Après le mot d’ordre : « concilier économie et écologie c’est possible ! », voici que « concilier social et environnemental ne peuvent qu’aller de pair »…

Alors que bon nombre des environnementalistes en France accueille l’arrivée de Ségolène Royal au ministère du développement durable avec, au mieux, un air dubitatif, ou sinon un soupir las, voire narquois, le Think Tank «  Terra Nova  » publie ce 14 avril une note qui semble dire : vite, conjurons le recul de la cause écologique subordonnée au traitement social de la crise.

Dans cette note, la sociale-écologie arrive à point nommé pour tenter d’opérer, en 16 pages, un reversement de la perspective la plus communément admise : l’écologie placée au sommet de la pyramide des besoins est un luxe de riches. Une cerise sur leur gâteau?

Las, «  le contexte actuel n’incite pas à donner la priorité aux enjeux environnementaux, si urgents soient-ils  » constate d’emblée le Think Tank, étiqueté plus à gauche qu’à droite. A l’agenda gouvernemental, priorité à la lutte contre le chômage, la dette publique, et le retour de la croissance - en conséquence, l’environnement peut attendre! -, telle est la tentation dominante. Fatalité ? Illusion d’optique!

Les auteurs prennent acte tout d’abord que la « croissance verte  », incantation-bouée agitée depuis 2008 dans l’espoir de surmonter la crise, est au mieux un sursaut mais en tout cas pas l’universelle panacée. Inégalités sociales et dégradations environnementales, objet de la sociale-écologie, progressent ordinairement de conserve selon Eloi Laurent   . Et vice-versa. Ainsi, «  plus la pauvreté s’accroît, plus il est nécessaire de compenser socialement l’effet des politiques environnementales (par exemple sous forme de chèques énergie dans le cas de la Contribution climat-énergie)  ». Mais alors, ipso facto, «  plus la faisabilité de ces politiques publiques est compromise, en particulier dans un contexte de finances publiques dégradées  ». Spirale infernale en lieu et place du cercle vertueux, promis !

Les auteurs de la note de Terra Nova changent de braquet : «  Nous réfutons tout attentisme. Que soient menées dès maintenant des politiques ambitieuses en faveur à la fois de l’égalité et de l’environnement  »   .

L’égalité et l’environnement, même combat

À fleurets mouchetés, ce collectif de signatures parfois masquées, défait quelques idées/liens qui «  corsettent  » habituellement la pensée politico-économique. Par exemple, l’impact indéfiniment et indéfectiblement positif entre la croissance économique à perpet’, dans les pays déjà nanti, et le bien-être individuel (au sens du «  bien-être subjectif  », mesuré dans des enquêtes axées sur le degré de satisfaction exprimé comme dans le Gallup World Poll pour de nombreux pays par exemple)   . Conclusion : «  au-delà des enjeux liés à la soutenabilité environnementale et énergétique d’un modèle de développement exclusivement tourné vers la croissance du revenu, le lien entre revenu et bien-être n’a rien d’évident, confere de nombreux travaux récents. Leur analyse invite à relativiser l’impact positif de la croissance économique sur le bien-être des individus, du moins dans les pays les plus riches. Ils montrent que les inégalités de revenus rendent généralement les individus moins satisfaits de leur propre situation ».

Réduire les inégalités c’est bon pour la planète!

Qui plus est, comme l’établissent deux épidémiologistes en vogue, Richard Wilkinson et Kate Pickett   , «  les pays les plus inégalitaires souffrent clairement de problèmes sanitaires et sociaux en moyenne plus importants. Ainsi, la réduction des inégalités constituerait aussi une condition de la soutenabilité environnementale de nos sociétés  ». A contrario ajoute Terra Nova, plusieurs économistes (à l’instar du Richard Layard ou Robert Frank   ) soulignent que l’accroissement des revenus des plus riches attise dans le reste de la société des insatisfactions concomitantes à l’essor d’une surconsommation   . Pour sortir de l’engrenage,  Willinson et Pickett   et Marie Duru-Bellat notamment   prônent en quelque sorte de «  déplacer la source de la satisfaction humaine  » en troquant l’objectif de croissance économique contre celui de la convivialité. En d’autres termes, selon la sociologue, pour résoudre les enjeux environnementaux il vaudrait mieux chercher à «  organiser la société selon les principes de justice globale  ». Vaste (et salutaire) programme.

