Dans ce cours prononcé au Collège de France en 1980 et 1981, Foucault élabore les lignes directrices de son "Histoire de la sexualité" et montre comment s’est constituée, dans l’Antiquité, une morale qu’on a à tort trop vite qualifiée de chrétienne et qui servira de modèle matrimonial jusqu’à l’époque de ce qu’on appelle traditionnellement « la morale bourgeoise ».
Ce cours a été prononcé après la publication du premier volume de l’Histoire de la sexualité : la volonté de savoir (1976). On y retrouve des éléments qui viendront nourrir les deux autres volumes l’Usage des plaisirs (1984) et le Souci de soi (1984). Ce cours est le premier d’une série de réflexions et de cours portant sur l’Antiquité. Et l’année précédente, le cours intitulé Du gouvernement des vivants annonçait l’étude du problème du lien entre pouvoir et vérité et avait étudié des techniques chrétiennes de pénitence, c’est-à-dire, comme l’explique F. Gros, dans sa lumineuse « situation du cours », des « obligations faites au sujet d’énoncer une vérité sur lui-même » . Aussi dans ce cours, Foucault œuvrant en direction d’une généalogie du sujet occidental, s’attache-t-il à montrer comment s’est produite à la fin de l’Antiquité une modification dans la façon de penser le désir et le mariage qui a abouti à une nouvelle manière pour l’homme de se vivre comme sujet.
Le problème du désir, de la subjectivité et de la vérité
Michel Foucault inaugure son cours en rapportant la fable de l’éléphant chez Saint François de Sales dans l’Introduction à la vie dévote. L’éléphant y est dépeint comme fidèle et propre dans sa sexualité. Il sert de modèle pour les chrétiens . Remontant dans le temps, Foucault note que cette exemplarité de la conduite sexuelle de l’éléphant se trouve jusque dans l’Antiquité gréco-latine, mais pas encore chez Aristote, ce qu’il explique en disant que « cette idée de faire une lecture systématique de la nature qui porte constamment et dans chacun de ses éléments une leçon de moralité pour la conduite humaine, c’est quelque chose que la culture grecque ou hellénistique n’a connu que relativement tard, disons en tout cas après Aristote. » . Une telle lecture requiert en effet deux présupposés : d’une part, l’idée que la nature est régie par une rationalité cohérente et globale, et, d’autre part, l’idée que l’homme, pour être vertueux et raisonnable ne doit pas simplement obéir aux lois de sa seule cité, mais qu’il y a dans la nature et dans l’ordre du monde des lois beaucoup plus fondamentales auxquelles les hommes doivent obéir.
A partir de là, Foucault expose la question qu’il voudrait poser pour servir de fil conducteur à son analyse : si le problème de la subjectivité et de la vérité a été traditionnellement posé sous la forme « comment le sujet peut-il avoir accès à la vérité ? », on peut aussi se demander s’il est possible d’avoir une connaissance vraie du sujet ). Développant les implications de cette question, il cherche à la lier avec sa trajectoire intellectuelle et les problèmes qu’il a déjà posés : « quels sont les effets sur cette subjectivité de l’existence d’un discours qui prétend dire sur elle la vérité [?] C’est autour de cette (…) manière de poser la question « subjectivité et vérité », que, avec plus ou moins de distance, plus ou moins de clarté, j’ai pendant un certain nombre d’années essayé de tourner. (…) On peut se demander comment, par exemple, se sont formés, à propos de la folie, à propos de la maladie, à propos du crime, des types de pratiques impliquant l’existence et le développement de discours vrais sur la raison aliénée, le corps malade ou le caractère criminel, et comment le rapport que nous avons à nous-même – et j’entends par « rapport à nous-même » pas simplement celui que nous avons avec notre propre individualité, mais celui que nous avons aux autres en tant qu’ils sont aussi nous-même – se trouve affecté, modifié, transformé, charpenté par l’existence de ce discours vrai et les effets qu’il induit, par les obligations qu’il impose et les promesses qu’il suggère ou formule. » .
De là Foucault tire trois conséquences. La première concerne la conception de la subjectivité – qui donne son titre au cours : la subjectivité n’est pas conçue à partir d’une théorie préalable et universelle du sujet, elle n’est pas rapportée à une anthropologie qui aurait une valeur universelle, mais elle est conçue comme ce qui se constitue et se transforme dans le rapport qu’elle a à sa propre vérité. La seconde touche à la conception de la vérité : « la vérité n’est pas définie par un certain contenu de connaissance que l’on pourrait considérer comme universellement valable, elle n’est même pas définie par un certain critère formel et universel. La vérité est conçue essentiellement comme un système d’obligations, indépendamment du fait que, de tel ou tel point de vue, on peut la considérer comme vraie ou pas. » Pour illustrer cette affirmation, Foucault donne l’exemple de la psychiatrie, qui est vraie, dans la mesure où, effectivement, les systèmes d’obligations propres aux discours vrais sont présents à la racine de ce type de discours. Un certain nombre de choses passent effectivement pour vraies et le sujet doit les produire lui-même, les accepter ou s’y soumettre. La troisième conséquence renvoie à l’historicité de la vérité : « les analyses se font avec un matériau historique, pas pour montrer à quel point la vérité est changeante, ou la définition du sujet relative, mais pour montrer de quelle façon les subjectivités comme expériences de soi et des autres se constituent à travers les obligations de vérité. » Le domaine historique auquel va toucher Foucault est celui de la sexualité ) et l’époque étudiée, celle du passage de l’Antiquité païenne au christianisme. Dès la première leçon, Foucault montre que l’éthique sexuelle « triste » qu’on attribue au christianisme existait avant lui .
