Le seul bouquin post-élections réellement digne d'attention. Son auteur, Laurent Baumel, n'a pourtant pas l'écho médiatique des imposants éléphants.

Connu pour avoir déclenché l'ire de quelques caciques socialistes lors de la remise d'un rapport sur l'individu et la société qui proposait un changement de cap par rapport à l'héritage de Mai 68, Laurent Baumel est responsable national aux études du PS depuis le congrès de Dijon en juin 2003. Suite à la période électorale de 2007, il publie un ouvrage sobrement intitulé : Rénover le Parti socialiste, un défi impossible ?.

Ni pavé, ni brulot, ce petit livre de 120 pages se veut lucide et pragmatique : Sarkozy est un adversaire de taille et la gauche n’a pas su s’adapter aux changements de la société. Notamment aux mutations de la vie politique et à l’individualisation subjective, qui va bien au-delà de l’intériorisation des nouvelles inégalités. Face à cet avènement de la démocratie d’émotion, force est d’admettre que la droite était en résonnance tandis que la gauche était bousculée.


Les mutations sociétales

La réflexion politique est faite d’un mouvement dialectique entre la pensée et le réel, et ce procédé nécessite une actualisation permanente, or les socialistes n’ont pas su s’adapter sur bon nombre de sujets… Ne serait-ce que sur l’échec du communisme et sa conséquence logique, l’effondrement du "socialisme réel". L’économie de marché est un mode d’organisation globalement efficace qui nécessite donc de faire preuve de réalisme économique : la gauche doit cesser de stigmatiser tous les entrepreneurs et devrait plutôt "se positionner du côté de la prise de risque industrielle contre la rente". Ce pragmatisme social doit aussi pousser la gauche à réviser son approche de la question du travail : l’interventionnisme dans la marchandisation du travail doit être oublié pour faire place à une volonté de rétablir une "société du travail" où chacun s’insère dans le processus de division du travail.

Ensuite, les défis écologiques bouleversent la doctrine socialiste qui doit, là encore, s’adapter sans plus attendre en laissant son vieil héritage derrière elle. Car l’épuisement des ressources et les conséquences du modernisme sont tels qu’on ne peut plus considérer que tout accroissement de richesses est un bienfait pour demain. Les contradictions entre aspirations quantitatives et aspirations qualitatives doivent être surmontées pour trouver un nouvel équilibre et une confiance durable dans le compromis entre le progrès scientifique et le principe de précaution, le refus d’une société anxiogène et la gestion collective des risques.


Aux sources de l’immobilisme

Face à ce monde qui vient, le déficit doctrinal du PS est criant et la transition idéologique tarde à venir : "le cycle politique qui a séparé les deux défaites présidentielles n’a pratiquement servi à rien sur le fond". Entre redondance du surmoi marxiste et persistance de l’illusion ségoliste, Laurent Baumel remonte aux sources de l’immobilisme et dénonce ces courses stériles au "plus à gauche" qui déconnectent encore plus les socialistes de leur électorat. Car c’est évident : pour que le nouveau processus de rénovation aboutisse, "indépendamment des bonnes volontés affichées et des proclamations d’intention sincères", encore faut-il ne pas reproduire les erreurs du passé. Et si l’auto-persuasion d’une prochaine révolution socialiste façon Lénine est une erreur récurrente, qui pousse bien des militants à subordonner la réalité du monde à la fidélité qu’ils pensent devoir à ces idées, les autres écueils sont nombreux.

Selon Laurent Baumel, la grosse erreur, qui est une conséquence du salmigondis intellectuel des néo-marxistes au sein du PS, est le repli sur le local. En effet, beaucoup de militants, ne pouvant se soumettre à la dissonance cognitive entre idées et réalités, délaissent la réflexion doctrinale pour s’occuper des affaires locales. "La satisfaction personnelle de participer à la transformation sociale au quotidien [dépasse] l’envie de prendre part aux joutes idéologiques dévalorisées et sans objet". A ceci s’ajoute l’arrivée des hauts fonctionnaires aussi bien parmi les élus que parmi les apparatchiks : cette "culture techno-ministérielle" au service de l’obsession présidentielle de quelques-uns a relégué la fonction idéologique du PS à l’arrière-plan, en favorisant la montée en puissance d'une interprétation du monde par les catégories limitatives des politiques publiques.


Une rénovation en attente

Ne se contentant pas de dénoncer, Laurent Baumel s’efforce ensuite de proposer. Il pose cinq conditions à la réussite de la rénovation : privilégier le réel sur les postures, cibler et trancher les vraies divergences, choisir des dirigeants qui s’investissent dans le débat d’idées, retrouver le lien avec les intellectuels et les vrais experts, et enfin (et surtout !) : maîtriser les compétitions personnelles et privilégier l’intérêt collectif. Admettons qu’il serait temps…

Sans agressivité ni pessimisme, la conclusion du livre salue les initiatives qui se multiplient et les dialogues qui se nouent pour faire avancer la réflexion. Il en appelle à la confiance envers les jeunes générations militantes, persuadé qu’elles ont leur part à prendre dans la construction de cet état d’esprit nouveau. Laurent Baumel prêche tout simplement pour un droit d'inventaire collectif, calme et serein. La rénovation n’est pas un défi impossible, mais le temps presse.


 - Lire également la critique de ce même livre par Aquilino Morelle.


--
Crédit photo: www.flickr.com/ "Parti socialiste"