Après deux premiers grands classiques "Au bord de l’eau" et "Les Trois royaumes" et avant "Le rêve du pavillon rouge", les éditions Fei viennent de publier le plus attrayant et envoûtant des lianhuanhua, tiré du roman du même nom : "Voyage vers l’Ouest".

Les Editions Fei s’attellent depuis plusieurs années à faire connaître les classiques de la culture chinoise en éditant notamment des lianhuanhua, des dessins entre les estampes et la bande dessinée imprimés sous forme de volumes de format 13 × 9 cm, chaque page contenant une gravure légendée. Les 36 volumes de Voyage vers l'Ouest sont rangés dans un coffret de couleur orange, ce qui en fait un très bel objet avant d’être un livre. L’ouvrage est accompagné d’un livret de présentation réalisé par l’un des meilleurs spécialistes de la littérature chinoise, Vincent Durand-Dastès, et d’une carte des principaux lieux traversés par le héros et ses compagnons.

Cet ouvrage mythique demeure une source d’inspiration inépuisable en Chine et ailleurs. Elle va du dessin animé comme Le Roi des singes réalisé par les studios de Shanghai en 1965 jusqu’aux récentes séries de manga comme Dragon Ball ou Naruto en passant par des classiques du rock alternatif, comme « Roi des Singes » du groupe Molodoï ou très récemment l’adaptation de Frédérick Tristan, Le Singe égal du ciel. Voyage vers l’Ouest, qui rassemble dans sa traduction française deux volumes de la Pléiade, relate la vie et l’expérience d’un voyage initiatique d’un petit groupe empruntant un itinéraire - de la Chine vers l’Inde - censé représenter la route de la sagesse. Mao a utilisé la première partie - consacrée à la révolte contre les pouvoirs constitués - au début de la révolution culturelle, avant de la considérer comme un symbole de la subversion et de la faire interdire.

Le roman retrace la vie du singe défiant les dieux jusqu’à sa défaite contre les puissances et sa punition par Bouddha. Ce cheminement se fonde sur l’histoire de Xuan Zang, un moine bouddhiste ayant réellement existé au VIIe siècle, et qui a inspiré au XVIe un conte fantastique écrit par Wu Cheng'en, sorte d’Homère chinois célèbre pour avoir synthétisé tous les récits mythologiques existants autour du personnage alors que d’autres lettrés chinois produisaient en deux siècles les œuvres majeures de cette littérature (Au bord de l’eau, Les trois royaumes, Le rêve du pavillon rouge).

Le récit, comme le lianhuanhua, se dévore presque d’une traite. Chaque chapitre constitue un tout avec une unité dans chaque récit. Dans le présent récit, les arrêts sur image de l’ouvrage font parfois regretter l’animation du dessin animé ou l’imagination de l’écrit. En même temps, l’aspect figé des personnages donne l’impression qu’ils sont prêts à surgir hors du dessin. De magnifiques combats peuvent faire penser à Tigre et Dragon d’Ang Lee, le singe se montrant ironique un peu à la manière de Jackie Chan dans la Danse du lion. Les scènes martiales du livre et du lianhuanhua constituent des références et des morceaux d’anthologie.

Sur les trente-six volumes qui constituent l’ensemble, les cinq premiers livres sont les plus connus. Le singe défie les dieux et devient un temps l’égal du ciel, mais vaincu, il doit faire pénitence, accompagner et protéger le moine Xuan Zang, qui prend le surnom de Tripitaka, dans sa quête du livre de la sagesse bouddhique. Ils sont rejoints dans cette recherche par Wuneng, dit aussi Zhu Bajie, le cochon condamné à errer, Shaseng, dit Wujing, un général en disgrâce et enfin Ao Guang, un dragon prenant une forme humaine et calmant ses compagnons de voyage aux ardeurs belliqueuses. Le héros, qui éprouve des difficultés à se canaliser, se voit imposer un anneau de constriction qui provoque de violentes douleurs frontales. Les aventures prennent une forme proche des récits de chevalerie dans une quête éperdue pour la vérité où se mêlent le fantastique, l’invraisemblable et le comique. Les héros, protégés par la grande sage, Guan Yin, affrontent des personnages aussi féériques qu’effrayants, existant pour faire échouer les aventuriers. On hésite alors entre l’idéalisme de Don Quichotte et le picaresque de D’Artagnan, les récits mythologiques et les contes fantastiques : comme dans toutes ces histoires, la mission prométhéenne est ici fondatrice. Chaque aventure constitue un conte à valeur morale, qui doit permettre de parfaire la connaissance de soi et de façonner la recherche intérieure.

Cette histoire haletante et passionnante explique pourquoi Voyage vers l’Ouest a généré tant d’adaptations dont ce lianhuanhua est sans nul doute l’une des plus abouties.