Le fil conducteur de l’enquête : les arts de vivre
Puis Foucault précise qu’il va nourrir son analyse de l’examen d’un type particulier de littérature : les arts de vivre. Ceux-ci pouvaient porter sur des temps forts (art de bien mourir), sur des activités (art de la mémoire, de la rhétorique), et s’ils disent comment vivre, ils expliquent moins comment faire quelque chose que comment être. Avec le christianisme, on passe de comment être à comment faire ; par exemple ces arts de vivre indiquent comment se tenir en société, comment vivre avec une certaine tranquillité d’âme ou comment bien mourir ).Ces arts entraînent un « changement dans le statut ontologique de l’individu » , dans un triple rapport : rapport aux autres (puisque la présence de l’autre est indispensable ne serait-ce que parce que ces arts se transmettent et s’enseignent suivant une relation de maître à disciple) ), rapport à la vérité (il faut qu’on intériorise l’enseignement, qu’on le pense soi-même) et rapport à soi (ascèse, série d’exercices, « essais pour faire telle ou telle chose, contrôle de ce qu’on a fait, examen de soi-même, des fautes qu’on a pu commettre dans la journée, travail de soi sur soi » . Epictète, par exemple, évoque dans ces Entretiens ces trois termes.
Ces arts de vivre portent sur cette partie de la vie qui relève d’une technique possible. Les arts de vivre sont à comprendre comme tekhnê peri bion : la technique qui concerne l’existence. Foucault va alors parler de « technique du soi » pour rendre cette expression ; il s’agit de « pratiques, procédures réfléchies, élaborées, systématisées qu’on enseigne aux individus de manière à ce qu’ils puissent, par la gestion de leur propre vie, le contrôle et la transformation de soi par soi, atteindre un certain mode d’être. » . Et c’est à partir de l’examen de ces arts que Foucault veut découvrir le rapport entre vérité et subjectivité à l’époque hellénistique et romaine. Pour ce faire, Foucault analyse le problème du mariage et de l’activité sexuelle dans les arts de vivre en rejetant une distinction quasi classique entre paganisme et judéo-christianisme, car ces notions sont forgées au XIXe siècle avec une intention critique. La morale sexuelle attribuée au christianisme avait déjà donné des preuves d’existence parfaitement claires et bien déterminées avant que le christianisme ne se soit répandu, avant même qu’il ne soit apparu à l’intérieur du monde antique. « Il y a une préexistence certaine de cette soi-disant « morale sexuelle chrétienne » à l’intérieur de la pensée, de la morale dites païennes. » On attribue cette morale avec raison aux stoïciens tardifs, même si les autres écoles philosophiques donnent aussi de tels conseils.
Au sein de ces arts de vivre, Foucault analyse l’interprétation d’un rêve par Artémidore dans un des textes qui reste d’un genre familier dans l’Antiquité : l’onirocritique ou l’interprétation des rêves. L’onirocritique ne cherche pas simplement à dire la part de vérité du rêve, mais à définir quoi faire avec son rêve. Cela requiert un système d’interprétation : un rêve a une valeur favorable ou défavorable selon que l’acte sexuel représenté aura une valeur morale positive ou négative. A partir du moment où, pour Artémidore, ce qui est moralement bon annonce quelque chose de favorable, il suffit, quand on lit son interprétation des rêves à contenu sexuel, de voir quels sont les actes sexuels qui annoncent quelque chose de favorable pour le rêveur et on comprendra que tel acte sexuel soit moralement bon ou en tout cas acceptable. Ce texte n’est pas un code disant ce qui est conforme ou nom à la morale de cette époque, mais indirectement, on peut à partir de lui reconstruire les valeurs de la tradition dont il est le reflet. Le songe sexuel (qui n’est pas le seul songe mais qui est le seul qui intéresse ici Foucault) est constitué d’une projection du sexuel sur le social. L’analyse des songes sexuels par Artémidore passe par la polysémie et l’ambiguïté économico-sexuelle de beaucoup de mots grecs (sôma veut dire corps, mais aussi richesse ; blabê veut dire dommage ou passivité dans un rapport sexuel, ergasterion atelier ou bordel ; de la même façon, on utilise le même mot pour évoquer le fait qu’on se libère de son sperme ou d’une dette). Foucault pose l’hypothèse de la « connaturalité pour les Grecs du sexuel et du social. Avoir un rapport sexuel sous telle ou telle forme ou avec tel ou tel partenaire, et avoir une activité dans la société à l’intérieur de sa famille ou dans la cité, acquérir telle ou telle richesse, faire tel ou tel profit, subir tel ou tel revers dans les affaires privées ou publiques, c’était au fond pour les Grecs, ou en tout cas pour toute une tradition, à laquelle Artémidore au IIème siècle fait encore écho, presque la même chose. » .
