Grâce à une étude approfondie de l’œuvre de Zola et des découvertes médicales, psychologiques, mais aussi des théories physionomistes contemporaines au romancier, Sophie Ménard s’attache à montrer la place prépondérante de l’aveu et du tout dire dans l’œuvre zolienne.

Dans Émile Zola et les aveux du corps, Sophie Ménard se donne pour but d’étudier le tout dire dont se réclame le romancier naturaliste. À travers les figures emblématiques de l’hystérique, de la dévote, du fou et du criminel, elle étudie l’aveu sous toutes ses formes, en montrant que celui-ci est très présent dans l’œuvre de l’auteur, en particulier lorsqu’il s’exprime à l’insu de ces personnages, faisant d’eux des « bêtes d’aveu ».

L’étude est très bien documentée. Les nombreuses références littéraires, d’une part, mais surtout scientifiques, d’autre part, la situent dans un contexte scientifique et social dont l’importance est capitale pour bien comprendre les tenants et aboutissants de l’œuvre naturaliste.

Émile Zola et son œuvre ont été l’objet de nombreuses critiques, l’auteur étant notamment accusé de laisser une place trop importante au corps et à l’instinct, à la noirceur, aux « ordures ». On lui reproche également ses obsessions bestiales, ses penchants littéraires pornographes et scatologiques. En réalité, on ne peut nier que l’œuvre de Zola se caractérise par une mise à nu des vices, de la perversion, de la maladie, par un style cru qui reproduit fidèlement la réalité dans sa plus sombre version. L’auteur de cette étude s’attache à montrer que la littérature de Zola est surtout une littérature de la révélation. Zola s’intéresse peu au mystère et aux énigmes, son projet est de tout dire, de ne rien cacher. Pour cela, les personnages seraient des pions de son projet, qui se dévoileraient le plus souvent à leur insu. L’étude va prouver que tout comme dans la psychanalyse, il faut parfois observer le corps et son mouvement pour découvrir l’âme humaine.

Dans la première partie du livre, l’auteur s’intéresse à deux expressions particulières de l’aveu : la confession religieuse et les symptômes de l’hystérique. Pour Zola, l’expérience confessionnelle, loin d’éloigner et de condamner les péchés, les met en avant. Les manuels à visée éducative que l’on fait lire aux séminaristes, par l’aveu des faiblesses et des travers érotiques, se donnent pour but d’aider les prêtres à recueillir la confession. Mais cette science de la sexualité pervertit les prêtres et fait entrer le souci du détail sexuel dans le confessionnal. Sophie Ménard démontre que, pour Zola, la confession, qui se voulait acte de purification, devient un rite dénaturé, portant presque toujours une dimension érotique. L’aveu, en ce qu’il oblige à répéter par des paroles le péché prolonge le plaisir coupable. Certaines femmes tirent une jouissance dans la confession, dans l’aveu de l’acte illicite à une oreille masculine attentive. Comme on le voit, Zola lie la religion à la sexualité, en particulier à l’éveil sexuel. Ainsi, la fille devient femme lors de sa communion, qui a lieu à l’âge des premières menstruations. Zola dénonce également la volonté de l’Église de vouloir garder les désirs inavoués des femmes endormis et de brider les instincts sexuels. Cela échoue de toute façon car le corps dit le caché.

L’autre figure étudiée est celle de l’hystérique qui est très présente dans l’œuvre zolienne. La première est Adélaïde Fouque qui annonce d’autres cas dans l’arbre généalogique. Les symptômes de l’hystérie sont le signe de désirs refoulés. Zola va se baser sur des écrits de son époque, ceux de Charcot et de Briquet. L’hystérie est vue comme une défaillance dans l’identité sexuelle. L’auteur démontre que l’hystérie des personnages de Zola apparaît dans des formes de désaveu de la société, dans un rejet du rôle d’épouse, de mère. L’aveu défendu fait souffrir et fait perdre le contrôle à l’hystérique qui n’est plus maîtresse d’elle-même. C’est seulement quand la parole arrive pour dire l’aveu que le personnage retrouve sa lucidité.

Dans la seconde partie de l’étude, l’auteur s’attarde sur le corps observé par l’écrivain naturaliste : un corps parlant, un corps-aveu. Le visage, notamment, est porteur de signes. Les marques physiques révèlent en premier lieu les effets du lignage héréditaire. La coloration ou au contraire le blêmissement sont quant à eux des signes parlants et facilement déchiffrables. L’auteur, loin de se limiter à ces signes évidents de trahison de la pensée par le corps, démontre également que le corps vient parfois contredire la parole. On pense alors au menteur qui rougit. La coloration devient alors aveu de culpabilité.

Zola utilise les descriptions physiques pour établir divers aspects de ses personnages : leur hérédité, leur personnalité, mais aussi leurs désirs parfois cachés. À travers de nombreux exemples puisés dans l’ensemble de l’œuvre de l’auteur naturaliste, Sophie Ménard prouve que le corps zolien, par des attitudes, des tics, des positions, permet d’exprimer l’indicible. Les aveux muets du corps sont des moments où la vérité éclate enfin. Pour Zola, c’est également un moyen d’affirmer un concept naturaliste, la « toute-puissance du sang qui marque les chairs ». Le roman naturaliste privilégie en effet la description des instincts et des pulsions au détriment des phénomènes de l’âme et de la pensée. Même s’il accorde beaucoup d’importance à la vérité scientifique, Zola s’en écarte en défigurant ses personnages et en détruisant le système de mesures géométriques de l’anatomie. Les corps ne sont alors plus vecteurs d’aveux.

