Une lecture littérale du Lévitique qui met en relief la dimension sociale et la valeur proprement théologique derrrière le ritualisme affiché : la rencontre de Dieu.

La relativement longue introduction présente le livre du Lévitique, son importance et les ambiguïtés les plus communément soulignées aujourd’hui. En effet, ce livre abonde de détails sur les rites sacrificiels, alors que tout un courant biblique, principalement prophétique, dont Amos, par exemple se fait l’écho, semble rejeter la valeur du sacrifice   effectif au profit d’une conversion des cœurs et d’une importance accordée à l’intention plutôt qu’au geste rituel – voire ritualiste. Et surtout, cette dénonciation des sacrifices rituels par les prophètes est à mettre en relation avec l’exigence de justice, qui est chez ces derniers, indissociable des exigences de Dieu. Or – et c’est ce que W. Voegels va mettre principalement en avant dans sa lecture – le Lévitique est organiquement construit autour de l’exigence de justice sociale   , au sein même de ses pratiques, de sacrifice ou de pureté   . Si aujourd’hui le Temple n’est plus, il est intéressant de voir quel était son rôle dans un certain judaïsme et dans le christianisme naissant, comme celui des parents de Jésus Christ   . Si Jésus lui-même est critique vis-à-vis du Temple et du culte   , qu’il semble avoir une autre perception de la pureté que le Lévitique   , il n’en demeure pas moins que le rituel faisait partie de sa vie comme de celle de ses disciples   .

Obstacles contemporains et centralité du Lévitique

Si le christianisme – ou plutôt certains chrétiens – ont opposé les Prophètes (y discernant l’annonce du Messie) à la Loi, et l’Amour à la Loi, ont rejeté les pharisiens comme les docteurs de la Loi, en bref, ont cru que le Lévitique était un livre sans avenir ni intérêt, ils se trompent. Tout comme la critique biblique qui a longtemps cru au Pentateuque de Moïse, puis à la source (P), c’est-à-dire au document sacerdotal avec Wellhausen, qui aurait montré que, comme toute religion, celle des Juifs avait viré au légalisme. En réalité, le document (P) serait très ancien et serait loin d’être chronologiquement le dernier   .

Aujourd’hui, on énerverait les défenseurs des animaux, qui refuseraient la distinction des espèces, en pure/impure, qui s’offusqueraient du sang qui coule comme de la chair brûlée des sacrifices. On énerverait les féministes constatant que la femme enceinte est impure, et remarquant la différence de traitement entre les filles et les garçons, puisque l’impureté post natale dure sept jours pour un garçon et deux semaines pour une fille   . On énerverait sans doute les tenants des droits de l’Homme pour qui la discrimination contre les handicapés apparaîtrait injuste : « nul des descendants d’Aaron, le prêtre, ne pourra s’approcher pour offrir les mets de Yahvé s’il a une infirmité »   . Autrement dit, ce livre a toutes les raisons de n’avoir pas été beaucoup lu – et continuer à ne l’être que peu.

Pourtant, le Lévitique est le 3ème des cinq livres composant la Torah, qui est fondamentale pour les Juifs, lesquels commencent à apprendre le Lévitique à partir de l’âge de trois ans   . Le Lévitique est au centre de la Torah, non seulement considérée comme Pentateuque, mais aussi parce qu’il se rapporte au cœur de la révélation faite à Moïse sur le Sinaï   . De même, on peut lire le Lévitique comme le centre de l’histoire du salut ou du credo des Juifs : à Moïse est non seulement demandé de libérer les hébreux esclaves en Egypte mais également de croire à l’entrée en Terre promise (à partir du sixième chapitre du livre de Josué). On considère alors comme important et signifiant non pas un pentateuque, mais un hexateuque, incluant l’entrée de Josué (et donc le livre de Josué) en Terre promise. Or, « la structure chiastique concentrique de ce grand ensemble met encore davantage en relief la place centrale du Sinaï, et c’est là (…) que le Lévitique trouve sa place. »   Et au sein de l’événement du Sinaï, le Lévitique apparaît comme central, ce que manifeste le fait que Dieu s’adresse à Moïse du Sinaï, au début du livre, par ses mots : « Parle aux Israélites », et le fait qu’il parle à partir du sanctuaire et non depuis la montagne.

