Abordant le même thème que Surveiller et punir, mais par un autre biais, ces leçons de Foucault au Collège de France mettent au jour l’émergence de la "forme-prison" dans la "société punitive" qui prit naissance au début du XIXe siècle, donnant corps à la "société disciplinaire" qui structure aujourd’hui encore notre existence.

Situé au cœur de la période la plus intense de l’engagement de Foucault sur les questions pénales en France, ce cours donné au collège de France au début de l’année 1973 élargit son questionnement à un horizon plus général, celui de l’émergence de la "société disciplinaire", qui rend possible la production de la pénalité. Foucault commence son analyse en mentionnant deux limites de la notion d’exclusion : la première c’est qu’elle ne paraît pas à même de rendre compte des rapports de force et des opérations du pouvoir permettant d’exclure. L’exclusion n’est qu’un terme générique sous lequel on regroupe de stratégies et de tactiques de pouvoir, mais elle ne permet pas d’étudier dans leur singularité ces tactiques et ces stratégies par lesquels le pouvoir exclut. La seconde c’est qu’en disant qu’il y a des mécanismes d’exclusion dans une société on en attribue l’origine à la société.

"Autrement dit, on manque non seulement le mécanisme historique, politique, de pouvoir, mais on risque d’être induit en erreur en ce qui concerne l’instance qui exclut, puisque l’exclusion semble se référer à quelque chose comme un consensus social qui rejette, alors que derrière cela il y a peut-être un certain nombre d’instances parfaitement spécifiées, par conséquent définissables, de pouvoir qui sont responsables du mécanisme de l’exclusion." (p.5).

Rejetant de la distinction de Lévi-Strauss entre les sociétés qui assimilent et celles qui excluent les individus qui leur semblent dangereux, il soutien plutôt que la société associe exclusion et assimilation, comme le montre l’exemple de l’enfermement psychiatrique, qui en rejetant assimile, puisque dans ce cas, la société se renforce en formant un discours rationnel sur la folie en observant les fous qu’elle a exclus.

Une histoire de la punition

À partir de là Foucault annonce le thème du cours, la notion de punition, dans le développement de sa manifestation historique. Et il commence par l’analyse des " tactiques fines de la sanction" (p.8), initiée par une distinction entre quatre formes de "tactiques punitives" : exclure (interdire la présence d’un individu dans un lieu) dont le paradigme est la Grèce archaïque, organiser un rachat, imposer une compensation (inscrire l’infracteur dans un ensemble d’obligations pour réparer sa faute), marquer (imposer au corps une diminution visible, réelle ou symbolique dans le but de faire demeurer dans les mémoires l’infraction, cette tactique punitive a été prépondérante en Occident depuis la fin  du haut Moyen Âge jusqu’au XVIIIe siècle) et enfermer (pratique actuellement utilisée en Occident, et ce depuis le tournant du XVIII et XIXe siècle). Puis Foucault montre que les peines ne jouent pas le même rôle en fonction des tactiques punitives à l’aide de l’exemple de l’amande   et de celui de la peine de mort   . Ces tactiques punitives "trouvent leur place entre le pouvoir et ce sur quoi s’exerce le pouvoir" (p.13).

L’auteur pose alors la question à laquelle son travail veut répondre : "quelles formes de pouvoir se trouvent effectivement jouées pour qu’aux infractions qui mettent en cause ses lois, ses règles, son exercice, il réponde par des tactiques telles que l’exclusion, la marque, le rachat ou l’enfermement ?" (Ibid.). Autrement dit, l’objectif de l’analyse de Foucault n’est pas de voir quelle idéologie révèle ces tactiques, mais quel rapport de pouvoir elles rendent possibles ou les rend possibles. Ce qu’explicite Foucault lorsqu’il dit : "c’est là tout le jeu de conflits, de luttes qu’il y a entre le pouvoir tel qu’il s’exerce dans une société et les individus ou groupes qui cherchent d’une manière ou d’une autre à échapper à ce pouvoir, qui le contestent localement ou globalement, qui contreviennent à ses ordres et à ses règlements." (p.14).

Guerre civile, guerre de "tous contre tous" et guerre sociale

Ce qui l’amène à déceler dans la guerre civile le cœur des analyses de la pénalité, puisque la guerre civile est "la matrice de toutes les luttes de pouvoir, de toutes les stratégies de pouvoir et, par conséquent, aussi la matrice de toutes les luttes à propos du, et contre le pouvoir." (p15.)   . Foucault travaille sur la période 1825-1848 qui celle de la mise en place et du fonctionnement du grand système pénal initiée par les codes de 1808 et 1810 et il met en évidence la dimension de guerre sociale implicitement contenue dans ce système pénal. Il écrit ainsi : "une chose est claire : on est dans la guerre sociale, non pas dans la guerre de tous contre tous, mais la guerre des riches contre les pauvres, des propriétaires contre ceux qui ne possèdent rien, des patrons contre les prolétaires." (p.23). Ces lois sociales sont faites par une partie de la société pour une autre partie, et s’appuient sur le principe de la surveillance continue et universelle.