De toute évidence, Zola s’attache avant tout à montrer la complexité de ses personnages et, partant, la complexité des hommes. Pour cela, il travaille ses descriptions physiques en deux temps : « les attributs permanents de la structure solide et les traces fugitives de la matière mobile du visage ». Les visages, loin d’être harmonieux, sont divisés pour témoigner de la difficulté, voire de l’impossibilité, d’une classification par la physionomie. Cette science, développée par Lavater au début du siècle, se donne pour but de déchiffrer à partir de la lecture des traits du visage le caractère des hommes. Par cette théorie, il serait possible de distinguer le criminel, le marginal, le délinquant. D’autres sciences comme la phrénologie (méthode de diagnostic par l’observation de la forme du crâne) et l’anthropométrie (ensemble des techniques de mesure de l’organisme humain), développées à la même époque, se donnent les mêmes objectifs. D’après ces sciences, le corps serait marqué d’une fatalité. L’auteur de l’étude s’attarde un instant sur le roman La Bête humaine, dans lequel Zola, qui s’est nourri de ces théories précitées, va à leur encontre. Le vrai criminel de son roman, Jacques Lantier, a une apparence normale. Son corps n’avoue rien. L’enquêteur, représentant des institutions, est la victime de toutes ces théories et trouve un coupable en se laissant tromper par des signes corporels et physionomiques. Le corps peut parfois être trompeur. Le criminel ne porte pas forcément sur le visage la marque de ses crimes. L’erreur de jugement de Denizet remet en question la lecture morphologique du corps criminel. Et, dans le même temps, elle remet en question la technique d’investigation positiviste. Sophie Ménard montre que Zola refuse des théories qui voudraient faire de l’homme un individu théorique au caractère déterminé. Pour cela, il joue sur les détails qui se dérobent et qui sèment le doute. Dans le même temps, Zola avance la suprématie de l’écrivain naturaliste qui, seul, sait lire les indices corporels et les analyser dans leur ensemble.

L’auteur s’attarde également sur le roman Germinal pour montrer un autre aspect du corps et une nouvelle forme d’aveu. Dans ce roman, le champ lexical de la bête, de l’animal, envahit les descriptions des mineurs. Zola file alors la métaphore de la déshumanisation des ouvriers. Il décrit les corps blessés, abîmés, défigurés par le travail. Le corps est souvent réduit à l’échine cassée, comme l’image d’une soumission, d’une résignation. Avec cet exemple, l’auteur de l’étude démontre que, pour Zola, l’acquis peut altérer l’inné. Aux sciences de la physiognomonie, il superpose l’idée d’un corps en mouvement, transformé par l’influence du milieu, du travail, parfois même, de l’émotion.

Dans la troisième partie, l’auteur de l’étude s’attarde sur l’aliénation des individus et l’aveu malgré soi. Zola s’inspire des théories médicales de son époque. Il a notamment été très influencé par la Physiologie des passions de Charles Letourneau dans lequel sont étudiés les phénomènes du désir et de la volonté. Fort de ces influences, le romancier s’attache à dévoiler les « plaies intérieures du corps humain », à disséquer les âmes. Zola pense que l’esprit est assujetti à la matière et accorde une très grande importance à l’instinct. Il fonde son œuvre sur l’idée que les pulsions prennent le pas sur la maîtrise des personnages.

L’aveu est, par définition, la révélation d’une faute, la reconnaissance d’une responsabilité. La religion et la justice y voient une prise de responsabilité, alors que Zola y voit l’expression de la voix d’un autre, à l’intérieur de soi-même. Le passage de la pensée à la parole dans le roman zolien est souvent lié à un acte pathologique, qui intervient lorsque le personnage sort hors de lui-même. Les scènes d’aveu sont d’ailleurs souvent accompagnées de brutalité. Le surgissement du secret est violent.

Dans la quatrième partie du livre, l’auteur s’attache au métatexte (la réception, la critique). Au XIXe siècle, l’homme de lettres devient un objet d’études pour la médecine, parce qu’on s’interroge notamment sur la figure du génie. L’œuvre est étudiée dans ses rapports avec son auteur, à la manière d’un portrait médico-psychologique. Après les investigations de Lassater et Saint-Paul, le docteur Toulouse entreprend à son tour une étude sur des individus ayant prouvé une capacité intellectuelle et créatrice exceptionnelle. Zola se livre alors à toute sorte d’analyse : empreinte digitale, examen psychiatrique, analyse d’urine, audition, etc. Toulouse veut notamment révéler ce que le corps peut avouer sur l’auteur. Là encore un diagnostic tombe : Zola a un système nerveux « hypersthésié », rempli de pensées morbides, d’obsessions, d’impulsions. L’enquête ne révèle finalement pas grand-chose de plus que ce l’on connaissait déjà de l’auteur naturaliste, à l’époque très médiatisé. On pourrait déceler plus d’aveux ne serait-ce que dans les dossiers préparatoires de Zola, puisque l’auteur a puisé dans ses souvenirs pour construire certains personnages.

