aux nues la grandeur de l’homme et du poète, indéniable, figure finalement si peu son œuvre. Il s’agit, en somme, d’un livre pour amateurs, qui doit avant tout nous pousser à nous replonger dans l’essentiel : l’œuvre du poète