Ce n’est une nouvelle pour personne, les vidéos de l’artiste Bill Viola sont longues, ultra lentes et poussent à une rêverie digne d’un Rousseau, promeneur solitaire… Utilisant les techniques du slow motion, de l’arrêt sur images, du rembobinage, etc. Bill Viola nous invite à l’exploration de la vidéo à travers une réflexion humaine qui fait retour sur elle-même. C’est sur ce lent écoulement du temps que nous aimerions focaliser notre attention et montrer dans quelle mesure il permet de produire un Art vidéo qui se distingue des mass-medias et du 7éme Art.

Tel un sage à la patience millénaire, Bill Viola fait accoucher par la lenteur, son public de questionnements métaphysiques. Sa rétrospective au Grand Palais a pour ambition de poser les questions : Qui suis-je? Où suis-je? Où vais-je ? Loin de répondre à ces interrogations, la maïeutique adoptée par cet artiste consiste à poser les jalons de ces questionnements métaphysiques. Les corps des performeurs sont placés tour à tour sous le poids colossal exercé par un torrent d’eau, un débit torrentiel, une inondation, ou l’épaisseur assourdissante de l’eau. L’omniprésence de cet élément aquatique nous force à endosser la peine de l’homme qui expérimente le ralentissement de son corps lorsqu’il se meut dans l’eau et nous rappelle ainsi à la vulnérabilité de ce même corps.

Toujours dans la recherche de la lenteur contemplative, la scénographie de ses expositions n’est pas sans lien avec sa volonté de produire une temporalité indépendante de celle qui règne à l’extérieur du musée.

A l’appui, on peut évoquer la récente rétrospective de Bill Viola au Grand Palais qui s’étendait sur deux niveaux du musée. Le spectateur y parcourait les salles du premier étage dans une pénombre enivrante, dans laquelle les explications didactiques étaient quasi inexistantes dans le but de ne pas distraire la contemplation. Calmé, détaché du monde extérieur, le visiteur emprunte le rythme de la promenade tandis que les bandes sonores de chacune des œuvres s’entremêlent et dialoguent entre elles alors qu'elles s’échappent par les seuils séparant chacune des salles d’exposition. Exposé sur deux étages, le parcours incline le visiteur à parvenir doucement au rez-de-chaussée du Grand Palais. C’est là un espace sans fenêtres, qui s’ouvre sur la magnifique vidéo de Tristan’s Ascension, the sound of a mountain under a waterfall (2005). Imbibé de l’humidité du poids du torrent d’eau qui écrase Tristan, notre corps se retrouve alors comme déposé précieusement au fond du Grand Palais, tel un corps inerte, gorgé d’eau, retombant sourdement au fond de l’eau.

A l’heure où l’accélération du monde nous fait pénétrer dans un univers pléthorique et anxiogène, cette rétrospective fonctionne comme un sas de décompression, nous isolant de la réalité frénétique de la ville. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est par le médium relativement récent de la vidéo que Bill Viola met un contrepoint à la folle cadence de notre monde empli de technologies. Il apparaît alors une étonnante convergence entre le démarche du vidéaste et la philosophie de Paul Virilio qui depuis la parution de son ouvrage Vitesse et Politique, essai sur la Dromologie (1977) réfléchit au danger de l’accélération du monde et de ses tenants et aboutissants sur la civilisation. Bill Viola rejoint la pensée de Paul Virilio en réussissant à faire émerger une temporalité qui nous pousse à ralentir notre pas et à s’essayer à une lente réflexion qui se perd de jour en jour et au fur et à mesure que progressent les mass-medias.

Avec l’utilisation de la technique du Slow-motion il tente de mettre à jour l’émergence des émotions humaines dans The quintet of the astonished. Dans Ascension (2000) il montre la dure progression du performeur Josh Coxx qui tente de gagner la surface de l’eau. On retient son souffle, on prend conscience de son corps tandis que l’humidité nous gagne les membres. L'installation The Dreamers (2013) est constituée d’écrans LCD sur lesquels des rêveurs de tous âges, en habit du quotidien, somnolent dans un lac, ne laissant remonter à la surface que le clapotement de l’eau et quelques éclatements timides de bulles d’air qui perlent des narines de ces rêveurs aux visages sereins. Dans The Sleep of Reason (1988) on trouve un réveil qui affiche les heures et les minutes qui passent. Le spectateur est alors mis en face des instants qui passent dans la salle de projection. Bill Viola opère une décélération au cœur d’un monde qui s’enfonce dans une accélération exponentielle qui se ponctuera, selon Paul Virilio par l’ « Accident ».

Si la vidéo est bien un médium principalement constitué par le temps il devient possible de parler d’une véritable concordance de la temporalité physique et psychique du spectateur avec les vidéos. C’est l’avancée du visiteur qui détermine le début et la fin de la vidéo. Il y a communion entre la durée des œuvres et celle, plus intime, du spectateur. Contrairement au cinéma, ici nous n’éprouvons jamais la sensation d’avoir manqué quelque chose au déroulement de l’action. Nous pouvons dire que la trame scénaristique ne dicte pas tout à fait le moment ou nous allons passer d’une salle à une autre. Cette magie que procure la "rencontre" avec l'oeuvre n’est peut-être pas toujours celle du cinéma mais plus exclusivement celle de l’art vidéo et, dans le cas de l'oeuvre de Bill Viola, elle n’est possible qu’avec une compréhension aigüe de ce qu’est le temps.

« Sculpter du temps » : telle est la définition que propose Bill Viola de son art dans une note de son « Journal » en 1989. C’est en proposant une exposition qui pousse le spectateur à changer le rythme de sa découverte du monde, à se confondre avec les respirations de la vidéo et à contempler les performances des personnages, que Bill Viola parvient à créer une décélération dans notre corps et notre esprit qui à son tour produit une concentration accrue questionnant la signification du monde et sa frénésie


Dernier jour d’exposition ce lundi 21 juillet jusqu’à 20 heures au Grand Palais.