Plan et composition du livre

Contrairement à ce qu’indique le nom de Lévitique, le livre parle peu des lévites (contrairement au livre des Nombres). Le rédacteur sacerdotal a utilisé principalement deux sources. « Dans les chapitres 1 à 16, on trouve le style typique de l’auteur sacerdotal, plus abstrait et impersonnel, il fait parler Dieu à la 3ème personne, son Dieu est loin et ne s’adresse pas directement au peuple par "tu" mais indirectement : "s’il est quelqu’un que", et il ne fait pas de menaces. Aux chapitres 17 à 26, le style change : Dieu parle à la première personne, ce qui le rend plus personnel, "Je suis Yahvé votre Dieu", il interpelle le peuple directement à la deuxième personne : "tu ne découvriras pas", et lui adresse des menaces violentes, ce qui rend ce Dieu plus passionné »   . Dès lors, on appelle (H) la source de la seconde partie et les chercheurs datent (H) d’avant (P), la rédaction finale du livre étant soit préexilique, soit postexilique selon les chercheurs, tout comme le rapport entre le Deutéronome dans lequel se trouvent également des lois concernant les cultes et le Lévitique. Finalement, il semble que le Lévitique rende compte des pratiques cultuelles au moment du second Temple, même si ce culte peut remonter à celui du premier Temple, ou à Silo s’il n’a pas changé entre temps. Le Lévitique a lieu, on l’a dit, au moment de la révélation sinaïtique, et comprend deux parties divisées chacune en deux sous-parties : 

 

1. Pour le culte (1-10)
-rituel de sacrifices (1-7)
-l’investiture des prêtres (8-10)
2. Pour la vie quotidienne (11-26)
-la Loi de pureté (11-16)
-la Loi de sainteté (17-26)
 

On est étonné de trouver deux ou trois fois moins d’impératifs que dans d’autres livres bibliques. Le livre semble vouloir éviter les injonctions directes. En effet, la Loi est d’abord représentée comme une Révélation. Et par exemple, le décalogue – les dix paroles ou commandements – se trouve aussi dans le Lévitique, comme le produit d’une révélation de Dieu à Moïse, pour qu’il la transmette aux hommes ou aux prêtres. Cette révélation de la Loi est en elle-même un appel à sa soumission, comme le dit le Lévitique dans une formule mentionnant qu’on a fait ce qui était demandé   . Et l’obéissance à la Loi, aux diverses lois qui font que la Loi est ce qu’elle est, est davantage « une réponse de reconnaissance et de gratitude »   de la part d’Israël à Yahvé qui a agi le premier. D’ailleurs, l’observation de la loi est loin d’être une action aveugle et fanatique, car cette dernière se veut raisonnable. Et en effet, à la loi principale (Hauptgebot) ou à certaines lois est ajoutée, comme le dit l’auteur, une sorte de justification ou de raison pour montrer comment il est raisonnable de suivre une loi   . Cette Loi apparaît aussi comme « un code de liberté et un code de vie. »   , dans la mesure où la Loi n’est pas un joug ou un fardeau, mais quelque chose qui libère et apprend aux Hébreux à servir Dieu. Celui-ci libère les Hébreux au service des Egyptiens pour les mettre à son service, pour les conduire « de la servitude au service », selon le titre d’un livre de G. Auzou. En effet, le jour où les Juifs ne servent plus Dieu comme ils le doivent, ils retombent dans une forme d’esclavage   .

Rituel des sacrifices (Lv 1-7)

Le Lévitique s’ouvre sur les sacrifices. Il cherche alors à répondre à la question : comment entrer en contact avec Dieu, le servir et lui témoigner sa gratitude et son amour. Là où on le mécomprend tellement souvent, en en faisant une liste de péchés, le début du Lévitique décrit les moyens par lesquels on peut offrir des sacrifices, rituel si fréquent dans toutes les religions. « L’idée d’offrir des sacrifices à Dieu répond à un besoin profond, tant psychologique qu’émotionnel ou religieux : le sacrifice est un don fait à Dieu, pour se rapprocher de Dieu, et la victime sert parfois comme substitution de l’offrant. »   . Le texte comporte d’abord une série d’instructions adressée au peuple, les sacrifices étant rangés du point de vue de celui qui l’offre   , puis une autre série d’instructions adressée aux prêtres qui reprend les mêmes sacrifices dans un ordre différent, puisqu’il suit l’ordre décroissant en sainteté (holocauste, oblation, sacrifice pour le péché, sacrifice de réparation et sacrifice de paix).