L’enquête de Toulouse entraînera une forte polémique. Le fait que Zola lui-même faisait déjà polémique à cette époque n’y est pas étranger. On reproche également à l’étude de ne pas tout dire, d’une part, parce que le médecin a une certaine retenue née de sa fonction, d’autre part, parce que Zola participe à l’ouvrage par des avant-propos et une préface qui viennent contredire l’objectivité de l’analyse et, enfin, car certains sujets sont tus. L’étude semble être un échec dans son rôle de révélateur. Tout n’est pas dit. Les analyses ne parviennent pas à dire les fantasmes, les désirs du romancier. Toulouse est également accusé d’avoir dirigé son sujet pour qu’il réponde à ses attentes. L’étude scientifique et le « travail de polissage » empêchent l’aveu de l’intimité de l’écrivain. Au départ, Toulouse s’est attaché uniquement au sujet en refusant d’analyser ses œuvres contrairement à Lombroso pour qui les œuvres en disent souvent plus sur l’auteur. Finalement Toulouse changera d’avis et étudiera également l’œuvre pour comprendre l’auteur. C’est également l’angle d’étude de Max Nordau qui va, quant à lui, s’attaquer à l’œuvre et à la dépravation de l’auteur. Selon lui, dans les romans, on décèle la déliquescence de l’auteur et ses perversions.

Au XIXe siècle, la critique littéraire est analysée sous un angle médical, depuis Sainte-Beuve qui interprète l’œuvre au regard de l’analyse psychologique de l’auteur. Zola est en accord avec cette pensée. Pour lui, la critique par l’autopsie de l’œuvre révèle les signes distinctifs de la personnalité de l’auteur. Encore une fois, il apprécie la métaphore de la dissection : le critique avec son scalpel fouille l’œuvre, le style, le rythme narratif, les constructions pour saisir l’intime. Selon le critique Deschanel, dont Zola s’inspire également, les facteurs environnementaux, somatiques, psychologiques marquent l’œuvre et sont des empreintes laissées dans l’œuvre par l’auteur. Le critique naturaliste avec son scalpel conçoit l’œuvre comme le prolongement corporel de l’artiste. L’œuvre est aveu. Dans ses critiques, notamment dans ses portraits de Stendhal et Flaubert, Zola se confesse. Il avoue ses penchants, ses malaises, ses impressions. L’« anatomie littéraire » de Zola devient un regard sur soi, une analyse de sa propre personnalité.

En conclusion, l’auteur de l’étude définit le personnage zolien comme une « bête d’aveu » puisqu’il est hanté et torturé par un autre qui le pousse à révéler ses secrets et désirs les plus intimes. Les personnages zoliens sont marqués par deux retours, retour du passé, par l’hérédité ‒ l’homme porte la marque de ceux qui l’ont précédé ‒ et retour du passé personnel, des actes coupables, des fautes. C’est ce refoulé (du passé propre et de l’hérédité) qui cherche à se dire à travers les aveux du corps. Mais l’aveu chez Zola n’est pas uniquement l’acte de parole qui reconnaît une responsabilité. Il est une volonté naturaliste du « tout dire », il est un acte scientifique et corporel et il est enfin un acte érotique lorsqu’il dit l’interdit et prend du plaisir à cet énoncé. De manière assez surprenante de la part de l’écrivain naturaliste attaché à la vérité scientifique, c’est le plus souvent la folie qui est productrice d’aveu. L’auteur de l’étude a montré l’importance dans l’œuvre zolienne de l’aveu malgré soi. Cet aveu incontrôlé ne touche pas que les personnages mais également l’auteur lui-même qui se dévoile à travers ses créations mais aussi ses critiques littéraires.

L’aveu traverse l’œuvre car il est symbole du naturalisme par la volonté de dévoiler le refoulé, l’inconscient. Mais Zola met également en scène des lectures défaillantes, comme l’inspecteur qui se trompe de coupable dans La Bête Humaine, le docteur qui interne un homme sain… Il veut montrer la suprématie du romancier naturaliste sur les institutions et prouver la complexité du marginal (criminel, hystérique) qui échappe aux classifications. Le roman zolien se base certes sur le savoir positiviste de l’époque mais dit aussi ce qui échappe à la raison.

L’auteur aborde dans ce livre de nombreux aspects présents dans l’œuvre de Zola, quitte à s’éloigner parfois du sujet de départ. Tous ces aspects demeurent très intéressants et permettent aux non-initiés de saisir l’œuvre de l’auteur dans toute sa complexité. En refermant cette étude, le lecteur ressentira certainement l’envie de se replonger dans les romans de Zola, à la lumière de ces nouveaux éclairages, et sera même peut-être amené à consulter la riche bibliographie pour continuer cette étude en empruntant la voix qu’il désirera : littéraire, scientifique, sociale