Puis Foucault reprend sa réflexion sur la guerre civile, pour la distinguer de la guerre de tous contre tous, qu’une théorie héritée de Hobbes fait apparaître comme synonymes. Il critique d’abord cette idée en montrant que pour Hobbes, la guerre de tous contre tous est "la conséquence de nécessaire des passions naturelles des hommes." Et ce n’est pas le groupe qui le fera échapper à la guerre par une sorte d’intérêt commun, mais le souverain. C’est parce qu’il y a un processus par lequel les hommes transfèrent leur pouvoir à une personne, ce qui réduira les volontés à une seule, que l’on parvient à l’ordre civil qui met fin à la guerre de tous contre tous. En revanche, la guerre civile, c’est le stade ultime de la dislocation du souverain.
Ensuite Foucault oppose à cette conception de la guerre civile comme résurgence de la guerre de tous contre tous, l’idée que la guerre civile n’est pas une guerre qui oppose des individus entre eux, mais une guerre qui oppose toujours déjà entre eux des groupes, des masses. La guerre civile serait même pour Foucault le lieu où se constituent des collectivités nouvelles (comme par exemple la paysannerie comme communauté idéologique à la fin du Moyen Âge).

Comme l’écrit Foucault, "il ne faut donc pas du tout voir la guerre civile comme quelque chose qui dissoudrait l’élément collectif de la vie des individus et les ramèneraient à quelque chose comme leur individualité originaire. La guerre civile est au contraire un processus dont les personnages sont collectifs et dont les effets sont, de plus, l’apparition de nouveaux personnages collectifs." (p.30). Cette perspective sur la guerre civile permet d’établir qu’elle n’est ni antérieure, ni postérieure au pouvoir politique, elle ne l’exclut pas, mais au contraire, elle a lieu toujours dans le milieu du pouvoir politique, qu’elle cherche à le confisquer, le sauvegarder ou le transformer. Pour approfondir cette idée, Foucault propose de décrire des procédures par lesquelles la guerre civile s’insinue dans le pouvoir. Il note ainsi que par exemple un certain nombre de groupes s’emparent dans la guerre civile de fragments du pouvoir pour les réactiver, et non pour les détruire dans le but de revenir à la guerre de tous contre tous. L’illustration de cette idée consiste dans la structure des émeutes de marché, à l’occasion desquelles des groupes exercent un contrôle, sous une forme ou une autre, sur le processus de fabrication et de vente de tel ou tel produit.

Troisièmement, Foucault montre que la guerre civile est au cœur du pouvoir politique et que tout pouvoir politique institué n’est en fait qu’une sorte de guerre civile masquée : "l’exercice quotidien du pouvoir doit pouvoir être considéré comme une guerre civile : exercer le pouvoir, c’est d’une certaine manière mener la guerre civile et tous ces instruments, ces tactiques qu’on peut repérer, ces alliances doivent être analysables en termes de guerre civile." (p.33). Dès lors, on peut interpréter l’analyse de la pénalité comme un instrument dans le cadre de cette guerre civile et on est amené à rejeter la thèse hobbesienne selon laquelle l’exercice du pouvoir souverain expulse la guerre de l’espace sur lequel il s’exerce.

Criminel : l'ennemi social

Il note que l’idée de crime change au XVIIIe siècle et le criminel est vu comme celui qui entre en guerre contre sa propre société en rompant le pacte social. Devenu ennemi social, la seule punition légitime devient une mesure de protection qui les empêche de nuire à la société. Et le fait de constituer le criminel comme ennemi social est pour Foucault en fait un instrument par lequel la classe qui est au pouvoir transfère à la société la fonction de rejeter le criminel.

Foucault, pour corroborer son hypothèse et avancer dans son analyse met en évidence les premières apparitions du criminel comme ennemi social. Il s’appuie d’abord sur l’analyse économique de la délinquance au XVIIIe siècle par les physiocrates, et en particulier sur le Mémoire sur les vagabonds de Le Trosne en montrant comment pour lui l’oisiveté, la mendicité ou le vagabondage sont moins à considérer comme des tendances psychologiques   que comme des matrices du crime et des fléaux pour l’économie, dans la mesure où en découlent la raréfaction de main d’œuvre donc la hausse des salaires et la baisse de la production. Le bon fonctionnement de la société est ici indissociable de la bonne performance de l’économie capitaliste. Comme l’écrit Foucault : "c’est la position même du délinquant par rapport à la production qui le définit comme ennemi public". (p.46).

L’analyse se poursuit avec l’irruption du criminel comme ennemi social dans la littérature. L'auteur établit comment au début du XVIIIe siècle de nombreux romans peignent le déplacement à l’intérieure de la société, comme Gil Blas. Dans ce roman, la délinquance est protéiforme et presque omniprésente dans la société. Foucault relève d’autres indices sur l’émergence de la perception du criminel comme ennemi social en prenant comme domaine d’étude les débats sur la peine de mort en 1791.

Prison : émergence d'une nouvelle représentation de la punition

Il réfléchit alors sur la mise en place du système contemporain de cette conception, en insistant, comme il fera dans Surveiller et punir sur l’hétérogénéité entre la conception du criminel comme ennemi social et la prison : en effet, en tant qu’ennemi social, le système pénal requerrait une défense sociale fondée sur des principes (modulation des peines en fonction des sociétés et de l’impact que peut avoir le crime sur leur fonctionnement, graduation des peines pour que la société n’abuse pas de son pouvoir en punissant plus que nécessaire le criminel, rééducation du criminel pour qu’il cesse de l’être, et exemplarité – donc publicité – de la punition pour dissuader les criminels en puissance de devenir criminels en acte), principes qui sont en contradiction avec le fonctionnement de la prison.