Le traitement sociologique de la planète en péril, il fallait y penser ! Une dernière cartouche à griller après feu la thèse du «  double dividende  » (écologique et économique)   des années 90. Un clin d’oeil au temps (perdu) des Verts aux Affaires, sous Jospin,   mais aujourd’hui «  ostracisés-de-leur-plein-gré  »? Trêve d’ironie : le fil de la note mérite d’être déroulé jusqu’au bout, car elle s’attaque à quelques mythes empoisonnants.

Des mythes au pilori

Vous comptez sur le salut - par la «  relance  » - issu des nouvelles technologies de l’information. Cette note fait mouche, là encore. Quid en effet de l’impact des nouvelles technologies de l’information sur la productivité ? Eh bien, les économistes «  peinent à démontrer un lien de causalité robuste entre les deux.  » Pire, les auteurs rappellent le «  Paradoxe de Solow  »    : il stigmatise la décélération de la productivité liée à l’équipement en ordinateurs, dans les années 1980, de l’économie américaine. Et en Europe, «  la croissance de la productivité ne semble toujours pas significativement corrélée à l’utilisation des technologies de l’information par les entreprises. » Sortir de la crise par un nouveau boom digital ? N’y pensez plus. Reste alors à se souhaiter… une bonne guerre? Ce, pour renouer avec la belle époque de croissance caracolante qui a couronné les destructions massives de la Seconde guerre mondiale. Ce serait avoir la mémoire courte : « difficile de maintenir longtemps des taux de croissance aussi élevés.  » Trente ans, c’est court, sauf à être papillon ou… rose. Dès lors, comment mailler croissance et prospérité?

En se dépouillant tout d’abord… de quelques mythes : celui du « ruissellement » (trickle down) selon lequel les bénéfices de la croissance redescendraient en pluie vers l’ensemble de la société puisque, dixit le Prix Noble d’économie J. Stiglitz   , «  la concentration de richesses aux mains des 1 % les plus riches ne se traduit pas par le développement d'activités bénéficiant au plus grand nombre (création d'emplois, circulation de richesses, etc.) mais par le développement de rentes, de plus en plus élevées, et leur immobilisation dans, essentiellement, des placements financiers aux maigres retombées sociales et productives  ».

Faible croissance et montée des inégalités vont généralement de pair   . Les revenus du patrimoine, mieux que ceux du travail dans de telles périodes tirent eux leur épingle du jeu. Face à l’aggravation des inégalités, de plus en plus d’économistes réagissent et préconisent des mesures radicales pour réduire les inégalités de revenus et de patrimoine.

Même le FMI célèbre les vertus d’un tel équilibre, affirme Terre Nova dans cette note : une récente étude montre que les pays plus égalitaires croissent plus vite et plus longtemps que les pays inégalitaires ; les économistes de l’institution financière mondiale établissent par ailleurs que les politiques redistributives n’ont pas d’impact négatif sur la croissance. Un tantinet «  communiste  » le FMI ?

Mécontenter quelques riches… le prix à payer?

Pour un peu, le Think tank ressusciterait le Robin des bois de la forêt de Sherwood : une éco-fiscalité idoine pourrait permettre de gagner sur les deux tableaux - justice sociale et défis environnementaux -. Et de citer en exemple «  la réforme du système fiscal proposée par Landais et al.   , calibrée pour obtenir des recettes fiscales identiques avec une pression fiscale totale restant constante  ». Résultat, seuls «  14% des ménages verraient leur impôt augmenter. Un gouvernement progressiste soucieux d’accroître la redistributivité de l’impôt a donc des marges de manœuvre pour mettre en place une réforme fiscale qui diminue le revenu d’une petite fraction des ménages seulement et qui soit ainsi susceptible de réunir un consensus relativement large au sein de la population  », moyennant certes «  un travail de pédagogie et de mise en perspective  ».

Redistribuer … ou périr

Forts du lien mis en évidence par la sociale-écologie d’Eloi Laurent, entre inégalités et empreinte écologique, les auteurs de la note concluent qu’ils serait vain de viser la justice sociale au détriment de la dimension environnementale. «  Que ce soit par conviction écologique, éthique de vie ou réalisme, nous devons donc absolument préparer l’avenir en remettant en place des politiques redistributives  ».