Un colloque révélateur des blocages profonds devant la question de la circoncision rituelle.

Depuis qu’un tribunal allemand a condamné la pratique de la circoncision rituelle de mineurs sans indication médicale, en mai 2012, un débat est né dans de très nombreux pays, avec des modalités bien distinctes selon les histoires nationales, les cultures et les religions. C’est la recommandation du Conseil de l’Europe considérant la circoncision comme une des « violations médicalement non justifiées de l’intégrité physique des enfants », adoptée en octobre 2013, qui a amené la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) à organiser conjointement avec l’Association des Juifs libéraux de Toulouse un colloque prétendant mettre la circoncision « en question ». Hélas, la lecture des actes de ce colloque ne fait que confirmer combien il est délicat d’aborder de façon rationnelle ce qui relève pour certains individus du sacré.
 

Mission impossible

Aïcha Maherzi, pourtant présentée comme « enseignant chercheur en éducation comparée et anthropologie culturelle » à l’université de Toulouse, assène par exemple, en ouverture de son intervention : « Ne pas respecter ses prières, ne pas jeûner, c’est une affaire entre l’individu et Dieu. Mais ne pas faire circoncire ses enfants mâles, c’est comme commettre un mauvais acte [sic] envers sa progéniture masculine, envers la société et envers Dieu Lui-même. »   Comment répondre à de telles assertions, aussi dogmatiques ? Il serait bien entendu aisé de discuter de la forme (en l’occurrence on critiquerait la pauvreté de l’expression), mais comment débattre du fond ? Mme Maherzi énonce ensuite deux contre-vérités, expliquant qu’il s’agit d’un « bienfait pour la santé de l’enfant »   , qu’aux États-Unis elle est « pratiquée au nom de l’hygiène »   et que finalement « c’est plutôt la non-circoncision qui serait vécue comme une castration et comme un refus de la part de ce même père [dont l’enfant doit se rapprocher] ».  Connaît-elle seulement le livre de Sami Aldeeb Abu-Sahlieh, Circoncision - Le complot du silence   , qui montre clairement combien la circoncision constitue une « violation flagrante de l’intégrité physique que rien ne justifie » (au même titre selon l’auteur que la circoncision féminine) ?

Déjà dans son introduction, la coordinatrice de l’ouvrage, Monique Lise Cohen, ose un renversement inadmissible des perspectives, estimant qu’il y a des « raisons » médicales et hygiéniques en faveur de la circoncision, opposées à « la passion anti-circoncision »   . La passion, voire la ferveur, n’est-elle pas plutôt du côté de ceux qui mutilent leurs enfants au nom d’un dieu ?
 

L'aspect médical en six pages

La seule contribution acceptable pour le lecteur rationaliste est celle de Patrick Laskar, médecin et président de la communauté libérale toulousaine, qui présente sur quelques pages une « approche rituelle et médicale » de la circoncision. Il rappelle que « les raisons [de circoncire] étaient hygiéniques et prophylactiques », pour empêcher la masturbation   . Il mentionne d’ailleurs Maïmonide, grand rabbin, médecin et philosophe du XIIème siècle qui expliquait qu’il fallait circoncire pour réduire le plaisir sexuel de l’homme. Courageusement, P. Laskar explique également à l’intention de ses coreligionnaires « [qu’]il ne faut pas nier le stress psychologique et la douleur y compris chez le nouveau-né (…) L’idée que le nourrisson ne ressent pas la douleur est erronée »   . Il va jusqu’à rappeler que selon le congrès d’urologie française, pour les seules circoncisions en milieu médical, il y aurait un taux de « 0,4 à 2 % de complications immédiates ou tardives »   . Notons ici qu’une récente étude danoise, longitudinale, fait état d’un taux de 5,1 %   .

Les thuriféraires de la circoncision des nouveau-nés invoquant par ailleurs ses vertus préventives face au risque du sida – argument consacré par les campagnes de l’OMS et de l’ONUSIDA recommandant la circoncision en Afrique subsaharienne –, l’auteur aurait pu rappeler que le préservatif demeure le meilleur moyen de lutter contre la propagation du VIH et surtout, qu’aucune instance internationale ne préconise la circoncision des mineurs ! Quand bien même la circoncision serait efficace contre le sida (comme l’est d’ailleurs la castration, avec une efficacité exemplaire), les bébés n’ayant pas de vie sexuelle, ils seraient à même à 16 ou 18 ans de prendre les décisions les concernant.
 

Retour sur un débat dépassé : « Nature et culture »

La coordinatrice de ce livre explique que critiquer la circoncision forcée des enfants serait se prononcer en faveur d’un « homme naturel, hors tradition, sur lequel ne pèserait aucune charge parentale et sociale (…) dans l’ignorance de l’altérité humaine et divine »   . Un peu plus loin dans la contribution d’Arielle A. Naoun-Casero, on lit encore que la circoncision ferait partie de « l’éducation »   ou qu’il serait question, à travers cette mutilation (la posthectomie est le terme médical de la circoncision), d’une « transmission culturelle »   .

L’ensemble de l’ouvrage est marqué par une approche du passé aussi réactionnaire que dépassée, par exemple à travers cette lecture psychanalytique éculée de l’histoire de France : il faudrait être pour la circoncision forcée des mineurs « pour que la fraternité ne sombre pas dans le meurtre du Père (abolition de la paternité dans la Révolution française, meurtre du père, exécution du roi qui était le père de la nation) »   .
 