Or dans les faits, c’est la prison qui est devenue le paradigme de la punition. Et que la question est de savoir pour quelles raisons, malgré les incohérences entre le système pénal et le système pénitentiaire, il est arrivé que la prison soit la forme privilégiée du châtiment. La prison fonctionne sur la seule variable du temps qu’on y passe, qui semble se modeler sur le principe de salaire. Comme écrit Foucault : "tout comme on donne un temps de salaire pour un temps de travail, on prend, inversement, un temps de liberté pour prix d’une infraction." (p.72).

Sans parvenir, de son propre aveu, à le définir, Foucault note le rapport de grande proximité  ("formes historiquement jumelles") entre le travail et la prison : "la prison est d’une certaine façon toute proche de quelque chose comme un salaire, mais c’est en même temps l’inverse d’un salaire. D’où le sentiment que la prison doit être comme un travail gratuit que le prisonnier donne à la place d’un salaire à la société, et qu’elle exclut donc le salaire effectif. D’où la tendance à organiser la prison comme usine et en même temps l’impossibilité idéologique et institutionnelle d’admettre que le prisonnier puisse recevoir un salaire pendant son temps de prison puisque celui-ci est comme le salaire qu’il reverse à la société." (p.73).

Dès lors, avec l’émergence de la prison, on ne punit plus le corps, ni les biens, mais le temps à vivre. Et comme conclut lui-même Foucault : "ce qui nous permet d’analyser d’un seul tenant le régime punitif des délits et le régime disciplinaire du travail, c’est le rapport du temps de vie au pouvoir politique : cette répression du temps par le temps, c’est cette espèce de continuité entre l’horloge de l’atelier, le chronomètre de la chaîne et le calendrier de la prison." (Ibid.)

Foucault signale qu’il va changer de plan, passer de l’archéologie à la généalogie, ce qu’il explicite ainsi : "jusqu’à présent on étudiait les trames de dérivations possibles : par exemple, comment, à l’intérieur du système pénal théorique et pratique, s’embranchent les unes sur les autres soit les idées, soit les institutions. Maintenant, il s’agit de retrouver quels sont les rapports de pouvoir qui ont rendu possible l’émergence historique de quelque chose comme la prison. Après une analyse de type archéologique, il s’agit de faire une analyse de type dynastique, généalogique, portant sur les filiations à partir des rapports de pouvoir." (p.86). Contre l’objection qui verrait en France l’origine des prisons dans la cellule monacale présente depuis des siècles, et qui rejetterait l’idée que la prison surgit dans le système pénal à la fin du XVIIIe siècle, Foucault répond que la fonction de la clôture monastique est d’empêcher l’influence du monde extérieur sur ce qui est retiré du monde et non d’empêcher ce qui est clos d’accéder au monde   . Mais il remarque que l’enfermement punitif est né dans les milieux religieux, et s’attarde sur l’exemple des Quakers américains hostiles au système pénal anglais.

Contre la présence massive de la peine de mort dans le système pénal anglais, les Quakers vont mettre en place un système alternatif dans lequel la prison devient la peine fondamentale. Elle vise dans cette perspective à une purification de l’esprit du prisonnier. L’exemple de la prison de Philadelphie, dont le fonctionnement est administré par les Quakers illustre cette position. Et on comprend alors pourquoi on parle alors de "pénitencier" : ce terme trahit une "greffe de la morale chrétienne dans le système de la justice criminelle" (p.92), comme l’écrit Foucault qui poursuit ainsi : "la confusion, jamais faite, mais toujours sur le point de se faire, entre le crime et le péché, a son lieu de possibilité dans la prison. Ainsi s’est produite cette culpabilisation du crime dont les effets se font sentir dans d’autres domaines : psychiatrie, criminologie." (p.93).

De cette conception religieuse et morale de la prison naît aussi la connaissance du prisonnier, puisque dans la prison il ne s’agit pas seulement de punir et d’infliger une peine à l’infracteur, mais il faut contrôler l’effet de cette peine sur le prisonnier. Il faut donc connaître le prisonnier, exigence dont découle l’apparition du dossier judiciaire et l’idée d’un contrôle par surveillants des transformations opérées sur le prisonnier par l’effectuation de la peine de prison. Et Foucault propose alors un parallèle entre la naissance de la prison qui permet de connaître l’âme et celle de la structure de l’hôpital qui permet lui une connaissance du corps. On se trouve  à l’origine d’un certain nombre de sciences ou de savoirs : anatomophysiologie humaine, psychopathologie, criminologie, etc.

