Serge Paugam tente dans cet ouvrage d’offrir une synthèse sur les questions de solidarités.

Le thème du lien social, transversal à l’ouvrage, a suscité des prises de positions théoriques ambivalentes au fil des années. Ainsi, il peut être question de son affaiblissement ou bien de sa recomposition dans les sociétés modernes. La perspective de l’auteur se situe précisément dans la seconde thématique, issue de la revendication d’un héritage durkheimien de la solidarité sociale.

Au sein de la première partie, l’auteur explore les liens qui attachent l’individu aux groupes et à la société. La théorie du lien social développée par E. Durkheim associe la division croissante du travail à l’entretien de la solidarité en raison de l’extension de la complémentarité entre les individus. Ce lien de « participation organique » selon S. Paugam, interroge le degré de coopération entre les membres d’une même société. Quelle est la particularité de ce lien ? La définition de la place individuelle revêt une plus grande importance dans la solidarité organique, ce qui peut être source de tensions sociales et identitaires.

C’est précisément cet aspect que l’auteur questionne. L’état de l’intégration sociale (solidarité) et de la régulation (normes) délimite l’existence du lien social. La norme a une double caractéristique : elle est à la fois régularité et autorité. La perte de ces deux aspects entraîne l’anomie et les conséquences préjudiciables qu’elle revêt auprès de l’état du lien social. Etre intégré revient à entretenir des liens d’attachements aux différents groupes sociaux, qui en retour, exercent un degré de contrainte sur les individus. La conséquence pratique qui en découle pour eux est la protection associée à la reconnaissance identitaire. Or, le modèle d’intégration contemporain active ces deux composantes.

La seconde partie fait état de la fragilité contemporaine des liens sociaux. L’auteur décompose ici les liens sociaux en quatre types qui articulent chacun protection et reconnaissance. Ainsi, le lien de filiation repose sur des fondements biologiques ou adoptifs ; il incarne l’obligation de la protection assurée à l’enfant et le développement du sentiment de sécurité nécessaire à sa construction en tant que personne. Or, les changements liés à la famille dans la modernité ont entraîné une relative fragilisation de ce lien entre parents et enfants. Le lien social produit par la participation choisie place en son centre l’exercice de la liberté de choix dans la sociabilité de chacun : les individus sont engagés dans des relations sociales d’appartenance qui les relient les uns aux autres. Il en résulte une production de reconnaissance de soi et d’autrui associée à l’expression d’une protection quand la relation est institutionnalisée comme dans la vie conjugale. La force de ce lien varie selon les trajectoires de vie, faites de recompositions possibles qui peuvent le fragiliser, par exemple dans le cas des séparations des couples.

Le lien de participation organique questionne le rapport sociétal entretenu avec le travail et l’emploi dans la modernité reposant sur l’interdépendance croissante des fonctions. La protection sociale de la population active dépend des modèles étatiques de la prise en charge des conséquences de la précarité. Les emplois sont précaires lorsqu’ils n’offrent pas le niveau de protection sociale attendu et légitime socialement. La précarité du travail renvoie à une carence de reconnaissance par l’exercice de cette activité. La crise de ce lien participatif s’illustre par le développement de la fragilisation de l’intégration professionnelle : celle-ci est duale, c’est-à-dire que la hiérarchie sociale des statuts en dépend étroitement, selon l’exposition à la précarité.

Le lien de citoyenneté repose sur l’appartenance à un Etat-Nation. Il comprend les caractéristiques de protection et de reconnaissance en les associant respectivement aux droits et aux devoirs exercés par les citoyens. Or, il traverse une crise relative de légitimité. La difficulté réside dans la persistance des inégalités sociales questionnant ainsi la justesse des droits et devoirs : les écarts d’accès sanctionnent certaines catégories de la population comme les étrangers, les pauvres notamment.

La dernière partie de l’ouvrage, consacrée aux formes inégales de l’intégration sociale, mobilise une analyse typologique. Selon S. Paugam, l’intégration sociale est différentielle. Elle est pensée selon des paliers, associés à un aspect cumulatif des liens qui la composent. La typologie retenue croise deux variables, respectivement, l’état des quatre liens sociaux et l’expérience vécue. L’intégration plurielle se décline en intégration assurée, fragilisée, compensée, marginalisée. Chacun des types retient des structures de liens décroissants dans leur intensité auxquels se rattache l’expression de représentations sociales donnant un sens spécifique à cette situation. La reconnaissance et la protection sont ainsi déclinées dans cette typologie.

L’intégration assurée fait référence à la situation sociale où l’intégration est pleinement bénéfique pour les individus. Ils sont protégés par des liens sociaux solides et enchevêtrés qui leur procurent, en rapport avec leur statut socio-économique, la possibilité d’être reconnus. Ce type est le vecteur normatif présent dans le modèle sociétal d’intégration vers lequel il faut tendre, en dépit des difficultés individuelles pour y parvenir. Nous pourrions alors percevoir une injonction à l’intégration dans ce phénomène, présente dans la structure discursive du politique.
 
L’intégration fragilisée repose sur l’incertitude, où le lien de participation organique comprend la précarité professionnelle. Cette dernière a des répercussions sur les autres liens sociaux. La mise en difficulté de la protection et de la reconnaissance suscite de l’insatisfaction sociale qui nourrit une frustration sociale chez l’individu.

L’intégration compensée est le résultat d’un processus de rattrapage unilatéral du lien social. Ainsi, l’appartenance compensatrice, religieuse ou dans les bandes de jeunes notamment, illustre l’entretien d’un lien communautaire quasi-exclusif, fermé sur lui-même dans sa composante intégratrice.

Enfin, l’intégration marginalisée correspond à la rupture des liens sociaux, où les individus voient leur appartenance sociale disparaître. Ils sont alors confrontés à l’expérience de la survie dans le contexte de la misère, associée à celle de la réprobation sociale qu’ils suscitent en raison de l’indésirabilité qu’ils représentent.

En définitive, l’ouvrage brosse un tableau de l’état du lien social en France, où les composantes intégratrices et régulatrices définissent les possibilités du vivre ensemble. Or, cette capacité qu’ont les individus d’évoluer dans la différence tout en bénéficiant d’un sentiment tangible d’appartenance à la société dépend étroitement des qualités de protection et de reconnaissance que celle-ci doit mettre à disposition de ses membres. Tout l’enjeu sociétal se situe dans cette problématique, où les deux rôles tendent à être satisfaits inégalement au sein de la population