On peut classer, dans les songes repérés par Artémidore, les actes sexuels en trois groupes : les actes conformes à la loi, les actes contraires à la loi et les actes contraires à la nature. C’est la condition de l’autre, plus que la nature de l’acte lui-même, qui constitue la signification de pronostique de l’acte. Foucault en tire l’idée que l’idée « d’une sexualité entièrement valorisée autour du rapport familial, de la position masculine, de la position du père de famille, existe déjà dans l’éthique représentée par Artémidore. Mais – et c’est peut-être la différence la plus importante, là où sans doute l’élaboration par la pensée chrétienne va jouer le principal rôle – cette sexualité est pensée dans une sorte de continuité avec le rapport social, de sorte que rapport social et rapport sexuel sont des réalités de même type. » . Avoir une bonne sexualité, c’est avoir une sexualité socialement reconnue. Avoir des rapports sexuels avec sa femme et prendre du plaisir avec son esclave appartiennent au même rôle social. L’idée qu’il s’agisse de deux sexualités différentes, articulées sur deux types de désirs étrangers l’un à l’autre, est étrangère à l’éthique que représente Artémidore. « Beaucoup plus que sur le privilège du père de famille, c’est sur cette continuité du social et du sexuel que joueront les différents facteurs qui vont transformer l’expérience grecque des aphrodisia en expérience chrétienne de la chair. » . Mais, s’empresse de préciser Foucault, ce n’est pas dû qu’au christianisme, c’est aussi dû aux philosophies antiques (stoïcienne et épicurienne en particulier), qui vont penser les aphrodisia (les plaisirs du sexe) dans une forme nouvelle avec un autre type de rapport à la vérité.
Sexualité et mariage dans les aphrodisia à l’époque d’Artémidore
L’onirocritique d’Artémidore ne peut pas nous donner la manière dont les Grecs auraient codé un domaine qui serait absolument commun, transculturel, transhistorique et qui serait celui de la sexualité. Mais Foucault y cherche la perception éthique de l’expérience antique de l’aphrodisia. Cette expérience de l’aphrodisia est à distinguer de l’expérience chrétienne de la chair et de l’expérience moderne de la sexualité. Ces trois expériences ne sont pas des domaines d’objet séparés, mais trois modes d’expérience c’est-à-dire trois modalités de la relation de soi à soi dans le rapport que nous pouvons avoir à un certain domaine d’objets qui a rapport au sexe. La perception éthique des aphrodisia obéit au principe d’isomorphisme : si le sexuel renvoie au social, c’est parce qu’ils sont dans la continuité l’un de l’autre. Les partenaires sexuels restent des personnages sociaux. Le véritable partage dans le champ des aphrodisia n’est pas celui de l’homo ou de l’hétérosexualité, c’est le problème de l’iso- et de l’hétéromorphie socio-textuelle. Le caractère fondamental de ce principe d’isomorphie produit, dans ce champ, et dans la perception éthique des aphrodisia toute une série d’effets.
On voit que les aphrodisia ne donnent pas au mariage l’exclusivité du rapport sexuel. Le mariage n’y est que la forme la plus parfaite de cet isomorphisme. Par exemple, si un maître bouscule sa servante dans un couloir, c’est un rapport isomorphe, puisque le maître en agissant ainsi avec sa servante ou son esclave ne fait rien d’autre que mettre en œuvre dans le rapport physique qu’il a avec elle le type même de rapport social qu’il a dans le reste de l’existence.
Dans cette conception, contrairement à ce que prônera le christianisme, il n’y a pas de localisation exclusive du rapport sexuel dans le mariage, et contrairement à ce que mettra en avant la « sexualité » moderne, il n’y a pas de partage anatomo-physiologique des sexes, et, consécutivement, pas de différenciation entre hétéro et homosexualité. La perception éthique des aphrodisia est entièrement commandée par le point de vue de l’individu actif. La pénétration n’est pas un processus qui se passe entre deux individus, c’est essentiellement l’activité d’un sujet et l’activité du sujet. C’est comme activité du sujet qu’elle constitue le noyau central et naturel de tous les actes sexuels. Dans le christianisme, la naturalité de l’acte sexuel comporte deux points d’ancrage, du côté du sujet (le mâle) et du côté de l’objet (la femme, le « vase naturel » – cet élément corrélatif est indispensable à la bonne naturalité de l’acte sexuel). Du coup, pour Artémidore, la naturalité de l’acte sexuel n’est pas un couplage entre activité et passivité, la naturalité, c’est l’activité. D’où la méfiance à l’égard du plaisir pris par celui qui est passif, puisque normalement seul le sujet actif doit avoir le plaisir. C’est ce qui explique l’idée que le plaisir de la femme est immaîtrisable, le plaisir de la femme est à la jonction de la nature et de la contre-nature ainsi que l’idée que l’homme doit exercer une souveraineté et une modération sur lui-même. Si le mâle, dans son activité, laisse se déchaîner en lui un plaisir qui l’entraîne indéfiniment vers de nouveaux plaisirs, il devient efféminé. Il y a dans cette avidité du plaisir sexuel une sorte de « passivisation » de l’activité par l’incapacité à la mesurer et donc à en être maître.
