Après avoir animé le Théâtre Gérard Philipe durant le mois d'octobre 2014, la pièce de Ferenc Molnár mise en scène par Jean Bellorini s'installe dès aujourd'hui, et jusqu’au 28 juin, aux Ateliers Berthier (Paris 17e) de l’Odéon-Théâtre de l'Europe. L’occasion de redécouvrir la critique de cette œuvre publiée en octobre sur Nonfiction.fr.

André Zavoczki, alias Liliom, est résolument un vaurien. Bonimenteur professionnel dans les fêtes foraines, il séduit toutes les femmes qu’il croise. Jusqu’à ce qu’un jour, il rencontre Julie. Pour elle, Liliom démissionne et cesse ainsi de flirter. Pourtant, si Liliom a du bagout pour charmer la gent féminine, il n’a pas les mots pour dire son amour à Julie. Peu à peu cette absence va se muer en coups qu’il porte sur celle qu’il aime.
Financièrement, la vie devient de plus en plus rude pour le jeune couple car Julie a elle aussi laissé son travail d’employée de maison. Puis, Julie tombe enceinte et le besoin d’argent devient plus impérieux. Aussi, avec Dandy, son ami débauché, Liliom prépare un gros coup : attaquer l’employé de l’usine voisine qui est chargé d’amener les paies des ouvriers. Tout semble bien réglé. Cependant, l’attaque tourne mal. L’employé est armé et menace d’appeler les gendarmes. Désespéré, Liliom décide alors de se suicider…
Mais Liliom est une fable. La suite de la pièce se déroule donc au purgatoire où s’enchaînent des scènes tragi-comiques. Liliom est sommé de s’expliquer quant à son geste fatal et tenu d’avoir du remords puisqu’il laisse sa femme et sa fille dans le besoin. Pourtant l’accusé n’en démord pas et la sentence tombe : dans seize ans, il reviendra sur Terre pour accomplir une bonne action vis-à-vis de sa femme et de sa fille et racheter ainsi sa vie de vaurien.
Seize ans plus tard, il se présente donc devant sa femme et sa fille qui, magie de la fable et du théâtre, ne le reconnaissent pas. Liliom insiste pour savoir ce que sa fille sait de lui. Et l’image idéalisée du père qu’elle lui dépeint le met hors de lui. A tel point qu’il finit par la gifler. Une gifle tellement forte mais qui ne fait pas mal, comme celles que Julie recevait.

La mise en scène est spectaculaire. Dès le parvis du Théâtre Gérard Philipe, le spectateur est plongé dans l’ambiance des fêtes foraines : depuis les canons de bulles à l’entrée, en passant par le stand de barbapapa et le passe-têtes dans le hall, tout est fait pour immerger le public dans l’ambiance des foires d’antan.
Sur scène, le décor donne des étoiles plein les yeux et époustoufle avec sa grande roue qui tourne au fond de la scène, son stand d’auto-tamponneuses à l’éclairage multicolore sur l’avant-scène et les roulottes des forains à cour et à jardin.
Dans cette mise en scène, comme à son habitude, Jean Bellorini mêle avec bonheur musique et théâtre. La pièce se découpe en sept tableaux entre lesquels prennent place des intermèdes musicaux très réussis avec une mention spéciale pour le solo de Lidwine de Royer Dupré au chant et à la harpe.
Comme pour neutraliser cette mise en scène grandiose, Jean Bellorini propose aussi des passages où les comédiens, dépourvus d’objets scéniques, se lancent dans le mime, ce qui renforce encore cette plongée dans le monde forain.
Malgré quelques longueurs, notamment durant la scène du purgatoire, la puissance d’envoûtement de cette fable tragi-comique opère parfaitement, emmenée par des acteurs pêchus qui, malgré des dialogues souvent très crus, ne tombent jamais dans la vulgarité. Car c’est d’ailleurs que vient le malaise ; c’est en un autre lieu que la pièce interroge, précisément à l’endroit où la pièce s’achève, sur cette gifle qui renoue le cercle de la violence. Ecrite il y a un peu plus d’un siècle par l’auteur hongrois Ferenc Molnar, cette justification de la violence domestique, mal qui gangrène toujours notre société, ne peut qu’interpeller et infuser un goût amer dans l’expérience de l’enchantement