Frédéric Constant et sa compagnie Les Affinités Électives jouent en ce moment au Théâtre national de Bretagne Andromaque de Racine, spectacle créé à Bourges en janvier 2014   . Cet Andromaque constitue le troisième volet d'une tétralogie consacrée à la guerre, à partir de la Guerre de Troie et ses suites, après Tableau autour de G créé en 2004 et Énéas, neuf créé en 2010. Le cycle se conclura par Astyanax voit rouge, création prévue pour 2015-2016.

Au sein de cette tétralogie se côtoient donc trois créations contemporaines et une tragédie classique française. S'attaquer, de nos jours, à la tragédie classique française relève presque de la gageure. C'est là, sans nul doute, la première vertu de la mise en scène de Frédéric Constant. Le texte de Racine est là, présent et audible jusqu'à la fin. L'attention du public, malgré quelques longueurs, ne semble pas fléchir. Les comédiens sont, dans l'ensemble, plutôt bons. Notamment Frédéric Constant lui-même dans le rôle de Pyrrhus, en vieux beau qui a décidé de se soumettre à sa passion – il y a du Luchini chez Frédéric Constant. Oreste, interprété par Franck Manzoni, convainc – sauf peut-être à la fin. Catherine Pietri compose une Hermione peut-être un peu trop monocolore, mais tranchante. Anne Sée dans le rôle d'Andromaque apparaît plus inégale, souvent dans le ton, parfois débordant.

Inégal est le sentiment qui ressort de cette mise en scène. La pièce commençait superbement pourtant, avec un court prologue fait d'extraits de L'Illiade et de L'Énéide. Un ponton ouvert sur la mer dans une demi-clarté, donnant sur l'immensité de la guerre et de son éternel retour. Ouverture salutaire pour notre Occident qui voit poindre à son horizon le réveil de la barbarie ; mais sans y croire encore vraiment.

Mais l'espace infini laisse place trop rapidement à l'intérieur étroit d'un salon bourgeois de l'entre-deux-guerres, haut de plafond, mais avec si peu de profondeur. Disons-le tout de suite, la scénographie est le point noir de la pièce qui se joue, pour l'essentiel, dans une maigre bande délimitée, côté jardin, par la courbure d'un mur orné de grandes fenêtres Art Déco opaques, presque étouffantes, et une porte anodine en fond de scène, côté cour, seul point de fuite autorisé. Il est vrai que la configuration de la salle Serreau du TNB, dont le premier rang arrive quasiment au pied de la scène, accentue cette impression désagréable et peu pertinente d'exiguïté. À cela faut-il encore ajouter le sol plastifié gris brillant dans lequel se réfléchissent les comédiens. Cela pouvait avoir du sens pour le prologue, mais pas pour le cadre suréclairé du salon bourgeois. L'esthétique est épouvantable et le sens métaphorique difficilement discernable. Last but not least, le fond sonore – quelques vagues bruits de mitraille dignes d'une série B – est plus qu'inutile ; il est irritant.

Il est d'ailleurs à l'image de ce que rate fondamentalement Frédéric Constant : dire la guerre. Son Andromaque parle sans cesse de guerre, de ses prolongements politiques, des droits des vainqueurs, du pouvoir des vaincus. Il ne nous dit pas le sens de la guerre, à quel point l'humanité lui est attachée, soumise à son inaltérable logique. Il ne nous dit pas que l'humanité trouve en son centre la guerre, qu'elle se construit contre elle, par elle, et peut-être pour elle.

La transposition à l'époque de l'entre-deux-guerres, supposée rapprocher le texte du public, est également décevante. Cette demi-distance historique, familière quant au style, mais trop éloignée des vivants pour les toucher dans leur chair, n'est pas opérante. Nulle résonance des tragiques ici. Ce choix artistique n'était pas en soi infondé. Mais il aurait fallu aller bien plus loin qu'un décor et des costumes d'époque.

La mise en scène de Frédéric Constant nous semble pourtant recéler en son sein les ingrédients nécessaires à son élévation. Malheureusement ceux-ci sont seulement saupoudrés avec une extrême parcimonie qui confine presque à l'anecdotique. L'usage de la vidéo, réussi, aurait mérité une place structurante. On voudrait également voir revenir tout au long de la pièce, comme un chant incessant, des extraits de L'Illiade et de L'Énéide, ou pourquoi pas d'autres textes nés d'autres guerres. La pièce manque de rythme, de scansion, de métrique. L'ouverture de la scène, avec la rétractation des grandes fenêtres, révélant dans la pénombre les colonnes antiques, arrive bien trop tardivement. L'alternance même des deux configurations scéniques, salon bourgeois pour drame bourgeois, et ruines grecques pour tragédie grecque, eût peut-être aidé l'articulation de ces deux dimensions intimement liées dans la pièce de Racine. Seule la première apparaît vraiment dans la mise en scène de Frédéric Constant. Peut-être que le texte de Racine en ressort plus distinctement. C'est là le point fort de la pièce. Mais au détriment du sens tragique de la guerre qui semblait pourtant être le cœur du projet artistique.

 

Andromaque de Racine, mis en scène par Frédéric Constant

Au Théâtre national de Bretagne, du 3 au 7 mars 2015

En collaboration artistique avec Catherine Pietri et Xavier Maurel

Avec Anne Sée, Frédéric Constant, Franck Manzoni, Catherine Pietri, Julien Mulot, Cyrille Gaudin, Maud Narboni, Daniel Kenigsberg, Benoît André

Scénographie de Denis Fruchaud et Marion Gervais