Un ouvrage sur les relations sino-africaines qui tend au pamphlet et déconcerte par son manque d’unité.

Tidiane N’Diaye donne à son dernier livre le sous-titre d’« enquête historique », le situant ainsi entre le travail académique de l’historien et celui du journaliste. L’auteur y considère une longue plage historique – il remonte au XVe siècle –, il propose des documents en annexe, une bibliographie. Tout cela le rapproche de l’historien. Pourtant, on est plutôt tenté de voir dans son enquête sur les relations entre la Chine et le continent africain moins un discours de savoir qu’un discours doxologique. Il s’agit moins de fonder une vérité sur une démarche qui s’efforce à l’objectivité par une méthode rigoureuse que d’émettre une opinion, pour alerter le lecteur sur les relations sino-africaines. Le livre tient plus du pamphlet que du texte scientifique. En effet, le propos de Tidiane N’Diaye repose sur de nombreuses ruptures de raisonnements où vient se loger le regard très partisan de l’auteur.

Le premier chapitre porte sur les relations de la Chine ancienne avec l’Afrique, alors que l’Empire chinois se lançait dans une entreprise d’exploration maritime et cherchait à établir des rapports commerciaux avec l’Afrique, deux projets qu’un revirement des élites politiques a fini par faire avorter. Tidiane N’Diaye relate ici une histoire méconnue pour les contemporains. Mais l’orientation qu’il donne à son propos déroute un peu. D’une part, on peine à voir le lien entre les pratiques de castrations dans la Chine ancienne, auxquelles l’auteur consacre pourtant deux des vingt pages de ce premier chapitre, et les enjeux géographiques et économiques de la politique extérieure de la Chine impériale – à moins de retrouver là une question qui semble tarauder l’auteur du Génocide voilé. D’autre part, le chapitre se conclut sur l’idée que la Chine aurait pu avoir été plus prédatrice qu’elle ne l’a été lors de ce premier contact, si les choix politiques de ses élites avaient été différents. Derrière cette accusation de ce qui aurait pu être, on voit se dessiner le propos du texte : une accusation unilatérale de la politique chinoise actuelle en Afrique – un peu rapidement rattachée à cette époque ancienne.

Le deuxième chapitre revient sur la célèbre histoire de la colonisation européenne en Afrique. L’intérêt n’est plus tant, alors, dans le contenu informationnel du texte : on lit en effet résumés en une vingtaine de pages des éléments bien connus de l’histoire du continent. L’objectif de l’auteur n’est pas alors de réfléchir sur cette histoire, mais de montrer, à la fin du chapitre, que la condamnation de la colonisation européenne a permis à la Chine de prendre la place qu’elle occupe sur le continent africain, comme un partenaire neutre des États nés de la décolonisation. Le lien avec le premier chapitre – et avec le propos général du livre – se fait donc par inférence plutôt que dans une continuité logique. Les liens avec l’histoire ancienne de la Chine, d’une part, et avec la logique de domination coloniale, d’autre part, sont posés plutôt qu’ils ne sont démontrés.

Les chapitres suivants proposent des illustrations de l’idée d’un « deal non regardant » : les pays africains offriraient selon l’auteur plus à la Chine qu’ils n’en obtiennent. Tidiane N’Diaye condamne une attitude des dirigeants africains qui consiste à céder aux Chinois des marchés, d’une part, sans obtenir de contreparties et, d’autre part, sans mettre en place des mécanismes de protections économiques qui permettraient de mieux tirer parti des investissements chinois et de donner naissance à des instances de contrôle africaines. Ainsi, on voit se dessiner dans le livre une stratégie chinoise qui certes investit en Afrique, mais qui peu à peu dépossède les Africains de la maîtrise de leur économie.

L’auteur assimile, parfois timidement, parfois plus ouvertement, ce processus à une forme de colonisation – parallèle qui tient plus de la métaphore que de l’analyse logique. Car le problème dans la démonstration est qu’elle avance plus par associations d’idée, par juxtapositions, que par enchaînement rigoureux d’arguments.

Le livre oscille ainsi : parfois, il fait de la politique tiers-mondiste de Mao un mouvement précurseur de cette inscription de la Chine dans la vie politique et économique africaine ; en d’autres endroits, l’auteur lie l’hégémonie économique chinoise en Afrique à la libéralisation économique insufflée par Deng Xiaoping pour lequel il témoigne, malgré ses évidentes réticences vis-à-vis de la Chine, d’une certaine fascination.

Surtout, l’auteur fait se succéder des remarques portant sur les domaines très différents où cette hégémonie chinoise se fait sentir en Afrique. Il traite ainsi alternativement de la question des matières premières, de l’énergie, de l’absence d’exigence chinoise pour une bonne gouvernance des pays africains. La macroanalyse se mêle alors à la microanalyse, sans méthode apparente et de manière un peu confuse : les analyses portant sur les installations minières se fondent à des témoignages sur des comportements racistes de travailleurs chinois en Afrique.

À cette mise en question des investissements chinois répond une critique de sa politique commerciale en Afrique. L’auteur constate alors la piètre qualité des produits écoulés et la discrétion d’acteurs africains au sein des chaînes de distribution. Mais il mêle à ce propos une dénonciation de la contrefaçon, notamment dans le domaine pharmaceutique. Ce phénomène est effectivement terrible, mais on comprend mal sa spécificité et la manière dont on peut le penser par rapport aux autres circuits commerciaux, notamment dans le secteur textile, dont traite l’ouvrage.

Enfin, l’avant-dernier chapitre porte sur la prostitution. Nonobstant la relative indifférence dont semble témoigner Tidiane N’Diaye pour les Chinoises victimes de ces réseaux criminels et le côté racoleur de cette dizaine de pages, on peut s’interroger sur le bien-fondé de ce chapitre, qui met la prostitution sur le même plan que les processus politiques, économiques et commerciaux dont il a été question auparavant dans le livre.

Si Tidiane N’Diaye fait preuve tout au long du livre de cet art de la formule qui l’a rendu célèbre, il semble parfois confondre concision et raccourci de pensée. Le livre pose des questions, mais l’auteur les résout un peu vite et laisse sur sa faim le lecteur qui y chercherait une analyse approfondie, détaillée et rigoureuse. L’histoire a finalement la portion congrue dans cette enquête pour le moins partiale