Un livre intelligent, pertinent, et trop court, qui donne quelques pistes pour une rénovation politique du Parti socialiste.

Laurent Baumel appartient à la nouvelle génération de responsables du Parti socialiste. Dans cet essai au format délibérément court (quatre-vingt cinq pages et une annexe) il tente de donner un contenu à ce que devrait être la rénovation de sa formation politique.


Bref retour sur la défaite

En guise d’introduction, Laurent Baumel revient sur l’identification des causes et des responsabilités ayant conduit à la défaite de la candidate du PS, Ségolène Royal, le 6 mai 2007.

Il reprend donc les diverses versions données de cet échec, sans toutefois leur accorder – pour des raisons que l’on peut imaginer, si ce n’est approuver – de pondération : le déficit de crédibilité de Ségolène Royal, les débats contreproductifs de la primaire socialiste, les préjugés sexistes exprimés à l’encontre de la candidate, la relation "défectueuse" avec le Parti socialiste, l’étirement dans le temps d’une phase participative dont le contenu fut finalement peu utilisé, l’importance excessive accordée aux sondages et aux enquêtes d’opinion.

Laurent Baumel souligne surtout la stratégie de Nicolas Sarkozy qui a réussi, contre toute attente et contre la logique politique, à incarner l’alternance – "la rupture" – alors même qu’il gouvernait la France depuis cinq ans. Ce succès a été d’abord permis par l’affichage d’un volontarisme réformateur assimilant par contraste le PS au conservatisme, au corporatisme et à l’immobilisme. Le président de l’UMP a su aussi créer et instrumentaliser à son profit des clivages de l’opinion sur des questions – identité nationale, immigration, insécurité – qui ont trouvé les socialistes muets, inaudibles ou divisés.

Laurent Baumel en arrive ainsi rapidement à "l’agenda de la rénovation" auquel il consacre la première partie de son ouvrage. Il s’agit de passer en revue les questions de fond auxquelles le Parti socialiste doit répondre pour se forger une nouvelle doctrine politique : "l’effondrement du socialisme réel", les défis écologiques qui invitent à revisiter le rapport à la science hérité des Lumières et du marxisme, les transformations sociétales, le chômage de masse, la mondialisation et l’allongement de la durée de la vie. Autant de grands mouvements de fond, déjà décrits par d’autres et ailleurs, que Laurent Baumel reprend de manière certes claire et synthétique – même s’il use parfois d’un jargon sociologisant –, sans toutefois apporter là de nouvelles analyses.


Quatre facteurs profonds

La seconde partie de son essai mérite davantage de retenir l’attention. Laurent Baumel y met en lumière – et c’est bien là l’originalité et l’intérêt de son livre – les facteurs profonds d’immobilisme doctrinal et politique qui empêchent le Parti socialiste de vivre avec son temps, de proposer un projet politique fort et moderne, et au final de convaincre les Français. Ces facteurs sont, selon Laurent Baumel, au nombre de quatre.

