Une biographie courte et vivante pour se familiariser avec Henry David Thoreau, penseur des plus actuels et critique de la société capitaliste.
« Il faut prendre soin de bien choisir nos lectures, car les livres sont la société que nous côtoyons. Il ne faut lire que ceux qui procurent une vérité » . Alors, à l’invitation de l’américain Henry David Thoreau (1817-1862) lui-même, ne cessons pas de le lire ou de le relire avec comme excellente entrée en matière la biographie qui lui est consacrée par Marie Berthoumieu et Laura El Makki . Femmes de médias, passionnées de culture, les deux auteures sont aguerries à l’écriture de fictions radiophoniques, ce qui se sent immédiatement à la lecture de ce petit, mais dense, ouvrage. Son format de poche et leur style vivant ont le grand mérite de rendre accessible l’un des plus grands penseurs de la modernité. On est comme à ses côtés, au début, lorsqu’il se retire du monde pour vivre à partir de 1845 l’expérience d’une vie au plus près de sa chère Nature, dans une cabane en bois près de l’étang de Walden. L’émotion gagne, à la fin, lorsqu’il faut prendre trop tôt congé de ce véritable mais modeste héros, mort à l’âge de 44 ans de tuberculose, après avoir fait de son existence la première des philosophies.
En dehors de l’agrément qu’il procure, cet ouvrage tombe à propos et l’on peut saluer l’éditeur de contribuer à mettre ce penseur hors pair au centre du débat politique. Car Thoreau est des plus actuels. On ne peut pas dire qu’il soit méconnu. Toutefois, son audience demeure cantonnée pour l’essentiel au milieu écologiste et, pour quelques textes, aux épreuves du bac de français ou de philosophie. C’est bien dommage. C’est même étrange. Comme si les intelligences dont nous avions, en ce moment et depuis déjà quelques temps, le plus besoin, restaient en marge.
Or, Thoreau est inspirant à au moins deux titres. D’abord, parce qu’il n’a pas craint de faire corps avec ses idées, que celles-ci sont même nées de ses expériences corporelles, fait rare pour un intellectuel. C’est qu’avec lui, il n’y a point de pose qui tienne ; tout est dans la posture, sans excès et honnête, avant tout face à soi-même. Par ailleurs, l’héritage de cet insatiable travailleur demeure d’une richesse exemplaire et dans les idées, et dans le nombre d’écrits. Côté concepts, on retiendra surtout la simplicité volontaire dont l’une des traductions contemporaines est la consommation responsable, consommer mieux et moins. Le mouvement de la décroissance s’en inspire bien sûr également. La désobéissance civile, objet d’un essai du même nom, constitue son apport le plus connu. Il l’a pratiquée en refusant de payer à l’État une taxe permettant de lever des fonds pour mener une guerre contre le Mexique. D’où un bref séjour en prison et un discours devenu très célèbre. Et fondateur pour bien des leaders non violents comme Gandhi, Martin Luther King ou, plus près de nous, José Bové.
Côté ouvrages, l’œuvre de Thoreau est considérable, essentiellement publiée à titre posthume. Elle traduit bien son souci d’analyse et son goût pour les lettres. En plus d’une vingtaine d’écrits divers, souvent poétiques, les quinze volumes de son Journal permettent de suivre la trajectoire assez incroyable de ce fils de famille nombreuse, né et mort dans le Massachusetts puritain. On apprend que très tôt il s’immerge avec la plus grande joie dans la Nature, considérant plus tard cette relation privilégiée comme salutaire : « Avoir chaque jour de la matière sous les yeux, être en contact avec elle – les rochers, les arbres, le vent sur nos joues ! La terre solide ! Le monde réel ! Le bon sens ! Contact ! Contact ! Qui sommes-nous ? Où sommes-nous ? » Les années de formation à Harvard lui sont donc pénibles, heureusement suivies par le développement d’une profonde amitié avec le maître du mouvement transcendantaliste, Emerson. Il est évident que Thoreau a lu les grands classiques, a beaucoup échangé avec ses contemporains au plan des idées. Toutefois, sa pensée est tout autant le produit de ses nombreuses marches, seul ou avec son frère, de ses bains dans les rivières et les lacs, de ses observations et collectes naturalistes. De ses engagements nets et assumés aussi, notamment contre l’esclavagisme.
En ces temps pour le moins troublés, la figure de Thoreau reste en définitive un repère. De rectitude car son caractère entier et la radicalité de sa démarche donnent, s’il en était véritablement besoin, le secret d’une assise solide pour agir. Sa critique du monde moderne, du matérialisme mercantile, du travail aliénant, d’une vaine rapidité, sont en second lieu une précieuse ressource pour, précisément, passer à l’action. Au terme de ce petit livre riche d’un portfolio, de jalons chronologiques et bibliographiques, on trouvera en effet une réflexion qui ne manquera pas de conférer à qui la portera dans son cœur bien du courage : « Vous devez prendre le monde sur vos épaules, comme Atlas, et progresser avec lui […]. Où se trouve la « Terre inconnue », sinon dans les entreprises dans lesquelles nous n’avons pas osé nous lancer ? […]. À quoi sert d’avancer sur l’ancienne route ? Il y a un serpent sur ce sentier que vos pieds ont foulé. Vous devez tracer les chemins dans l’inconnu. C’est à cela que servent votre logis et vos vêtements. Pourquoi perdez-vous votre temps à les raccommoder, alors qu’en les portant tels quels vous pourriez façonner votre chemin ? » . Dont acte, monsieur Henry David Thoreau. Place aux idéalistes au plus près du réel, au plus près de la vie