« Lâche-toi ! » adresse Jennifer à Clément dans un cri, alors que le professeur de philosophie parisien hésite à se trémousser dans la grande salle de karaoké de la zone d’activité d’Arras.

Sur une trame somme toute classique, celle de l’amour vécu au risque des différences sociales (le philosophe et la coiffeuse), Pas son genre met en scène l’effet mortifère de la cérébralité sur la vie et sur la relation amoureuse. La fable sociale reste évidemment une importante clé de lecture du film : le philosophe parisien, « exilé » à Arras pour y enseigner au lycée, drague assez froidement une jolie coiffeuse qui se laisse lentement séduire par le charmeur malgré la différence culturelle. Rien ne laisse pourtant percer les intentions de Clément : Est-elle pour lui une simple conquête ? Une proie sexuelle ? Un passe-temps ? Attendri et intéressé par cette femme si différente de lui et des autres femmes qu’il a connues, Clément l’est très certainement ; mais il est aussi égoïste, peu attentif, parfois maladroit : dédicaçant la Critique de la raison pure à Jennifer qu’il a trouvé très « kantienne », il signe « amicalement, Clément» sans soupçonner que son geste d’attention puisse se montrer blessant. La relation perdure malgré tout, les cultures se croisent, sans condescendance et prouvant la grande intelligence de Jennifer qui semble être une sorte d’objet de fascination (intellectuelle) pour Clément : son intelligence est vive, spontanée, douce et rayonnante, alors que la sienne est froide, clinique, cérébrale. Aucun cependant n’est véritablement romantique : elle n’a plus la naïveté de l’adolescence, et il n’a tout simplement jamais été un homme de passion.

Dès lors, plus que les différences sociales ou géographiques qui les opposent, c’est la vision cynique que porte Clément sur l’amour qui met en péril la relation. Par son approche très précise de ses personnages, superbement interprétés par Emilie Dequenne (sublime) et Loïc Corbery (glaçant), le film évite ainsi un regard sociologique trop plombant pour s’individualiser dans une vision très psychologique des rapports amoureux.

Dans ce cadre, la mise en scène de Lucas Belvaux tiraille le spectateur en faisant naître des sentiments partagés à l’égard des membres du couple. Alors que le film commence du point de vue du professeur, qui est décrit le premier et dont la mutation à Arras donne le point de départ de la relation, l’affection se porte peu à peu sur la coiffeuse, tant sa vitalité et sa franchise dominent l’intellectualité froide du professeur. Ce retournement complet du point de vue compense les situations comiques nées de l’écart culturel, et qui se font plutôt aux dépens de Jennifer.

Bien plus, la beauté du film réside dans le fait qu’il parvient à tenir dans le même temps, cinématographiquement, la vitalité de son actrice et l’intellectualité de son acteur. Les nombreuses scènes de comédie, la musique ou encore la tension amoureuse portent des moments d’immersion du spectateur et se mêlent assez finement à une architecture narrative tenue et à une mise en scène très intellectuelle de la différence socio-culturelle. Derrière le récit d’une histoire d’amour rendue impossible par le cynisme de son héros, se dessine alors le mélange réussi de deux cinémas : la comédie romantique et le drame psychologique. Si la cérébralité de Clément masque une forme de lâcheté, le mélange des genres que se permet le cinéaste est au contraire la preuve d’un courage certain.