De plus, en investissant la prison, la morale chrétienne participe de ce sentiment d’ancienneté de la prison. Comme le pénitentiaire est l’élément à l’intérieur duquel est née la prison, toute élaboration de savoir né dans cette dimension ne peut que la renforcer. Il faut d’ailleurs bien se rendre compte, souligne Foucault, que le pénitentiaire est gros de tous les contrôles sociaux qui caractérisent les sociétés comme les nôtres. La question se pose, par-delà diverses influences historiquement reconnues : qu’est-ce qui a rendu la forme-prison acceptable en France, en Angleterre et, au même moment, en Autriche ? Pour répondre à cette interrogation qui découle les analyses précédentes, Foucault prend deux exemples, la France et l’Angleterre, pour examiner quelles y sont les conditions de possibilité de la "généralisation de la forme-prison et du domaine pénitentiaire." (p.105).

Généalogie de la prison en Angleterre et en France : surveillance et travail

En Angleterre depuis la fin du XVIIe siècle existaient des groupes s’investissant dans la recherche d’instruments propres à assurer l’ordre. Cette prolifération de groupes d’ordre moral est liée au développement économique et aux désordres qu’il provoque dans la population. Il s’agit alors de soumettre les classes laborieuses aux lois morales et juridiques. On assiste alors à une re-moralisation du discours pénal, alors qu’est élaborée en même temps la distinction de la faute et de l’infraction (Beccaria et Bentham montrant que la loi ne doit pas viser à réformer les mœurs des individus mais à protéger les intérêts de la société). Cette exigence est portée par les classes les plus élevées soucieuses de moraliser les plus basses classes. Foucault analyse alors le Traité sur la police de la métropole de Colquhoun, dans lequel est expressément stipulé que le premier fondement d’un système pénal doit être la moralité. Il en ressort que "si la loi doit se préoccuper avant tout de la moralité et si celle-ci est essentielle au salut de l’Etat et à l’exercice de sa souveraineté, il faut une instance qui surveille non pas l’application des lois, mais, bien avant celle-ci, la moralité des individus." (p.112). Et ce que cette instance surveillera en priorité, ce sont les classes laborieuses, puisque ce sont elles qui abritent les individus mêlés aux désordres, aux complots politiques et aux refus du travail.

Le rôle de la police apparaît clairement : la surveillance, ou plutôt le contrôle, de la vie quotidienne. Plus précisément se dessinent à la fois le lien entre la police et le capitalisme, la police ayant en charge le contrôle des fauteurs de trouble des usines et la surveillance plus spécifique des ouvriers (et non par exemple des marginaux), et à la fois le développement d’un jeu de contraintes quotidiennes portant sur le comportement et qui permet d’agir positivement sur les individus, de les corriger   . La prison apparaît alors comme le lieu dans lequel on applique plus fermement à ceux qui s’y sont soustraits les mécanismes de coercition propres à intégrer les individus aux exigences de la société capitaliste.

Le problème généalogique devient alors de comprendre comment se sont fondus en une seule forme, la forme-prison deux ensembles, l’ensemble pénal, d’une part, caractérisé par l’interdit, la sanction et la loi, comportant une théorie de l’infraction comme acte d’hostilité à l’égard de la société, et l’ensemble punitif, d’autre part, caractérisé par le système coercitif pénitentiaire, qui se développe dans le sillage du développement du capitalisme, et qui vise à s’immiscer dans le pouvoir politique, mais aussi dans le pouvoir moral. Foucault montre alors que la morale n’est pas dans la tête des gens, mais qu’elle "est inscrite dans les rapports de pouvoir" (p117.).

Foucault poursuit par l’étude de l’apparition de la forme-prison en France. Le contexte de l’apparition de la forme-prison n’est pas comme en Angleterre celui d’une révolution bourgeoise, mais celui d’une monarchie face à des mouvements populaires. La monarchie ne peut plus que difficilement compter sur la justice puisque l’appareil judiciaire est devenu d’objet d’appropriations privées (vénalité des charges judiciaires), ce qui entraînait que "ceux-là même qui devaient appliquer la justice avaient un certain nombre d’intérêts en commun avec les propriétaires fonciers, de sorte que, devant la croissance de la fiscalité royale et la dépression économique, le groupe chargé de rendre la justice était aussi rétif devant le pouvoir royal que la majorité de la population." (p.126).

L’armée était un instrument auquel pouvait faire appel le pouvoir, mais qui s’avérait extrêmement couteux. Dès lors, il apparut plus efficace au pouvoir d’enfermer à l’avance les éléments que l’on pensait dangereux. D’où l’apparition de deux appareils : un appareil administratif et para-judiciaire et un appareil policier. Ce système est plus discret et moins couteux que l’intervention de l’armée. Ce qui fait que ce système est toléré, c’est d’une part, qu’il s’appuie sur des éléments marginaux de la population auxquels on attribue certains pouvoirs, extra-institutionnels. Et c’est, d’autre part parce qu’il permet à un certain nombre de personnes en dehors de la classe dirigeante de détourner localement une fraction du pouvoir afin de l’utiliser pour leur propre compte (ce qui permet de faire adhérer au pouvoir un certain nombre d’individus qui n’ont pas d’intérêts directs à le soutenir). Foucault montre alors que le fonctionnement de la lettre de cachet est identique : la lettre est demandée essentiellement dans des cas de manquement à des devoirs sociaux, ou en tous cas, dans des cas qui ne tombent pas vraiment sous le coup de la loi, mais qui peuvent amener du trouble social. Sans jugement effectif, la lettre conditionne souvent un enfermement indéfini, qui ne prend fin que lorsque quelque chose a changé.