L’holocauste suppose sept étapes, de la présentation (I) de l’animal, un mâle sans défaut, à la combustion (VII), c’est-à-dire la transformation de l’animal en fumée qui, dans l’Ecriture, a un caractère sacré et est en rapport avec la présence de Dieu, en passant par l’imposition (II) des mains sur la tête de l’animal, l’égorgement rituel par l’offrant (III), la présentation du sang (IV) au cours de laquelle l’offrant laisse place aux prêtres et qui met en avant le rôle du sang, principe de vie, l’écorchure et le dépècement de l’animal (V) pour finir par le lavement des entrailles et des pattes (VI). Si on le considère comme le sacrifice le plus sacré, c’est parce que dans l’holocauste toute la victime est offerte à Dieu et rien n’est laissé à l’offrant. Il sert à la fois à apaiser la colère de Dieu, à le supplier, à le remercier, comme expiation ou pour accomplir un vœu. Si la séquence suit un ordre économique décroissant allant du gros bétail à l’oiseau, c’est parce que Dieu agrée aux sacrifices de chacun en fonction de sa fortune et de ses moyens – d’où le caractère proprement social du Lévitique que met en avant W. Vogels. Notons que, contre les abus à l’encontre desquels le prophétisme dressait l’oreille, le sacrifice doit être fait volontairement, c’est-à-dire avec un cœur pur   , d’où l’inexactitude des critiques qui accusent ce livre de formalisme et ritualisme. L’oblation suit aussi plusieurs étapes, elle consiste en un don d’offrandes végétales de la préparation (I) à l’aide de l’huile et de l’encens, puis la présentation et la combustion (II) à la « part du prêtre » (III) qui est l’un de ses revenus. Le sel a un rôle important, car il symbolise et aide à la stabilité entre l’alliance des hommes et Dieu. Dans l’oblation, les personnes semblent offrir volontairement leur quotidien. Dans le sacrifice de paix, qui a plusieurs formes   , mais qui traduit un sentiment de reconnaissance pour ce que Dieu a réalisé dans nos vies. Si la démarche ressemble à celle de l’holocauste, la différence réside en ce qui est offert : certaines portions de l’animal sont offertes, tandis que dans l’holocauste, c’est l’animal entier qui est offert.

Dans le cas du sacrifice pour le péché ou d’expiation pour les fautes commises par inadvertance, la gravité du mal dépend du statut de la personne qui le commet. Il ressemble aux autres sacrifices sauf que personne, ni Dieu, ni le prêtre ne peut en tirer profit. Le péché en tant que tel pollue le sanctuaire de Dieu, que nous le fassions exprès ou pas. Aussi faut-il se le faire pardonner, et tout souligne que « c’est l’intention de celui qui apporte le sacrifice qui compte et non pas l’objet sacrifié, ce sacrifice ne peut pas ruiner financièrement la personne et sa famille. »   . C’est Dieu et non les instances du peuple qui agrée le sacrifice et qui pardonne, pas le Temple et son personnel. Le cas du sacrifice de réparation est celui dans lequel il est porté atteinte aux objets, au culte ou à Yahvé lui-même (par exemple par des paroles). Il ressemble aux autres sacrifices mais il est majoré d’un cinquième   . En effet il y a la faute, puis le sentiment de culpabilité de celui qui l’a commise qui ne prend fin qu’avec la réparation du mal commis pour restaurer la relation avec le prochain et avec Dieu. Et à cette démarche du coupable correspond la réponse de Dieu : le pardon. Après avoir rendu compte des sacrifices pour les laïcs, le Lévitique expose ces sacrifices pour les prêtres (Lv 6,1-7,36).

L’investiture des prêtres (Lv 8-10)

Les prêtres sont les ministres principaux du culte et le Lévitique raconte ce que doivent faire, et à quelles conditions ils le peuvent, les fils d’Aaron qui sont destinés à devenir prêtres. Dieu, là encore, parle à Moïse, puis est décrite l’investiture d’Aaron et de ses fils qui dure sept jours (Lv8, 2-36) avant l’inauguration du culte public (Lv 9, 1-24) – interrompue par les morts de Nadab et Abihu (10, 1-7) et la législation complémentaire (Lv 10, 9 -20).

Il est à remarquer que la célébration à laquelle se livrent Aaron et ses fils est capitale pour la Torah, puisqu’il est écrit qu’au sommet de cette célébration « la Gloire de Yahvé apparut à tout le peuple » au moyen d’une « flamme qui jaillit de devant Yahvé » (Lv 8, 23-24). Cela atteste une présence réelle de Dieu et montre l’acceptation des sacrifices faits pour lui. Ainsi, chaque sacrifice sera agréé. S’il y a un code dans lequel sont présentés les sacrifices pour Yahvé et les étapes de l’ordination des prêtres, c’est parce que les rituels qu’il est permis d’effectuer sont agréés par Yahvé, qu’ils lui plaisent : le Lévitique indique ainsi comment entrer en contact avec Dieu, en suivant son cœur et les règles. Il expose alors comment peut fonctionner une société particulière, celle d’Israël, en réglementant les relations entre les hommes et Dieu et entre les hommes entre eux. La confirmation par Dieu de la façon de faire des sacrifices est très importante car cela montre que Dieu est présent à son peuple au moyen de sacrifices conformes à ses demandes.


