Dans un plan d’ouverture d’une rudesse inouïe, qui n’est pas sans rappeler le cadrage écrasant de La Lamentation sur le Christ de Mort du peintre italien Andrea Mantegna (1480), la caméra d’Amat Escalante s’attarde sur des pieds inertes au bout desquels gisent et suintent deux corps meurtris. Le glissement de la caméra fait ensuite apparaitre une camionnette, qui s’arrête bientôt au bas d’une passerelle d’un petit village mexicain. Les corps sont tirés et l’un est jeté, dénudé et encagoulé, au  bout d’une corde au-dessus de la route… Cette scène, qui introduit l’inéluctabilité d’une violence sociale que l’on ne peut que subir et regretter, nous place d’office du côté des victimes, et fait peser sur l’ensemble du film une menace de mort qui tend la vision et charge de sens chaque plan.


Placé sous cet augure, le film déploie ensuite son récit avec une lenteur maîtrisée. Heli est un jeune père de famille qui vit dans un Mexique rural avec son père, sa sœur, sa femme et son fils. Il travaille à l’usine automobile, comme son père, pendant que sa sœur va à l’école et fleurte avec un jeune soldat de 17 ans. Le fragile petit chiot offert par celui-ci au début du film est le symbole de l’équilibre doux et précaire sur lequel repose le quotidien familial. Le démantèlement d’un trafic de drogue provoque rapidement une série de drames qui retombe sur Heli et sa famille. La mise en scène d’Escalante, sèche et brutale, est étouffante. La photographie lumineuse du film, tout entier baigné de la clareté du désert, iradie le propos. Le film est tout entier monté vers une scène de torture centrale, frontale et difficilement soutenable, puis décrit les retombées traumatiques de ce drame. La sexualité croisée à la douceur de la scène finale relève le récit d’une pointe d’optimisme fataliste.


On découvre dans Heli une société mexicaine très jeune, humble sans être misérable, et vulnérable à la tentation économique que représente la drogue. Mais le discours social du cinéaste reste en retrait de ce qui constitue le véritable objet du film : l’irruption de la violence dans un cercle familial harmonieux, et la difficile reprise de la vie après le drame. Sur ce point, Escalante réussit son pari en étant capable d’une grande émotion sans sentimentalisme, faisant naître crispation et espoir, et soutenant un état de tension trop rare au cinéma.


On a aujourd’hui encore trop peu souvent de nouvelles du cinéma mexicain. Au-delà d’Alfonso Cuarón, découvert en 2001 avec Y tu Mama tambien et consacré en 2013 avec Gravity, et Alejandro Iñárritu, passé de Amores Perros (2000) à Babel (2006), peu de réalisateurs mexicains rayonnent hors de leurs frontières. Heli, qui a bénéficié d’une coproduction européenne (en particulier française avec la participation d’Arte et Le Pacte), nous permet de prendre doublement le poult de la société mexicaine et de l’état de son cinéma. Au regard de ce troisième long-métrage, on attend encore de belles choses d’Amat Escalante, chef de file, aux côtés de Carlos Reygadas, d'une certaine tendance du cinéma mexicain