On procède à l’établissement de fiches biographiques qui permettent de connaître les individus à propos desquels sont demandés des lettres de cachet   .  Puis Foucault en conclut que si le mouvement de contrôle social part du bas, en Angleterre pour s’imposer ensuite à l’Etat, alors qu’il s’appuie dès le départ en France sur un Etat centralisé, le mouvement est en réalité le même : il s’agit d’un contrôle des comportements orchestré par la société elle-même, touchant à la moralité.

Outil de la société punitive : l'illégalisme

La conclusion porte sur l’apparition de la société punitive en France : "on a affaire à quelque chose que j’appelle la société punitive, c’est-à-dire une société dans laquelle l’appareil d’Etat judiciaire joue, de plus, des fonctions correctives et pénitentiaires. Tel est le point d’aboutissement." (p.143). Réfléchissant aux origines de cette société punitive, Foucault examine la position trop réductrice selon laquelle ce serait la surveillance de la "plèbe séditieuse" qui aurait été la raison de la mise en place du nouvel appareil répressif. Il faudrait prendre en compte le phénomène plus profond et plus constant de "l’illégalisme populaire", dont la " plèbe séditieuse" n’est qu’un cas particulier   .

Ainsi, si un certain illégalisme populaire était compatible et même utile au développement de l’économie bourgeoise, il est venu un temps où cet illégalisme est devenu incompatible avec le fonctionnement efficace de l’économie bourgeoise. Pour rendre compte de cette distinction, Foucault s’intéresse à un exemple, celui des tisserands du Maine. Pour échapper aux règlements jugés trop exigeants, certains tisserands et certains marchands s’entendaient de façon directe et pouvaient établir entre eux des rapports qui correspondent aux lois du marché. Les deux peuvent en tirer un profit que ne permet pas le respect des lois officielles qui opère sur ce profit des prélèvements. C’est donc une fraude qui sert la bourgeoise contre le pouvoir royal. Cette fraude a une dimension économique et une dimension politique, dans la mesure où, comme le note l'auteur : "chaque fois qu’on court-circuite une loi, qu’on viole un règlement, ce qui est attaqué, c’est moins les choses que le prélèvement sur elles, l’instance réglementaire. Ainsi, entre l’illégalisme proprement économique et la violation quasi politique de l’autorité du pouvoir, on a un continuum, et il est difficile de faire la part entre les deux dans l’illégalisme populaire du XVIIIème siècle." (p.147).

Cet illégalisme peut se changer en délinquance (contrebande, vol, etc.) ou en lutte politique s’il prend des formes plus collectives (grève des impôts, sédition, etc.). Ce qu’il faut toutefois remarquer, c’est le rôle ambigu de la bourgeoisie qui soutient ces luttes dans la mesure où elles la servent mais les lâchent quand elles la desservent. Il y a donc une pratique massive de l’illégalisme qu’il faut bien prendre en compte pour réfléchir avec pertinence au fonctionnement du système pénal. Dans cette perspective, l’appareil policier servant à surveiller et gérer les illégalismes et donc l’extrajudiciaire est transformé par la bourgeoisie à la fin XVIIIème siècle en appareil judiciaire pour la débarrasser de l’illégalisme populaire qui ralentit et menace le développement de la production économique, ou comme l’analyse Foucault qui organise la déprédation des marchandises. La bourgeoisie voit l’illégalisme au cœur de ses entreprises ; et cet illégalisme ne s’attaque plus droit et au pouvoir politique, mais " à la matérialité même de la fortune bourgeoise" (p.151). Et la bourgeoisie va se donner des moyens pour échapper à la loi : elle s’accorde des privilèges sociaux et se donne le pouvoir de faire la loi. Ainsi, alors qu’au XVIIIème siècle le délinquant pratiquant la fraude n’était pas un ennemi social puisqu’il permettait de faire fonctionner le système bourgeois, il devient à la fin de ce même siècle un ennemi public puisqu’il nuit à la prospérité bourgeoise. Et il faut alors que la société se dote de moyens pour canaliser et connaître les couches populaires pratiquant l’illégalisme (noyautage, indicateur, mouchard, etc.) ainsi que de moyens d’isoler les délinquants : ce sera la prison et ce qui en découle.

