À l'heure de la métropolisation, différents experts (urbanistes, anthropologues, sociologues, chercheurs) questionnent la ville (principalement celle du Sud) du XXIe siècle.

Le monde ne cesse de s’urbaniser (5 milliards d’urbains en 2030), les mégalopoles de se multiplier et le nombre de citadins dans les pays du Sud d’augmenter. Alors que la métropolisation devient toujours plus galopante dans le monde, des experts (urbanistes, anthropologues, sociologues) ont voulu appréhender les nouveaux défis urbains qui secouent notre planète. 

Cet ouvrage - écrit sous la houlette de Françoise Lieberherr-Gardiol, anthropologue qui travaille sur les thématiques de développement urbain et German Solinis, architecte et urbaniste fonctionnaire à l’UNESCO - privilégie la transversalité puisque des auteurs comme Daniel Biau, ingénieur civil ou Isabelle Milbert, professeur à l’IHEID ont également été sollicités pour écrire ce recueil. 

Faire face à de nouvelles problématiques urbaines

L’ouvrage s'interroge sur ce qui fait "la ville" et "l'urbain". Mais à ces considérations théoriques se couplent des cas pratiques puisque, tandis qu’une partie de l’ouvrage, à travers une perspective historique, évoque l’évolution urbaine ces quarante dernières années, une autre partie aborde les questions de mondialisation, de régulations et de gouvernance alors qu’une dernière partie s’intéresse aux pays émergents inscrits dans un monde multipolaire non "occidento-centré". 

Il s’agit de comprendre l’évolution des villes ces 40 dernières années, de s’interroger sur les dynamiques qui caractérisent les territoires et "de saisir comment les stratégies d'intervention interagissent avec les institutions aux différents niveaux  - international, national, local" et comment les "acteurs locaux participent à la fabrication de la ville"   . La globalisation et l'émergence des pays du Sud associées à l'urgence écologique et à l'accélération des flux (migratoires et communicationnels) ont complexifié la question urbaine. Les politiques urbaines en ont été profondément marquées. Aussi, a-t-on vu apparaître des nouveaux modes de gouvernance et éclore des instances alternatives citoyennes pour répondre aux nouveaux défis urbains. 

Daniel Biau s’intéresse aux défis que doivent traverser les organisations internationales (ONU Habitat, UNESCO) face au développement des grandes villes du Sud. Depuis les années 1980, la planification urbaine a été revisitée par l’ONU, outil important pour la gestion des villes (Conférence de Vancouver en 1976, Sommet d’Istanbul en 1996, Sommet mondial sur le développement durable tenu à Johannesburg). De nouvelles orientations ont alors été mises en place : la priorité a été faite aux autorités locales et à la pluridisciplinarité des acteurs (organisations non gouvernementales, pouvoirs publics, associations,...). Les instances internationales et non gouvernementales ont aussi mis l’accent cette dernière décennie sur les questions de l’eau et l’assainissement, des bidonvilles (30% de la population urbaine mondiale y vit) et de l’écologie. Mais réduire la pauvreté urbaine ne pourra se faire qu'à travers une gouvernance participative et transparente et une sensibilisation de tous les acteurs concernés. 

Un diagnostic pluriel pour une complexification urbaine

Gustave Massiah s’intéresse pour sa part à la crise de la mondialisation et à ses répercussions sur les villes et les politiques urbaines. La mondialisation a en effet transformé l’urbanisation et les rapports entre le local, le global et le national, le rural et l’urbain. La crise que nous traversons peut alors être source de grands risques mais aussi d’opportunités. Aussi pour Gustave Massiah la remise en cause du néolibéralisme et de ce qu’il a engendré (inégalités, insécurités sociales) dès les années 1990 par de nombreux mouvements sociaux (mouvements de droits au logement, de lutte contre le chômage…) peut ouvrir de nouvelles voies urbaines. Les politiques locales alternatives peuvent être porteuses de nouvelles pratiques urbaines et de nouveaux projets de transformations sociales et permettre la lutte contre la ségrégation, le développement de services locaux, une nouvelle participation citoyenne et une plus grande coopération internationale. Nombreux sont ainsi les outils et démarches qui vont dans le sens d’une meilleure alliance entre mouvements sociaux, sociétés civiles et institutions locales : agendas 21, budgets participatifs (Porto Alegre au Brésil), consultas urbanas (Programme de gestion urbaine en Amérique latine), agricultures urbaines, etc. 

Françoise Lieberherr-Gardiol aborde la question de la gouvernance urbaine, outil d’action pour la ville et ses habitants. Après un détour historique sur la notion (définie par UN Habitat comme l’"ensemble des approches par lesquelles les individus et institutions publics et privés planifient et gèrent les affaires communes de la cité"), née dans un contexte de transformations géopolitiques et idéologiques, l’auteur prend l’exemple de trois cas de gouvernances urbaines originales au Burkina Faso (gouvernances croisées), en Bulgarie (forums démocratiques urbains) et au Vietnam (approches participatives). Elle rappelle ainsi que la bonne gouvernance n’est pas une recette prête à l’emploi mais qu’elle s’inscrit toujours dans un territoire spécifique, qu’elle est mouvante, la responsabilisation des acteurs et la transparence des règles devant alors s’accorder avec les codes sociaux, politiques, et culturels des villes.