Cela pose en particulier le problème de l’amour du garçon qui va devenir sujet – et donc changer de statut. C’est pourquoi on l’envisagera comme partenaire dans le cadre d’une relation pédagogique. La relation sociale pédagogique par laquelle on essaie de le transformer en sujet doit servir de support à un rapport sexuel dans lequel le garçon n’est pas sujet. D’où le rôle de l’érotique. L’eros, c’est alors ce sentiment et cette manière d’être qui va faire que, jusque dans cette activité sexuelle, on prendra en compte l’autre en tant qu’il est en train de devenir sujet.
Prenant de la distance par rapport à l’objet de son étude, Foucault affirme qu’il n’y a pas toujours et partout une codification des activités sexuelles. C’est même le Moyen Âge occidental chrétien qui est la seule grande codification de l’activité sexuelle. Puis, « la » préparation de la morale chrétienne est étudiée à partir du texte d’Artémidore. Foucault montre que les philosophes qui ont interpellé les gens sur leur vie n’ont pas cherché à établir un nouveau code (puisqu’il n’y avait pas de code à proprement parler), mais ont modifié la perception éthique. « A l’intérieur ou à côté de cette perception éthique générale, ils ont fait naître, surgir, jusqu’à un certain point inventé une nouvelle perception qui n’a pas remplacé totalement l’autre mais s’est juxtaposée à elle et s’est imposée à un certain nombre de gens, de cercles, de groupes sociaux, à l’intérieur d’une certaine classe ou d’une certaine couche. C’est cette nouvelle perception, encore une fois pas universelle mais tout de même parfaitement ancrée dans le champ social gréco-romain, que le christianisme a trouvée devant lui, et c’est elle qu’il a reprise. » . Cette nouveauté peut se définir par des transformations apportées aux principes directeurs précédents. On assiste ainsi à une remise en question de l’isomorphisme socio-sexuel par la survalorisation du mariage. Le mariage devient isolé à l’intérieur des relations sociales. Au lieu de dire qu’un rapport sexuel ne doit pas être étranger aux relations sociales à l’intérieur desquelles il s’inscrit, on voit apparaître le principe, nouveau, que toutes les relations sociales doivent être maintenant pures de toute contamination par un rapport sexuel quel qu’il soit. On observe aussi que, désormais, tout plaisir, quel qu’il soit, même celui du sujet actif, présente par nature le risque et le danger de faire échapper le sujet à la maîtrise qu’il exerce sur soi. Le plaisir sera ainsi considéré comme la marque, au cœur de tout sujet d’une passivité dangereuse. L’acte sexuel doit être délié du plaisir sous toutes ses formes.
Sexualité et mariage dans l’Antiquité
A partir d’un questionnement sur le plaisir et la sexualité, Foucault s’engage dans un questionnement sur le mariage dans l’Antiquité. La question du mariage est présente de l’Economique de Xénophon, jusqu’à Jean Chrysostome, sous la forme « faut-il se marier ? ». Deux problèmes sont distingués : « quels sont les avantages et les inconvénients comparés du mariage ? » d’une part ; et d’autre part, « doit-on se marier si on veut embrasser l’existence philosophique ? » Sont d’abord passés en revue les avantages du mariage (le mariage permet de bien gérer la maison, il assure à l’homme le repos quand il rentre le soir après l’agitation de la journée, quand il est malade ou quand il est vieux. Il assure à l’homme une descendance. Il est aussi utile à la cité) et les inconvénients qui se répondent termes à termes : la femme aide à gérer, mais elle coûte de l’argent et fait naître du souci ; elle doit apporter le repos, mais provoque des disputes, les enfants sont utiles mais coûtent de l’argent et créent des soucis. Si les enfants sont utiles à la cité, ils peuvent aussi faire honte au père devant la cité. Concernant l’autre question, le mariage n’est pas compatible avec l’autonomie qui doit être la règle de vie du philosophe. Mais, s’il faut donner l’exemple, comment ne pas être marié et dire aux autres qu’ils doivent se marier ? En évoluant la question devient : « comment être marié philosophiquement ? » ; « Comment avoir philosophiquement des rapports sexuels avec sa femme ? » Chez les stoïciens, le mariage est défini comme proêgoumenon : c’est un devoir d’importance majeure (par opposition à un devoir qui serait affaire de circonstance), alors qu’épicuriens et cyniques sont contre le mariage, sauf dans certaines circonstances. A l’inverse, le mariage, en tant que proêgoumenon pour les stoïciens, est quelque chose qu’on doit faire dans la mesure du possible, sauf circonstances exceptionnelles. Chez Epictète, pour l’homme de bien, il faut être citoyen, se marier, honorer le dieu, faire des enfants. Celui qui mène une existence philosophique, en revanche, doit vivre sans femme, sans patrie, sans enfant : il a à interpeler les hommes et dire comment ils doivent se conduire. Pour le philosophe, le monde actuel est une circonstance telle qu’elle l’empêche de se marier, comme plus tard, pour Origène et d’autres : le pasteur, parce qu’il est pasteur, ne doit pas être marié et sombrer dans les soucis de la vie quotidienne.