Approfondissant son analyse, Foucault montre qu’alors que l’illégalisme du XVIIIe siècle dont la bourgeoisie était la complice est jugée, par elle, relativement justifié, puisqu’il s’exerçait contre des abus de pouvoir et qu’il était en fait une forme de résistance politique, l’illégalisme du siècle suivant est jugé inadmissible puisqu’il vise les biens et les choses : il est immoral. C’est par le biais de changement dans les valeurs que la bourgeoisie transforme les attitudes acceptés en actes illégaux, car devenus moralement condamnables ; il s’agit ici d’une véritable généalogie de la morale mise au jour par Foucault. Ce dernier examine l’évolution de l’illégalisme en milieu rural en montrant comment les changements de statut de la terre ont réactivé des illégalismes nécessaires à la survie de certains paysans et comment ces illégalismes paysans rythment l’histoire de la Révolution française. il affirme qu’à la fin du XVIIIème siècle, "les illégalismes ainsi menacés par les nouvelles formes de la société sont entrés en révolte. L’illégalisme n’est donc pas seulement la forme extrême et populaire de la poussée révolutionnaire, c’est l’enjeu de celle-ci. Tous les grands mouvements cherchaient le maintien de l’illégalisme comme pratique à laquelle on a droit." (p.165). Cette affirmation est illustrée par l’exemple de la Vendée pris comme modèle du refus de la nouvelle légalité et dont la défense de l’Ancien régime aurait été moins l’amour positif de ses lois que la volonté de revenir à un régime qui " permettait le fonctionnement d’un certain nombre d’illégalismes nécessaires à l’existence de la communauté paysanne." (Ibid.) et Foucault propose un autre exemple, tout aussi pertinent : "dans les villes, les taxations spontanées, le pillage des accapareurs, les tribunaux populaires, tout cela est une manière de faire valoir dans les formes d’une nouvelle légitimité les pratiques populaires qui étaient les vieilles pratiques de l’illégalisme populaire." (Ibid.). Et c’est contre cette poussée que la bourgeoisie opère la mise sous contrôle des illégalismes populaires.

Surveiller le travail

Foucault analyse la peur sociale dont le rôle fut déterminant dans l’organisation du système pénal du XIXème siècle. Cette dernière est liée aux nouveaux modes de production et leurs corollaires : urbanisation, investissement de capitaux sous forme d’une matérialité à portée de main de l’ouvrier, contact entre l’ouvrier dépouillé et la richesse des capitaux. Elle est liée à une nouvelle partie de la population : celui qui est craint, ce n’est plus le vagabond et le marginal, c’est le travailleur dangereux parce que laborieux. Et plus précisément, ce qui est redouté ce n’est pas tant un crime, ni même l’illégalisme, mais en amont, la possibilité que l’ouvrier n’offre pas complètement sa force de travail, qu’il s’économise, qu’il ne travaille pas assez, c’est-à-dire qu’il vole en quelque sorte le patron, non pas en s’attaquant au stock, mais en ne travaillant pas assez. Comme l’écrit Foucault, " par conséquent, tout ce qui peut atteindre non seulement le capital accumulé de la fortune bourgeoise, mais le corps même de l’ouvrier comme force de travail, tout ce qui peut la dérober à l’utilisation par le capital, c’est cela qui va être considéré comme cet illégalisme infralégal, la grande immoralité, ce sur quoi le capitalisme essaiera d’avoir prise : un illégalisme qui n’est pas infraction à la loi, qui est une manière de dérober la condition du profit. (…) L’immoralité ouvrière est constituée par tout ce par quoi l’ouvrier contourne la loi du marché de l’emploi telle que le capitalisme veut la constituer." (p.177-178). C’est donc bien sur la classe des travailleurs et pas des marginaux que porte la peur bourgeoise au début du XIXème siècle. Et d’elle découle la mise en place du système pénal conçu pour atteindre le foyer même de cet illégalisme : le corps, le désir et le besoin de l’ouvrier. La prison devait permettre de constituer des habitudes de travail chez l’ouvrier récalcitrant, dans cadre qui soit suffisamment indéfini (sans droit pour les travailleurs) pour que les ouvriers puissent être au bord de l’indigence (pour être sûr qu’ils acceptent de travailler, mieux vaut qu’ils en aient un besoin nécessaire pour subsister), et dans lequel les richesses du propriétaire ne soient pas exposées.

C’est pourquoi le système pénal est biface : d’une part il ne reconnaît que la positivité de la loi et non l’immoralité du crime : est puni ce qui enfreint la loi et pas la moralité des criminels ; mais d’autre part, mêlée aux textes et aux institutions, est reconnue une sorte de recherche prétendant corriger et régénérer l’individu (avec des systèmes permettant de suivre la sanction : maison de correction, de rééducation, etc.). Cela permet de décrire celui que la théorie pénale a défini comme un ennemi social également comme un inadapté et de faire donc de la punition comme un processus de réintégration et de réadaptation sociale. Comme l’écrit Foucault la tendance à la délinquance " ce qu’on appelle la " dangerosité sociale", est une manière de recoder en termes pénaux une espèce de catégorie psychologique qui ne relève pas des tribunaux." (p.183). Et c’est de là que provient que soit mesurée la peine, non pas en fonction du délit, mais en fonction du progrès dans " l’intégration sociale".