La Loi de pureté (Lv 11-16)

Si Dieu demande aux prêtres de « séparer le sacré et le profane, le pur et l’impur » (Lv 10, 10-11), les chapitres 11 à 15 répondent à cette exigence au niveau de la vie quotidienne et, au chapitre 16, au Jour des expiations. Ainsi les exigences de Dieu touchent aussi bien au sanctuaire que là où vivent et comment vivent les habitants du peuple d’Israël. Les commandements divins englobent la vie humaine. Si les impuretés sont dynamiques et contagieuses, elles interdisent pour une plus ou moins longue période de s’approcher de Dieu et de son sanctuaire. On ne sait pas pourquoi certaines choses sont impures, mais plusieurs hypothèses explicatives ont été avancées sans toutefois satisfaire tous les chercheurs : superstition primitive, préoccupation d’hygiène, sanctification d’une coutume sociale ou religieuse régnante ou distinctions cultuelles. Ce qui est sûr, c’est que ces lois ont une raison d’être théologique et religieuse et pas seulement matérielle. Certaines impuretés ne sont pas des actes coupables, mais des actes nécessaires à la vie et à sa transmission mais elles empêchent d’approcher Dieu (comme accoucher d’un enfant, par exemple). Aussi la personne doit-elle s’en purifier avant d’aller vers Dieu – ne pas le faire et agir en état d’impureté comme si on était en état de pureté est en revanche un acte coupable grave.

Cette partie du livre est divisée en sept parties ; l’impureté rituelle par la manducation ou le contact : animaux purs et impurs (chapitre 11), impureté rituelle par les pertes de la femme accouchée   (chapitre 12), impureté rituelle par la lèpre de la peau (chapitre 13), réparation de l’impureté de la lèpre de la peau (début du chapitre 14), impureté liée à la lèpre des maisons (fin du chapitre 14), impureté rituelle par les pertes corporelles (chapitre 15)   et le Jour des expiations (chapitre 16).

La Loi de sainteté

Ce passage du Lévitique est attribué à un auteur (H) en vertu de son insistance sur la « sainteté », distinct de l’auteur sacerdotal. La sainteté comporte trois aspects : séparation du profane, consécration à Dieu pour entrer en communion avec lui et engagement au service de Dieu pour faire sa volonté. Cette partie met en avant la sainteté des personnes (chapitres 17 à 22), puis au temps sacré (chapitres 23 à 25)   et contient des malédictions et des bénédictions (chapitre 26) qui ne closent pas le livre, mais qui ouvrent sur les dons volontaires à Yahvé (chapitre 27 et dernier). Ainsi la liste des relations sexuelles interdites (Lv18, 6-23) est vue du côté de l’homme, au profit de la femme pour la protéger contre les abus sexuels    : sont interdits l’inceste, les relations avec des femmes sans lien de parenté (une femme et sa fille, une femme et sa sœur, une femme qui a ses règles et la femme d’un compatriote, les sacrifices d’enfants qui laisseraient croire qu’en sacrifiant le fruit d’amours interdites, on serait en quelque sorte pardonné, l’homosexualité (car aux yeux de la Loi « c’est une abomination ») et les relations entre être humain et bêtes (car « tu en deviendrais impur », c’est une perversion). Il en va de même pour une nouvelle formulation du décalogue (chapitre 19) : tout est à comprendre comme le cœur de la vie juive. Chacun des actes de la vie quotidienne est à penser en conformité avec cet énoncé qui conditionne aussi bien les relations entre les générations (rapport au père, à la mère, aux vieillards, etc.) que les métiers (juste prix dans le commerce, usages relatifs à la moisson et aux vendanges, récolte des fruits, interdiction de la prostitution, rejet des magiciens et autres nécromants).

Aussi le livre de W. Vogels éclaire-t-il avec pertinence et précision le Lévitique, moment ô combien digne d’intérêt de la révélation sinaïtique et important pour la vie quotidienne du peuple d’Israël. Ce livre explique littéralement chaque point important de la révélation faite à Moïse pour tout le peuple et met en lumière ce qu’on peut expliquer en laissant à chaque lecteur une part d’interprétation lorsque les commentateurs ne sont pas d’accord entre eux