Le premier d’entre eux appartient autant au registre de la psychanalyse qu’à celui de la politique, puisqu’il s’agit du désormais célèbre "surmoi marxiste". Celui-ci tétaniserait trop souvent les responsables du Parti socialiste, rognant ou disqualifiant leurs ambitions réformistes au nom d’une "Révolution" abandonnée dans la pratique si ce n’est dans les mots. Ce "surmoi marxiste" serait la source de mécanismes d’autocensure à la fois dans le discours et dans la réflexion même des membres du Parti socialiste. Sans nier l’existence de ce phénomène collectif, on n’est pas pour autant obligé sur ce point de suivre complètement Laurent Baumel dans son analyse. Ce "surmoi marxiste" ne parait pas devoir être retenu comme explication centrale à l’immobilisme d’un parti dont la pratique a toujours, depuis sa première expérience politique fondatrice, celle du Front Populaire, été réformiste. Par ailleurs son invocation ne doit pas conduire à minimiser la réalité du malaise ressenti par des militants qui s’interrogent sincèrement, et désormais durablement, sur l’utilité même de leur engagement. Ce malaise doit être pris en compte sérieusement et analysé avec lucidité par les dirigeants du Parti socialiste car il renvoie dans une large mesure à leur rapport avec une donnée essentielle de l’histoire politique de la France comme celle du socialisme : la volonté politique. Le débat ne porte plus aujourd’hui sur l’opposition entre "réformes et "Révolution", mais sur la dose de volonté politique qui doit habiter la réforme. La réforme ce n’est pas forcément la demi-mesure. Ni le robinet d’eau tiède. L’épisode de l’annonce par Nicolas Sarkozy de la suppression de la publicité sur les chaînes de la télévision publique doit, au-delà de la légitime suspicion devant une initiative marquée par l’opportunisme politique, rappeler aux dirigeants socialistes qu’il faut savoir aller au bout d’une réforme, pas seulement pour que celle-ci contribue à transformer réellement la société, mais aussi pour qu’elle soit le symbole de cette volonté de transformation. La dernière élection présidentielle n’a pas remis en cause cette règle d’or de la vie politique nationale : c’est le candidat qui fait preuve du plus grand volontarisme politique qui l’emporte.

Ce premier facteur d’immobilisme est conforté, selon l’auteur, par le "repli sur le local" qui donnerait au Parti socialiste le visage d’un club de hobereaux de province dont la seule ambition serait de demeurer de "pragmatiques gestionnaires éclairés par des valeurs". Laurent Baumel souligne avec raison la perversité d’une évolution qui tend à faire du Parti socialiste une nouvelle SFIO : une grande force politique gouvernant la majorité des régions et des départements mais vouée à l’impuissance au niveau national et réduite à une fonction tribunitienne. Dans cette perspective, on doit s’interroger sur le bien-fondé et la pertinence d’attribuer le statut de membres de plein droit du Bureau national du Parti socialiste aux présidents de Région de cette formation, comme certains viennent de le proposer…

La "culture techno-ministérielle", troisième facteur d’immobilisme identifié par Laurent Baumel, a "fait perdre à la fonction idéologique son prestige et sa vocation à commander le reste". Elle incite de nombreux cadres du PS à privilégier le technique sur le politique, l’affichage sur le contenu, la communication sur la politique, le programme sur le projet. Là encore Laurent Baumel fait mouche.

"L’obsession présidentielle", enfin, écartèle le PS. Elle "nourrit l’incapacité inavouée mais viscérale des protagonistes à accepter qu’un égal appartenant à leur génération politique, situé dans une position originelle équivalente, puisse se détacher du lot". Cette obsession est à l’origine d’une compétition à couteaux tirés et d’une atmosphère fratricide faisant obstacle à la résolution des enjeux de fonds. Comment, là encore, ne pas acquiescer à cette analyse ? Mais comment, en rester aussi à ce seul élément de diagnostic ? Car l’obsession présidentielle n’a pas toujours paralysé le Parti socialiste : François Mitterrand, et plus récemment Lionel Jospin, ont été des chefs incontestés. Alors pourquoi est-il plus difficile de canaliser cette obsession présidentielle aujourd’hui qu’hier ? On peut voir dans le développement d’une culture politique audiovisuelle qui octroie à chacun sa minute de gloire et qui dilate d’autant les egos un premier élément d’explication. Autre question pour laquelle on aurait aimé connaître le point de vue de Laurent Baumel : pourquoi le Parti socialiste s’est-il révélé incapable de faire ce que l’UMP a su faire, même dans la violence : faire émerger en son sein un candidat indiscuté ?

C’est là qu’on se prend à regretter le format d’un livre qui n’aura pas permis à l’auteur de déployer son intelligence et sa capacité d’analyse autant qu’on aurait souhaité et que la situation l’exige. Gageons que ce n’est là que partie remise. Et disons à Laurent Baumel, en toute amitié : "Encore un effort camarade !".


- Lire la critique de ce même livre par Rémi Raher.


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