Foucault mentionne les différentes formes que peut prendre l’illégalisme consistant pour l’ouvrier à refuser d’appliquer toute sa force à l’appareil de production : l’oisiveté (ne pas aller travailler, c’est-à-dire " dérober" ses forces à la loi de la libre concurrence), l’irrégularité ouvrière, conçue comme " dispersion" de ses forces qu’on n’utilise pas quand et où il le faudrait, la fête (à cause de laquelle on " gaspille" ses forces en ne prenant pas soin de son corps) et le refus de la famille qui garantirait le renouvellement des forces (refus lié à la débauche). Et Foucault montre comment des moralisateurs bourgeois présentent cet ensemble de pratique comme immoral ; et il s’agit pour eux de dire comment corriger ces mœurs inacceptables par l’éducation. Foucault lit cette volonté de rééducation comme un double déplacement : passage d’un illégalisme de la déprédation à celui de la dissipation et passage d’une crainte du désir ouvrier de la matérialité des richesses à celui d’un manque de " fixation" à l’appareil de production. Autrement dit, les patrons se mettent à craindre davantage les retards, la débauche et l’absentéisme de leurs ouvriers (qui ira plus tard jusqu’à la grève) que leur éventuelle tentative de vol ou de dégradation de machines. Puis Foucault compare les deux illégalismes montrant qu’ils se renforcent l’un l’autre et que l’illégalisme de dissipation peut prendre une dimension collective assez facilement, ce qui le rend plus dangereux. Cet illégalisme de la dissipation se manifeste en particulier dans trois institutions : la fête, la loterie (où l’individu essaie de gagner sa vie sans travailler) et le concubinage (où l’ouvrier trouve une satisfaction sexuelle sans avoir à se fixer). Pour lutter contre cela, il penser un système de pénalité qui encadre l’existence entière en surveillant à chaque instant la qualité morale du travailleur (contrôle de l’ivresse, livret de caisse d’épargne qui peut remplacer le livret ouvrier, comme garantie de bonnes mœurs, etc.). Ce système ne sanctionne pas vraiment, mais exerce une forme de pression.

Dès lors comme le note Foucault, "le couple surveiller-punir s’instaure comme rapport de pouvoir indispensable à la fixation des individus sur l’appareil de production, à la constitution des forces productives et caractérise la société qu’on peut appeler disciplinaire. On a là un moyen de coercition éthique et politique nécessaire pour que le corps, le temps, la vie, les hommes soient intégrés, sous la forme du travail, dans le jeu des forces productives. Il resterait un pas à franchir : comment cette surveillance-punition est-elle possible ? Par quels instruments le système disciplinaire qui se met en place a-t-il pu effectivement être assuré ?" (p.201).

La séquestration

Puis il étudie le fonctionnement d’usines-casernes-couvents, des usines fonctionnant avec un règlement confondant vie civile et vie industrielle, et au sein desquelles les obligations religieuses devaient être respectées, ainsi que la plus rigoureuse moralité. On y vivait en pension, avec un emploi du temps minuté pour chaque moment de la semaine. , "C’est donc un phénomène d’une grande ampleur. Il y a eu, dans la première moitié du XIXe siècle, toute une entreprise d’enfermement, d’encasernement de la classe ouvrière et, par-delà l’appareil de production, dans toute une série d’institutions non productives, par exemple les institutions pédagogiques : crèches, collèges, orphelinats ; les institutions correctives : colonies agricoles, maisons de redressement, prisons ; les institutions thérapeutiques : hospices, asiles. On pourrait, provisoirement, mettre toutes ces institutions sous le signe de l’enfermement." (p.209). La différence entre cet enfermement et celui qui pouvait exister aux siècles précédents tient au passage d’un contrôle et d’une fixation des individus via leur appartenance à des castes ou des groupes à une fixation extérieure : alors qu’à l’âge classique, c’est par l’appartenance à un groupe – comme une corporation – qu’on se trouve pris dans un certain nombre de règles et d’instances de contrôle, au XIXe siècle, c’est au fil de notre vie qu’on est confronté à une multitude d’institutions qui nous réglementent et nous régissent – comme par exemple le règlement de la crèche, puis celui de l’école, puis celui de l’usine. Cela se traduit pour Foucault par l’apparition de corps " nouveaux" dans l’espace social, " nouveaux" dans la mesure où ils sont des lieux sur lesquels s’exercent des pouvoirs "nouveaux", comme celui du patron à l‘usine ou du contremaître à l’atelier. Ces pouvoirs peuvent être qualifiés de normalisateurs. En fait ces pouvoirs fixent et répartissent les individus sur des appareils sociaux, qui aboutissent, pour ainsi dire, à leur " mise aux normes" pour s’insérer et fonctionner au mieux dans l’appareil de production. D’où la qualification par Foucault pour ces appareils de "séquestration". Cette séquestration a des fonctions majeures dans la société capitaliste. D’abord, elle permet l’acquisition totale du temps par l’employeur et le contrôle de l’existence entière, c’est-à-dire que l’employeur n’acquiert pas seulement des individus, mais l’emploi du temps de ces individus. Cela permet par exemple de veiller à ce qu’ils évitent ce que Foucault avait appelé les " illégalisme de dissipation", ou de contrôler leur rythme de travail, et donc une plus grande rentabilité des ouvriers. Autrement dit, " il a fallu aménager et assujettir le temps de l’existence des hommes à ce système temporel du cycle de la production." (p.216).