Le féminin et la négation de l’enfant comme personne

Le livre ne contient aucun croisement entre les contributions ni discussion, ce qui a pour conséquence de laisser se développer certains paradoxes. Dans l’approche musulmane, la circoncision viserait à faire quitter le monde féminin au petit garçon alors que pour les Juifs, au contraire, la circoncision serait « positivement favorable à la rencontre du féminin »   . Mme Lise Cohen craint « qu’en l’absence de circoncision le prépuce se remette autour du gland, et que la sexualité masculine devienne comme une masturbation »   . Les lecteurs se demanderont peut-être au nom de quoi les psychoses d’une « docteur en lettres, philosophe, écrivain » (telle qu’elle se présente) puissent justifier l’amputation du prépuce chez les enfants !

La directrice de l’ouvrage en profite pour glisser à la même page que « la circoncision est favorable à la sexualité féminine, alors que l’excision est une mutilation qui handicape la vie sexuelle féminine ». La comparaison mérite toutefois d’être étudiée : si l’excision a généralement des conséquences plus désastreuses, il s’agit dans les deux cas d’amputations totales ou partielles d’un organe sain situé dans les parties génitales, réalisées sur des enfants, sans consentement, éliminant des tissus érogènes, supposées être bénéfiques pour l’enfant, recommandées par des religions, justifiées par des soucis de conformité sociale et de tradition, extrêmement douloureuses et pouvant causer la mort.

Les religions animistes qui exigent l’excision seraient-elle de moindre valeur, sur le plan moral, que les deux monothéismes que sont l’islam et le judaïsme ? La condamnation (bien justifiée d’un point de vue humaniste) de l’excision devrait tout naturellement avoir pour corollaire l’interdiction de la circoncision sur mineur. C’est même sur les arguments contre l’excision que l’on pourrait s’étendre pour répondre à Mme Maherzi qui écrit : « N’importe comment, la pratique de la circoncision est tellement ancrée dans l’inconscient collectif musulman qu’il est inenvisageable de s’en abstenir »   . Elle écrit aussi qu’une interdiction aura pour conséquence que « cela se fera de façon clandestine », précisément ce que les défenseurs de l’excision expliquaient pour défendre cette pratique barbare.
 

Sciences, religion et ésotérisme

A l’exception de l’intervention du médecin, à aucun moment les auteurs ne se placent du point de vue du premier concerné, l’enfant mutilé. On trouve des propos complètement fantaisistes pour toute personne ayant acquis de vagues notions de médecine, comme, dès l’introduction : « ce n’est qu’au bout de huit jours que le niveau des facteurs de coagulation et sa capacité de mettre fin à un saignement devient satisfaisant »   . A plusieurs reprises, « l’hygiène » intervient de façon incantatoire pour justifier la circoncision, il est question « d’ordre hygiénique »   sans qu’aucune étude ne soit citée.

Lorsqu’il est question de la circoncision du cœur, des lèvres et des oreilles, au sens figuré dans les textes dits sacrés, de longues exégèses intéresseront peut-être les amateurs d’interprétations philologiques bibliques, mais a priori, apprendre que « L’incirconcision du cœur est l’équivalent d’infidélité à l’alliance et de péché »   ne devrait pas troubler trop de lecteurs.

Cette exégèse donne lieu parfois à des envolées où le lyrisme le dispute à l’ésotérisme, et Alphonse Sidi N Goyi, supposé nous éclairer sur la circoncision rituelle en Afrique, assène ainsi que « Par l’ablation totale ou partielle du prépuce, donc la privation d’une partie de soi, le versement du liquide de la vie, l’individu impur devient pur, inapte [sic] devient apte à donner la vie, à perpétuer l’espèce humaine, à faire don d’une partie de son être pour permettre à la société d’acquérir une enveloppe qui peut abriter une énergie vitale »   .
 

Amaleq = Hitler = Staline

Bien entendu, toute personne qui s’opposerait à la circoncision forcée des mineurs serait un redoutable monstre. Dès les premières pages, Monique Lise Cohen prévient : « les recommandations du Conseil de l’Europe ressemblent aux arguments hitlériens : "amputation de l’être humain" selon le nazi, et "violation de l’intégrité physique des enfants" selon l’expression du Conseil de l’Europe »   . Plus loin, dans sa propre contribution, elle rappelle que l’empereur Hadrien (76-138) « assimila la circoncision à une castration. Et puis, dans notre époque contemporaine, il y eut Staline et Hitler. »   . Attila et Pol Pot ont eu de la chance de ne pas être convoqués ! Il y a en fait un nom pour l’auteur du mal absolu, « l’éradication » d’Israël : c’est « Amaleq ». Et devinez ce qui caractérise Amaleq… Oui, il est désigné comme « l’ennemi de la circoncision ». Huit pages plus loin, il est d’ailleurs rebaptisé « Amaleq/Hitler »   .

La seule question que l’on est en droit de se poser en reposant cet ouvrage est de savoir à quelles références nos sociétés doivent accorder la primauté : aux Droits de l’Homme ou aux textes dits sacrés ? Le fait que nous avons déjà renoncé à la lapidation des couples adultérins et à l’exécution des homosexuels, pourtant clairement imposées dans l’Ancien Testament ou le Coran, tend à laisser penser qu’il vaut mieux accorder la primauté aux Droits de l’Homme, dont découle directement le droit à l’intégrité physique des enfants et des nouveau-nés
 


A lire ailleurs sur internet :

Sur ce sujet, Jérôme Segal a déjà publié plusieurs points de vue, notamment dans Libération (15 septembre 2014), ainsi qu’une contribution dans un ouvrage de Matthias Franz, Die Beschneidung von Jungen. Ein trauriges Vermächtnis