De là Foucault analyse le rôle du mariage qui devient crucial et survalorisé. La survalorisation du mariage a fait que le mariage n’a plus été que le seul lieu légitime de l’activité sexuelle. Chez les stoïciens, le mariage est un acte conforme à la nature. Le fait que le mariage soit conforme à la nature a un sens tout particulier chez les stoïciens, par rapport aux auteurs précédents, par exemple Xénophon que Foucault étudie longuement . De la comparaison entre Xénophon et les stoïciens, Foucault montre que le couple qui n’était pas à lui-même sa propre fin la devient . La vie à deux est elle-même le but de la nature ; la relation établie entre le mari et la femme dans le mariage est une relation spécifique et hétéromorphe au champ général des relations sociales. Pour les stoïciens, la relation de mariage est la limite extrême de la relation d’amitié. Elle est autre chose que l’amitié par sa nature et en même temps le modèle de toutes les relations d’amitié. Le mariage implique une unité organique. Le mariage permet de constituer un seul corps, il n’est pas juxtaposition de deux individus différents. Le mariage n’est pas un mélange dans lequel les éléments resteraient hétérogènes entre eux, mais un mélange dans lequel les éléments qui le composent sont entièrement fondus l’un dans l’autre. Avec les stoïciens et leurs successeurs , « on n’est plus dans le régime de l’économie des avantages, on est déjà dans une physique de la fusion des existences » . D’où la rupture entre le mariage et les autres relations sociales, et le début de l’hétéromorphisme qui caractérise le mariage dans l’ensemble des relations sociales.
Evolution de la conception du mariage et de la sexualité dans l’Antiquité
Dans cette nouvelle économie des plaisirs sexuels apparaît une nouvelle méfiance à l’égard des plaisirs sexuels que relève et analyse Foucault. Vérité, religion, mort et sexualité sont liées entre elles en Grèce : par exemple au temple d’Epidaure, pour recevoir du dieu un songe qui nous dira notre avenir et qui dit vrai, il faut s’être abstenu de rapports sexuels et il faut s’être purifié. De même la vie théorique apparaît comme incompatible avec le plaisir sexuel, car le plaisir sexuel prend toute l’âme puis disparaît en laissant place aux regrets et à la fatigue. Il est paroxystique, et à ce titre contraire à la vie philosophique, qui a pour objet l’absence de troubles, la permanence d’une certaine qualité d’existence caractérisée soit par la sagesse, soit par la maîtrise de soi, soit par le bonheur. La vie théorique se caractérise par une saisie de la vérité que la violence paroxystique et l’aveuglement des plaisirs de l’amour ne peuvent qu’empêcher. La vie théorique est une vie d’activité qui s’exerce sur soi-même et qui a pour fonction d’arriver à la maîtrise de tous ces mouvements involontaires du plaisir dont les aphrodisia sont l’exemple le plus manifeste et le plus dangereux. Cette méfiance se retrouve, d’après Foucault, dans la pensée médicale. Pour Hippocrate, le corps entier se trouve affecté par le plaisir dans l’acte sexuel. Démocrite compare l’acte sexuel à l’épilepsie. Or, ce qui caractérise l’épilepsie, c’est qu’elle est faite de mouvements violents et involontaires, qu’elle implique perte de la conscience, obscurcissement de la pensée et qu’elle conduit à un total épuisement du corps et à la mort apparente. Aussi l’acte sexuel, à travers la comparaison avec l’épilepsie, laisse apparaître des caractères déjà présents soit dans les interdits religieux, soit dans la pensée philosophique : il y a quelque chose en lui qui le rapproche de la mort et il est incompatible avec la vérité.