La deuxième fonction de cette séquestration est d’exercer un supplément de contrôle sur les individus, supplément par rapport à ce qui les concerne. Foucault note que l’hôpital ou l’école, ou toute autre institution, exerce un contrôle sur le corps, la sexualité et les relations interindividuelles sans que cela ressortisse de leur fonctionnement propre. En effet, l’obligation de se laver semble sans rapport avec ce que l’école vise à transmettre, comme celle de ne pas parler aux hommes semble sans rapport avec le travail de la soie dans un atelier. A partir de l’exemple de la sexualité dans les collèges, Foucault montre comment se diffuse une certaine image de la société, et comment on donne prise à un pouvoir en imposant une norme interne. Autrement dit, cette séquestration forge du social. Foucault écrit ainsi : "l’institution de séquestration, dans un cas comme celui-ci, a pour fonction de fabriquer du social. Entre les classes sur lesquelles jouent ces systèmes de séquestration et l’Etat sur lequel ils s’appuient, ces systèmes ont, entre autres, pour rôle de constituer une image de la société, une norme sociale. Les institutions de séquestration fabriquent quelque chose qui est à la fois interdit, norme et qui doit devenir réalité : ce sont des institutions de normalisation." (p.220)

La troisième fonction est celle d’un jugement permanent et ininterrompu sur l’individu, au sein d’une nouvelle forme de discursivité : une comptabilité morale quotidienne ordonnée en fonction de la normal et de l’anormal. Comme le dit Foucault en conclusion de cette leçon : " Être sous séquestre, c’est être pris à l’intérieur d’une discursivité à la fois ininterrompue dans le temps, tenue de l’extérieur par une autorité, et ordonnée nécessairement à ce qui est normal et à ce qui est anormal." (p.222).

La prison : "une forme sociale"

Dans sa leçon de conclusion, Foucault explique que la prison n’est pas une anecdote de l’histoire, mais qu’elle est une " forme sociale", qu’elle est un espace nouveau, celui de la surveillance permettant l’émergence d’un savoir d’un nouveau type : " la prison comme forme sociale, c’est-à-dire comme forme selon laquelle le pouvoir s’exerce à l’intérieur d’une société – la manière dont il prélève le savoir dont il a besoin pour s’exercer et celle dont, à partir de ce savoir, il va distribuer ordres, prescriptions." (p.230). Pour affiner son analyse de la notion de pouvoir, Foucault rejette quatre schémas élaborés pour penser le pouvoir et qui ne conviennent pas. Il refuse en premier lieu l’idée d’un pouvoir qui serait possédé par certains et dont d’autres seraient dépourvus ; en effet, selon lui, si on s’intéresse concrètement aux rapports de pouvoir, tels qu’ils existent dans les familles ou dans les rapports sexuels, on constate qu’il est enjeu continuel, sans cesse disputé et remis en question dans tout une panoplie d’affrontements individuels. Il illustre cette idée avec l’exemple de l’épargne ouvrière qui provient de la tentative du patron de fixer l’ouvrier à l’appareil de production, mais si elle est imposée par la stratégie patronale, l’épargne permet certaines libertés aux ouvriers, en particulier celle de faire grève. De sorte que, comme le note Foucault, " la grève comme instrument de rétorsion contre le patronat est inscrite dans la mesure même par laquelle le patronat entendait contrôler la classe ouvrière." (p.232).

Le pouvoir apparaît alors comme toujours mobile et provisoire. Il récuse ensuite l’idée d’un pouvoir localisé dans les appareils d’Etat   , comme l’exemple de la police au XVIIIème siècle le montre, qui est nouée à l’intérieur même du tissu social. Il est lié à différentes instances extra-étatiques comme la famille, les communautés religieuses ou les groupes professionnels. Le troisième modèle que rejette Foucault est celui selon lequel le pouvoir garantit ou entretient un mode de production. En effet, le pouvoir pour Foucault ne peut en être qu’un constituant, qu’un facteur. Puis il montre pourquoi il n’accepte pas non plus l’idée d’un pouvoir dont l’exercice construirait de l’idéologie, car il conçoit plutôt à l’inverse que l’exercice du pouvoir produit du savoir, savoir qui renforce l’exercice même du pouvoir. L’exemple de la surveillance administrative des populations, exercice nécessaire du et au pouvoir permet la formation d’un certain nombre de savoirs, parmi lesquels un savoir de gestion.

À partir de ces résultats, Foucault expose quel était son but initial : l’analyse du pouvoir disciplinaire, qui s’exerce encore dans la société actuelle. Montrant qu’au XVIIIème siècle la notion d’habitude a une portée critique, puisqu’elle sert à montrer la dimension artificielle et naturelle de nos croyances (chez Hume, par exemple) contre toute imposition d’un modèle d’autorité transcendante (en critiquant la tradition par l’habitude, on peut rendre contractuels les liens sociaux et les dépouillés de certaines obligations traditionnelles), Foucault met au jour la portée normative de l’habitude au siècle suivant : l’habitude devient ce à quoi les individus doivent se soumettre. L’habitude est dans de nombreux domaines quelque chose de positif qu’il faut parvenir à acquérir. Et l’appareil de séquestration vise à fabriquer un " tissu d’habitude par quoi se définit l’appartenance sociale des individus à une société. Il fabrique quelque chose comme de la norme ; la norme, c’est l’instrument par lequel les individus sont liés à ces appareils de production." (p.242). En élargissant la conclusion, Foucault montre que la société jusqu’au XVIIIe siècle, était liée à un pouvoir visible qui prenait la forme de la hiérarchie, alors qu’au XIXe siècle le pouvoir se trouve dans l’habitude imposée à certains voire à tous. Un tel pouvoir peut se passer de rituels somptueux, il est installé dans la norme. Et Foucault lie cette forme nouvelle de pouvoir à l’émergence d’un nouveau discours, celui des sciences humaines : leur discours normalisant remplaçant le discours mythique par lequel étaient liés héroïsme et généalogie du roi