Giovanni Allegretti questionne la participation citoyenne et les démocraties participatives à travers le cas des BP (budgets participatifs) au Brésil. Face à la double pathologie de la démocratie : de la représentation (distance vis-à-vis des politiques élus) et de la participation (impuissance des citoyens face aux grands groupes d’intérêt et aux dynamiques politiques et économiques qui dominent la société)   , de nouvelles expériences peuvent donc voir le jour pour tenter de rénover les politiques publiques à un niveau local, voire supralocal. Les BP initiés au Brésil sont ainsi des métaphores des possibles de la valorisation des compétences des citoyens et des expériences participatives.

Frans Vanderschurer évoque un sujet sensible : les liens entre villes et insécurité. L’auteur montre notamment que le sentiment d’insécurité n’est pas en parfaite correspondance avec l’insécurité réelle et que grande ville n’est pas synonyme d’insécurité. Après avoir fait un bref historique sur la sécurité et sa gouvernance dans les villes, il souligne la dimension sociale de la criminalité et de la délinquance et les rapports entre inégalités et pauvreté. De nouveaux défis émergent au XXIe siècle : cybercriminalités, privatisation de la sécurité, complexification des délits liés au trafic de drogue etc. Quelles sont les priorités ? Prévenir la violence chez les jeunes et intrafamiliale, réinsérer les reclus, lutter contre les crimes organisés, recourir à des formes de justice alternative et articuler les initiatives de l’État avec l’autorité locale, le privé et les sociétés civiles.

Un point de vue sur les pays émergents

Des cas particuliers de pays émergents sont ensuite traités par Adrian Atkinson (le développement au Vietnam), Isabelle Milbert (la décentralisation en Inde), David Westendorff (la gouvernance urbaine en Chine) et Giovanni Allegretti (le cas du Brésil). 

Évoquant le cas de l’Inde, Isabelle Milbert souligne que la décentralisation a fait l’objet d’un consensus en 1986 avec Rajiv Gandhi, dont l’objectif était de favoriser l’empowerment des acteurs locaux et des plus défavorisés. Pourtant, si celle-ci a contribué à une modification de la définition de la citoyenneté en Inde, elle a également entraîné un affaiblissement des villes face aux grandes entreprises et provoqué des inégalités entre les territoires urbains. La frilosité de l’État à transférer ses pouvoirs à des institutions locales dont la qualité de gestion n’est pas garantie ainsi que l’absence de moyens et l’insuffisance de personnel sont autant de d’éléments à prendre en considération pour améliorer le fonctionnement démocratique de la décentralisation. 

En Chine, malgré les progrès dans l’accès aux services sociaux et de timides tentatives politiques participatives (consultation sur la priorisation des projets publics dans le budget municipal à Wenling et Zheguo), améliorer la gouvernance urbaine reste d’une cruciale urgence. En effet, l’urbanisation reste incontrôlée, l’opinion surveillée, la corruption prégnante dans les programmes de travaux publics et l’opacité souvent de mise dans les décisions de développement urbain (considérées comme secrets d’Etat). Les crises urbaines qu’a traversées la Chine témoignent d’ailleurs de cet état de fait : épidémie de SARS, écroulement d’établissements publics, pollution, déplacements de population pour les JO sans la participation du public, autant de processus affectant souvent les populations vulnérables. 

Au Brésil, les réformes urbaines sont issues d’un long processus et les conséquences de la crise urbaine qu’a connue le pays dans les années 1979-80. Les réformes se sont dès lors multipliées :  constitution fédérale de 1988 qui inaugure un nouvel ordre juridico-urbain, promulgation en 2001 de la loi fédérale sur la politique urbaine qui instaure une sorte de droit à la ville et création d’un ministère des villes en 2003. Il s’agit de démocratiser le processus de décision locale et de légitimer un nouvel ordre juridico-urbain orienté vers une vision plus sociale. Cette mise en œuvre de réformes urbaines à l’échelle nationale a permis la reconnaissance politique des questions urbaines mais des problèmes subsistent : les équipes et budgets restent restreints, le contrôle judiciaire fiscal et social des dépenses pas toujours efficace. Les institutions locales doivent donc concentrer leurs objectifs sur ce qui demeure prioritaire : une meilleure politique du logement pour les pauvres en milieu urbain et une définition claire d’une politique nationale sur l’utilisation du foncier. 

Le pire comme le meilleur est donc à espérer pour la ville du XXIe siècle. La lutte contre la pauvreté, une urbanisation plus durable, une meilleure mobilité, une gouvernance urbaine plus efficace et transparente, une meilleure cohésion sociale et citoyenne sont autant de défis majeurs à relever. Mais le citadin dans la ville du XXIe siècle est aussi citoyen. Face à une mondialisation effrénée, Thierry Paquot évoque avec Carlo Petreni l’habitant de la "cittàslow", lequel pourrait être plus en adéquation avec son environnement et créateur de nouvelles logiques productives, culturelles et sociales plus durables, participatives et alternatives. Comme l’écrit Jean-Jacques Rousseau : "les maisons font la ville, mais les Citoyens font la Cité"