Les analyses foucaldiennes font alors apparaître dans la médecine, comme dans la religion ou la philosophie, un triangle sexe-mort-vérité. Ce que met en évidence Foucault assez rapidement, mais de façon décisive pour comprendre l’histoire de la constitution de soi dans le rapport au désir, c’est que ce triangle sera aussi présent dans l’expérience chrétienne de la chair, bien que l’organisation de ce triangle ne soit pas identique dans l’expérience grecque des aphrodisia et dans l’expérience chrétienne de la chair. Foucault explique en effet que la plus grande différence entre ces deux expériences est que si chez les Grecs et les chrétiens, le sexe empêche l’accès à la vérité et qu’il est nécessaire de se purifier de tout ce qui touche à l’acte sexuel pour pouvoir avoir accès à la vérité, cette purification nécessaire implique chez les chrétiens que chacun établisse à lui-même un certain rapport de vérité qui lui permette de découvrir, en lui, tout ce qui peut trahir la présence secrète d’un désir sexuel, d’un rapport à la sexualité, d’un rapport avec tout ce qui touche au sexe. Autrement dit, si on veut avoir accès à la vérité et si on veut pour y avoir accès se purifier soi-même, il faut, au préalable et comme procédure indispensable à la purification, établir un rapport spécifique de vérité qui est le rapport spécifique de vérité à ce qu’on est. Le sujet doit savoir ce qu’il est. Par conséquent, la relation simple d’incompatibilité entre rapport sexuel et vérité qu’on trouve dans l’expérience grecque des aphrodisia se trouve compliquée. Dans l’expérience chrétienne de la chair, il ne s’agit plus d’affirmer que l’acte sexuel, le désir sexuel est incompatible avec la vérité, il faudra techniquement découvrir les moyens de reconnaître en soi la vérité même de ses désirs, pour pouvoir ensuite avoir accès à cette vérité qui m’est promise par la disparition de tout attachement de mon existence au plaisir et au désir sexuels .
Foucault étudie les conséquences des déplacements opérés par la nouvelle survalorisation du mariage. En passant à la confiscation par le mariage de la légitimité des rapports sexuels, l’adultère de l’homme qui n’était pas auparavant condamné le devient de manière symétrique à celui de la femme. Les historiens peuvent ainsi observer l’égalité juridique, mais aussi morale entre la femme et l’homme, où tout ce qui lie la femme lie l’homme de la même façon dans le mariage. Le plaisir de l’homme est tout aussi condamné et dangereux que celui de la femme. Il n’y a plus de différence de nature entre les plaisirs masculin et féminin.De plus le rapport sexuel avec sa femme ne doit pas être indexé sur le plaisir, on ne couche pas avec sa femme comme avec une maîtresse. On se marie et on pratique des actes sexuels pour faire des enfants. L’acte sexuel doit aussi avoir pour but la formation et le développement d’un lien affectif entre le mari et la femme. Ce que met finalement en évidence Foucault c’est le fait, nouveau, qu’il y a une érotisation des rapports de mariage, et une codification de ces rapports sexuels conjugaux.
Lisant l’Erotikos de Plutarque, Foucault propose un état des lieux des arts de vivre aux premiers siècles de notre ère. On peut saisir dans ce texte le pivotement de l’éthique de l’époque classique à celle qui précède juste le christianisme. Plutarque y rejette les arguments en faveur de l’amour des garçons et l’amour conjugal hérite ainsi de toutes les vertus. Le mariage se voit valorisé sur le plan théorique, de droit, mais il est aussi de plus en plus important de fait. D’acte privé, le mariage devient une sorte d’institution publique et un épisode de la vie privée, inscrit dans des cérémonies religieuses. Ce n’est plus la religion familiale, mais la religion publique qui sanctionne le mariage. Ce dernier devient un lien qui se généralise et gagne en intensité et en spécificité. On voit aussi, chez Tacite, Stace ou Pline apparaître le terme de la concordia entre époux, qui traduit l’insistance sur lien affectif, sur l’amour entre époux et pas seulement sur l’intérêt économique, d’union de familles ou de descendance.
Quelles sont les raisons de ce changement ?
On ne peut pas considérer que les textes philosophiques sur le mariage aient été à l’origine des changements dans la pratique, car ces changements sont antérieurs aux changements effectifs de pratique. A quoi sert alors le discours qui entend régir la pratique, si cette pratique est déjà ainsi régie ? Trois solutions sont envisagées par Foucault. La première, suivie par exemple par Claude Vatin, dans une démarche d’historien, postule que les moralistes et les philosophes ont simplement enregistré et transcrit sous forme de prescriptions un processus qui était réel. La seconde consiste à dire que, non seulement le discours n’a pas pour fonction de refléter le réel, mais qu’il a pour fonction de ne pas le refléter : en déplaçant l’analyse du mariage, les textes cachent ce qu’ils souhaitent cacher du réel, autrement dit, la désagrégation de la famille, la dislocation des structures sociales et hiérarchiques de la cité. Que fait cette analyse ? Elle ne porte pas sur le réel dont parle le discours (le mariage) mais sur la cause que l’analyse idéologique attribue rétrospectivement et hypothétiquement au réel (les changements sociaux). L’analyse en termes d’idéologie fait toujours apparaître le discours étudié comme déchu, aliéné, trompeur, par rapport à ce qui serait l’essence, la fonction, la nature originaire, authentique, du discours fidèle à son être, qui est le discours qu’on dit vrai. « Au fond, le discours idéologique apparaît toujours comme discours aliéné par rapport au discours juste, celui qui dit vrai. » . La troisième suppose une analyse en termes de rationalisation ; elle revient à dire que les stoïciens n’ont pas voulu représenter cette pratique matrimoniale, ni cacher ses causes historiques réelles, mais qu’ils ont voulu les transformer. Ils ont essayé de lier les uns aux autres de manière cohérente les comportements qui pouvaient être divers (le statut juridique de la femme qui évolue, pratique du mariage qui augmente, resserrement du lien matrimonial, etc.). Tous ces éléments qui n’étaient pas tout à fait liés les uns aux autres, pas forcément impliqués les uns dans les autres, les philosophes stoïciens ont tenté de les présenter comme constituant une unité logique et indissociable . Cependant, l’efficacité des procédures de rationalisation est très faible.
