Réunis en Assemblée constituante à l’occasion du 42ème festival d’Angoulême, les différents participants aux États Généraux de la bande dessinée ont posé les bases d’une vaste concertation autour du métier d’auteur.



Qu’est-ce qu’un auteur de bande dessinée ? Question à laquelle tenteront de répondre les EGBD. Derrière la référence historique, on retrouve une association présidée par le polyvalent Benoît Peeters (scénariste pour Les Cités obscures, avec François Schuiten, essayiste, universitaire et conseiller éditorial). À la baguette, Denis Bajram (auteur de la série Universal War One) occupe les fonctions de coordinateur général de l'EGBD, secondé par Valérie Mangin, diplômée de l'École nationale des Chartes, devenu scénariste de bande dessinée (Chroniques de l'Antiquité galactique) et trésorière de l'EGBD.



Le RAAP des auteurs

En cause, la réforme du régime de retraite complémentaire obligatoire, le RAAP (Régime d’assurance vieillesse complémentaire des Artistes et Auteurs Professionnels). Auparavant, la complémentaire retraite de l'auteur était graduelle. Le montant de cotisation forfaitaire dépendait du montant de pension souhaité. Au cours du premier semestre 2014, le conseil d’administration du RAAP a annoncé un prélèvement obligatoire de 8 % des revenus (à partir de 2016), que l'on soit auteur confirmé ou débutant. 8 % signifient un mois de revenu. Autant dire que l'annonce a secoué le Landerneau iconophile.

Pourtant, au-delà de la remise en cause de cette « obligation » économique, le microcosme du neuvième art bruit de mille questions. Surtout une, comment maintenir la croissance du nombre de publications ? Les chiffres proposés par Gilles Ratier font état d'une production annuelle de 5323 bandes dessinées pour 2014 (contre 1525 en 2000). Ces chiffres démontrent le passage d'une économie de fonds (le catalogue éditeur) à une économie de la nouveauté. Les interrogations concernant le support numérique (Accompagnement éditeur, droit d’auteur et contrefaçons) s’ajoutent aux précédentes.



Les partenaires

Vendredi 30 janvier 2015, différents partenaires ont répondu présent à l’appel de l’association. Le syndicat national de l’édition (SNE) et son versant BD, présidé par Guy Delcourt des Éditions éponymes, et le syndicat des éditeurs alternatifs (SEA), dirigé par Jean-Louis Gauthey des Éditions Cornélius sont aux premières loges. Le SEA, créé à l’occasion des EGBD, parle pour la première fois d’un nouveau type de contrat, dont la particularité serait de ne plus lier auteur et éditeur ad vitam.

Suivent Franck Bondoux, le délégué général du festival, œcuménique, le Syndicat national des auteurs et des compositeurs (SNAC BD). Jean-Luc Masbou de l’Association des auteurs de bande dessinée (ADAB) prend un ton social attendu et pose la question du statut de l’auteur et de la précarité. Les représentants de la SGDL (société des gens de lettres) et le CPE (conseil permanent des écrivains) soulignent la proximité entre littérature et neuvième art. La SOFIA (Société Française des Intérêts des Auteurs de l’écrit) et la SAIF (Société des Auteurs des arts visuels et de l’Image Fixe) rappellent l’importance du suivi des droits d’auteur (bibliothèque par exemple). L’intervention courageuse et malhabile du représentant du RAAP se traduit par une présentation hasardeuse de camemberts en Power point, qui déclenche une bronca dans la salle. Agitation justifiée devant la faiblesse des éléments de réflexion projetés sur le grand écran.

Consensuel, Jean Pierre Mercier de la Cité internationale de la BD, structure différente de celle qui organise le festival, se propose d’accueillir les futures rencontres des EGBD. Idem pour le représentant de la BNF. Enfin, la prestation remarquée de Vincent Monadé, le président du CNL, qui outre sa proposition de taxer les livres d’occasion, produits pour lesquels les auteurs ne touchent aucun revenu, a le mérite de placer une citation extraite d’Astérix, tout à fait adaptée aux circonstances, O tempora, O mores. Le directeur du service livre et lecture du ministère de la culture clôt cette première assemblée générale par l'administrative formule, il faut « objectiver technocratiquement ».



L’enquête

De façon plus pragmatique, l’idée d'ensemble est de croquer le portrait d’une profession d’amont en aval, en réalisant une cartographie des auteurs 
(via un questionnaire), des différentes formations 
(scolaires - et non institutionnelles autodidacte, etc.), du marché (éditeurs, ventes) des libraires et diffuseurs, ou encore du lectorat. Cette étude se focalisera sur les auteurs, dessinateurs, coloristes – les illustrateurs étant proches du régime de journaliste presse – résidents en France.

Pour ce faire, le conseil scientifique réunit entre autres le théoricien 
Thierry Groensteen, la sociologue 
Nathalie Heinich,
 l’historien Pascal Ory, 
ou l’économiste Thomas Paris
. À 
Pierre Nocerino, 
sociologue, incombe le challenge de faire vivre cette masse d’informations. En s'inscrivant à nouveau dans l’héritage historique, des cahiers de doléances seront proposés par branche professionnelle, par localisation, par activité, lors de festivals ou par les organisations représentatives…

Benoît Peeters le martèle à chaque intervention : la création en bande dessinée est plus importante que jamais. Pour preuve, la diversité proposée lors de ce 42éme festival, que ce soit à l'intérieur du salon Grandes Bulles (production mainstream) ou dans celui du Nouveau Monde (production alternative). Créativité éclatante à l’exposition Jeunes Talents, dont certains affichent une maîtrise graphique que n’aurait pas reniée Jean 'Moebius' Giraud au même âge. Pourtant, si la bande dessinée et son Salon, plus international que jamais avec l'attribution du grand prix au japonais Katsuhiro Otomo (auteur d'Akira), atteignent une phase de maturité économique comme le souligne Gilles Ratier, la précarité s'installe parmi des auteurs confirmés, obligeant certains à renoncer au dessin.

Hergé participa au festival d'Angoulême en 1977, en tant que président d'honneur. Certains festivaliers bouquinant les aventures du reporter à la houppe lui demandaient quel était son véritable métier. Annoncés sur plusieurs années, et quels que soient les résultats de l'enquête, ces EGBD marquent un pallier dans la perception du microcosme iconophile, à l'extérieur comme sur lui-même. À suivre