Ainsi, aucune des trois solutions proposées n’est satisfaisante : il faut donc examiner pourquoi ce régime de codifications s’est accompagné d’un régime de véridiction, d’un jeu du vrai et du faux. Pour résoudre ce nouveau problème, Foucault procède à l’examen de la nature des discours porteurs de ce modèle : « tous ces discours qui prônent la vie matrimoniale, qui veulent indiquer à la fois qu’il faut se marier et comment se conduire dans le mariage, etc., ne se présentent absolument pas, ou pas exactement, comme des règles, comme un code. Ils ne se présentent pas non plus d’ailleurs comme un discours purement théorique sur ce que serait l’essence du mariage, l’essence ou la nature des aphrodisia ou de la bonne conduite. Ce ne sont ni des codes, ni exactement des systèmes prescriptifs, ni des ensembles théoriques. Ils se présentent comme des tekhnai (des techniques) peri ton bion (qui ont pour objet la vie). (…) Ce sont des techniques, c’est-à-dire des procédures réglées, des manières de faire qui ont été réfléchies et sont destinées à opérer sur un objet déterminé un certain nombre de transformations.» .
Dans la mesure où la vie se définit par ce qu’on cherche (richesse pour la chrématistique, gloire dans la politique, vérité pour la philosophique), ce qui la caractérise, ce n’est pas ce qu’on fait, ce ne sont même pas les choses qu’on manipule, mais la forme de rapport qu’on décide d’avoir soi-même avec les choses, la manière dont on les finalise par rapport à soi.
Alors que notre modèle de subjectivité est bâti sur un cadre chrétien, et est constitué par un rapport à un au-delà, par une opération de conversion et l’existence d’une authenticité, d’une vérité profonde à découvrir et qui constituerait le fond de notre subjectivité, la subjectivité grecque que Foucault identifie au « bios » ne se constitue pas en termes d’un absolu commun, mais en termes de fin que chacun se propose à soi-même : pas de conversion, mais un travail continu de soi sur soi, pas d’authenticité, mais une fin indéfinie qu’on essaie d’approcher le plus possible. Aussi, les discours auxquels Foucault a affaire sont des procédures de constitution d’une subjectivité ou de subjectivation. Ce ne sont pas des idéologies qui masquent un code, ni la rationalisation d’un code. C’est « la définition des conditions auxquelles on va pouvoir insérer en quelque sorte le bios, la subjectivité de l’individu, à l’intérieur d’un code. Ni idéologie, ni rationalisation : ce sont des procédures de subjectivation d’un code. »
En fait, pour Foucault, le rôle de ces arts de conduire sa vie est de prescrire les procédures de transformation du sujet lui-même, procédures de transformation qui doivent lui permettre d’habiter le code, de la pratiquer, de l’accepter. Cette modification du rapport de soi à soi est modification de la manière dont on se constitue comme sujet et c’est ce qui permet de se conduire selon un code et d’après des valeurs qui, en fait, ne sont pas compatibles entre eux.
Ces codes, remarquent Foucault, proposent trois grandes lignes d’élaboration et de transformation du sujet. D’abord la définition d’une césure dans le rapport de l’individu à son identité sexuelle c’est-à-dire la définition de deux modalités du rapport de l’individu à son propre sexe : rapport avec la femme, rapport avec le monde. La double signification de l’identité sexuelle est établie par les nouveaux aphrodisia : « être un homme, c’est avoir le statut d’homme dans le champ social, mais ça n’implique pas l’existence d’un activité et le droit à une activité sexuelle. C’est simplement à l’intérieur du mariage que le statut d’homme prendra, premièrement et primitivement, le sens de l’activité sexuelle dont découlera, à l’intérieur de ce même mariage, le statut d’homme. » . Ensuite, la constitution des aphrodisia, des plaisirs du sexe, comme objet privilégié du rapport de soi à soi, apparaît sous la forme du désir. C’est le rapport de maîtrise de soi sur soi qui devient fondamental (je me maîtrise, si je peux effectivement être fidèle à ma femme) et fondateur des rapports de maîtrise qu’un individu doit exercer sur un autre. C’est en étant maître de soi qu’on peut être maître de l’autre. Enfin se dessine l’exigence de constitution d’un domaine affectif connexe au plaisir sexuel. Il est nécessaire et suffisant d’imposer une mesure au plaisir. Il faut substituer au plaisir dans les aphrodisia conjugaux un autre type de sensation : bienveillance, complaisance, reconnaissance, ce qui revient à concevoir un ensemble de mouvements de l’âme qui ne sont plus pris dans le schéma simple désir/plaisir, mais qui s’intègrent dans ce type d’expérience nouvelle : l’eros matrimonial.
La question qui se pose est alors : pourquoi faudrait-il que l’on ajuste un modèle de comportement à un système de valorisation ? Quelle est la nécessité qui rend obligatoire leur ajustement ? Reprenant des analyses de Paul Veyne, Foucault montre comment le contexte historique rend cet ajustement indispensable. L’aristocratie doit, dans le contexte de l’époque, accepter ce modèle de comportement adopté par les nouvelles couches sociales venues d’en bas, de la province. Le mariage va alors lui aussi changer, mais va demeurer le lieu où on peut faire valoir et conserver les vieux principes de valorisation qui ne peuvent plus régler le reste du comportement. Pour cela, il faut que le principe de corrélation entre le social et le sexuel se réorganise entièrement autour du rapport entre mari et femme, vie privée, vie publique, le couple se situant au point charnière entre une relation duelle, intense et personnelle et une vie sociale, et il faut aussi que le principe d’activité apparaisse comme un principe de contrôle de soi - ce qu’expose ainsi Foucault : « C’est ainsi que ces nouveaux arts de vivre, véhiculés – ou plutôt : formulés, élaborés – par des philosophes à partir d’un comportement réel et qui se répand effectivement, trouvent leur raison d’être dans le fait qu’ils sont adressés à une couche bien particulière de la population, qui était cette aristocratie qui ne subsistait que dans la conscience de soi, dans la reconnaissance qu’elle avait d’elle-même à condition que son vieux système de valeurs soit effectivement maintenu et qu’elle puisse effectivement juger, jauger ses propres comportements à partir de lui, même si désormais il ne peut plus s’appliquer au champ social, au champ des différenciations politico-sociales auquel, jusqu’alors, il était appliqué. Ce système de valorisation doit effectivement être mis en œuvre à l’intérieur du mariage et du mariage seulement, à la condition bien entendu – c’était cela qui était nécessaire – qu’il y ait toute une réorganisation du rapport de soi à soi. Le discours philosophique proposait, véhiculait des techniques, présentées effectivement comme telles, précisément pour pouvoir vivre, pour pouvoir accepter les modes de comportement proposés et imposés de l’extérieur, technique qui les rendaient littéralement viables. »
Désir et subjectivité : de l’acte à l’intention
Pour terminer son cours annuel, Foucault expose le rôle crucial de l’intention dans les réflexions sur le devenir soi. Le thème du contrôle sur soi est surtout étudié par rapport à la colère, et c’est au IV-Ve siècle qu’il sera mis en rapport avec la sexualité. Que faut-il connaître/maîtriser/objectiver dans ces aphrodisia ? C’est le désir, epithumia, qui fait que moi, sans cesse, comme sujet d’activité sexuelle, je suis tenté de, porté à faire déborder mon activité sexuelle sur mon statut d’individu doté d’un sexe. C’est ce désir que je dois maîtriser et connaître pour m’assurer que je vais pouvoir établir et maintenir la césure nécessaire au rapport que j’ai à mon propre sexe ? Chez Platon, l’epithumia est une instance de mon âme par rapport à laquelle je suis passif. Que l’epithumia devienne la forme par excellence de la manifestation en moi du principe même de l’activité sexuelle, c’est quelque chose de nouveau et de caractéristique de ces technologies du soi qui se développent à partir des Ier et IIe siècle. Ce n’est plus l’acte qui est important, c’est, avant lui, le désir.
Dans le christianisme primitif, l’élément fondamental est le désir, et c’est sur lui qu’il faut faire porter tout l’effort, s’il est saisi dès sa racine ou son apparition. Concupiscence et tentation. « Il serait sans doute tout à fait imprudent de vouloir faire une histoire de la sexualité qui aurait pour fil conducteur la question : comment et dans quelles conditions le désir a-t-il été réprimé ? Il faut montrer au contraire comment le désir, loin d’avoir été réprimé, est un quelque chose qui été petit à petit extrait et a émergé d’une économie des plaisirs et des corps, comment il en a été effectivement extrait, comment et de quelle façon, autour et à propos de lui, se sont cristallisées toutes les opérations et toutes les valeurs positives ou négatives concernant le sexe (…) Le désir, c’est bien effectivement ce que j’appellerais le transcendantal historique à partir duquel on peut et on doit penser l’histoire de la sexualité. Emergence donc du désir comme principe de subjectivation/objectivation des actes sexuels »